L'un des problèmes annexes posés par l'actuelle pandémie est la difficulté à appréhender réellement ce phénomène pour un public, mais aussi des élites, en grande majorité non spécialiste des questions médicales et épidémiologiques. La communauté médicale elle-même a souvent donné l'impression d'être dépassée et hésitante, depuis le début de l'épidémie – en témoignent les innombrables cafouillages de l'OMS, voire son noyautage pur et simple par la Chine – on réalise donc sans peine à quel point il est difficile de concevoir cette crise et ses conséquences dans sa globalité même pour les observateurs non initiés. Pourtant, depuis le début de la crise sanitaire, les commentaires se sont multipliés à une vitesse ahurissante, des armées d'experts ont défilé sur les plateaux de télévision, les réseaux sociaux se sont peuplés de spécialistes autoproclamés, ayant bénéficié d'une formation accélérée sur Wikipédia. Bref, et plus que jamais, nous nous sommes entreglosés, comme l'aurait écrit Michel de Montaigne, et cette inflation démesurée d'avis aussi définitifs que contradictoires n'a fait que rajouter de la confusion à l'angoisse pour des populations ballottées de confinement en pass sanitaire, animée par un ressentiment de plus en plus profond, travaillée par une incompréhension de plus en plus marquée des politiques sanitaires suivies successivement par nos gouvernements.
L'auteur de cet article est dans la même situation que l'immense majorité de ses concitoyens : sa formation scientifique sur ces sujets est nulle, la valeur de ces hypothèses sur la question est donc proche de zéro. Comme une grande partie de la population française, la première réaction de l'auteur de ces lignes après les annonces d'Emmanuel Macron le 12 juillet a été la fureur et, encore et toujours, l'incompréhension. Au moins, la stratégie suivie par le gouvernement apparaissait claire : provoquer sciemment la psychose par l'annonce d'une série de restrictions très dures pour les quelques 40% de Français et de Françaises n'ayant même pas reçu une dose de vaccin à la mi-juillet même si ces mesures se révélaient en l'état inapplicable dans un délai aussi court. Dans le même temps il s'agissait d'éviter le piège d'une proclamation officielle, et potentiellement aussi illégale qu'inconstitutionnelle dans une démocratie libérale, de la vaccination obligatoire par décret présidentiel. Le gouvernement s'est donc contenté d'annoncer que le quotidien des non-vaccinés deviendrait un enfer si les réticents persistaient dans leur défiance.
La fureur dominait donc après ces annonces. Et les questions, qui semblaient d'autant plus urgentes que l'envahissante influence des réseaux sociaux et la fortune toujours grandissante des théories du complot disqualifie désormais toute forme de questionnement pour établir en lieu et place du débat un binarisme de pensée effrayant : antivax contre provax. Fermez le ban. Pourquoi donc médias et politiques n'évoquent que la hausse des contaminations, sans jamais souligner la stagnation des admissions à l'hôpital ? Pourquoi semble-t-on oublier, en dépit des exemples fournis par le Royaume-Uni, Israël, l’Uruguay, le Chili, etc...que les vaccins ont pour fonction première de prémunir contre les formes graves de la maladie sans toutefois prémunir totalement des contaminations ? Pourquoi imposer des mesures aussi drastiques pour imposer sans le proclamer officiellement une vaccination obligatoire et un pass sanitaire ? Les imbéciles qui acclamaient Francis Lalanne lors des manifestations du samedi 17 juillet n'ont-ils pas finalement raison de crier à la dictature ? La fureur est mauvaise conseillère néanmoins et puisqu'il s'agit ici de réfléchir honnêtement à la question, il faut le faire en adoptant la seule attitude intellectuelle qui soit et qui consiste à remettre en cause non pas les hypothèses des autres mais les siennes.
Au lendemain du 12 juillet, mon hypothèse était donc la suivante : la majorité des personnes âgées et celles qui sont les plus vulnérables aux formes graves du virus ont été vaccinées en France. Le nouveau train de mesures annoncés par Emmanuel Macron consiste donc à accélérer la campagne de vaccination pour en finir au plus vite avec l'épidémie, afin de pouvoir faire de sa résolution l'argument de campagne principal des Présidentielles de 2022. La proposition contient sa part de vérité. Mais tout aussi sûrement sa part de caricature. Vérifions-là en commençant une petite enquête.
L'enquête commence
A en croire les statistiques fournies par l'INSEE ou Santé Publique France, 73% des décès dus au Covid-19 sont constatés chez les plus de 75 ans. La surmortalité enregistrée en 2020, 56 000 décès de plus qu'en 2019 (sur un total de 669 000, toutes causes confondues, pour 2020), touche aussi très inégalement les classes d'âge : elle s'établit à +4% chez les 60-69 ans, +14% chez les 70-79 ans, +9% chez les 80-89 ans et +12% au-delà. Au total, note l'INSEE, les décès des plus de 70 ans ont augmenté de plus de 52 100 en 2020, pour représenter une forte part de la surmortalité la plus importante observée en France depuis 70 ans. On comprend donc à la lumière de ces chiffres à quel point la maladie du Covid-19 touche toujours en priorité les tranches d'âges les plus âgées. Néanmoins, la vaccination des plus jeunes, jusqu'aux 12-18 ans pourrait répondre à plusieurs impératifs, pas forcément médicaux, puisque le premier de ces impératifs était d'éviter de discriminer les plus âgés et les plus vulnérables en leur imposant à eux seuls les mesures de restrictions et de distanciation sociale et la vaccination. Au lieu de cela, le principe d'égalité a divisé aujourd'hui plus proprement la population en deux : ceux qui sont vaccinés et ceux qui ne le sont pas.
A ce point de la réflexion, je vois, entre moi et l'objet de mon étude dépassionnée, s'interposer le masque antipathique de Bernard Kouchner qui a tenu à la ramener une nouvelle fois, alors que tout, dans les événements récents, devrait amener cette vieille crapule à faire profil bas. Au lieu de cela, Kouchner prend la parole dans les médias pour dénoncer les « traîtres » qui ne sont pas vaccinés. Voilà que la fureur m'envahit à nouveau et que mon étude devient soudain moins dépassionnée. Les types comme Kouchner doivent susciter des dizaines de vocations antivax par jour mais quoiqu'il arrive, ils sont toujours là, increvable, inoxidables, c'est qu'ils doivent bien servir à quelque chose au bout du compte. Comme disait Jacques Laurent, il arrive toujours un moment où l'on a besoin d'un service à asperges. Je n'ai pas encore trouvé le moment où j'aurais besoin de ce type de vaisselle ou de l'avis de Bernard Kouchner mais laissons-donc cette vieille asperge de côté et reprenons le cours de notre enquête.
L'enquête continue
Qu'est-ce qui peut bien pousser les pouvoirs publics à prétendre transformer en enfer sanitaire la vie de millions de leurs concitoyens au nom de la lutte contre un nouveau variant, certes bien plus contagieux mais visiblement beaucoup moins létal. Ainsi, la Grande Bretagne, avec plus de 50 000 contaminations par jour (en France, moins de 10 000 !), a décidé de lever les dernières restrictions sanitaires. Soit les Anglais sont fous, soit les Français ! Ou alors tout le monde est complètement cinglé, ce qui n'est pas à exclure non plus. Ne convient-il pas de remettre un peu dans la balance la lutte contre l'épidémie au regard des conséquences sociales, économiques, culturelles et humaines terribles elles aussi que cette lutte a pu entraîner ? Pourquoi vouloir vacciner massivement ceux qui transmettent encore le virus à leurs aînés ? Est-ce implicitement reconnaître que les vaccins ne protègent pas tant que cela des formes graves ? Ou s'agit-il bien de boucler définitivement le dossier Covid avant les élections ?
Comme toujours, la réponse est à la fois multiples et un peu plus compliquée. Premièrement, une partie des + de 65 ans, c'est-à-dire celles et ceux qui ont le plus immédiatement intérêt à le faire, n'est pas vaccinée. En fait, en juin dernier, près d'un quart des + de 75 ans n'a toujours pas été vaccinée et risque donc, à l'automne, d'être prise en charge dans des proportions encore inconnues par l'hôpital public. Dans une société aussi médicalement protectrice que la nôtre dans des conditions « normales », les hôpitaux se retrouvent très rapidement en situation de saturation. Il faut donc faire en sorte que le plus de personnes possibles soient vaccinées pour que le virus ne tue plus, ou presque, et l'on ne peut pas forcer uniquement les plus de 75 ans à le faire sous la menace. Ce serait méchant, ce serait discriminant et surtout cela risquerait même d'être inconstitutionnel et antidémocratique. On vaccine donc tout le monde de manière égalitaire. CQFD. Si les raisons de la politique actuelle s'éclairent un peu plus sur le plan légal et politique, médicalement je ne vois toujours pas le sens de la politique poursuivie. C'est que l'enquête, dans ce domaine précis, doit progresser.
L'enquête progresse
Une autre raison à cette politique fortement incitatrice, et à la vaccination massive des tranches d'âge en dessous de soixante ans, voire jusqu'à – pour le moment – douze ans, apparaît assez clairement quand on se donne la peine d'y réfléchir même si elle est quelque peu contre-intuitive ou pas très rassurante. Premièrement, une certaine paresse de l'esprit nous invite à penser que tout ceci va finir un jour et revenir « à la normale ». C'est faux. La première victime du Covid a été la normalité. Du moins la normalité que l'on avait tendance avant à trouver normale, si vous me suivez bien. Celle-ci, cette normalité normale d'avant que l'on aimait bien même si on la critiquait souvent, est morte. Les variants d'un virus très vraisemblablement échappé d'un laboratoire chinois en raison de la négligence ou de l'incompétence humaine peuvent tout à fait se multiplier dans les années qui viennent et exposer l'humanité toute entière au risque de voir soudain un variant devenir beaucoup plus létal pour l'ensemble des classes d'âge de toutes les populations. Ce scénario a sans doute du mal à être acceptable, en particulier pour les populations de régions du monde comme les nôtres, habituées à être protégées depuis des décennies des catastrophes et crises sanitaires ou humanitaires en tous genres mais il n'en reste pas moins qu'il s'agit d'un scénario aussi probable que celui de voir le coronavirus être définitivement éradiqué.
L'autre raison qui justifie la vaccination pour toutes les classes d'âges découle de la précédente et elle est aussi contre-intuitive pour qui ne réfléchit que dans le moment présent. Les chiffres donnés par l'INSEE ou Santé Publique France prouvent sûrement à l'évidence que les plus âgés sont très majoritairement victimes du coronavirus et que les plus jeunes sont presque intégralement épargnés mais le problème est que les jeunes vieillissent et que le coronavirus n'a peut-être pas craché son dernier variant. L'objectif serait donc, à l'aide d'une politique de vaccination massive, de sauver immédiatement les plus âgés tout en armant les plus jeunes pour faire face aux futures vagues épidémiques. En un sens, les opposants au vaccin ont raison d'affirmer que les vaccins demeurent des expérimentations menées à l'échelle mondiale. C'est en effet le cas et l'expérimentation vise à améliorer le plus rapidement possible, dans une optique de long terme, les différents outils vaccinaux mis à disposition ainsi que la technologie toute récente de l'ARN messager.
L'enquête piétine
A ce stade de notre enquête, nous voilà convaincus que la politique de vaccination massive est mise en place, non pas seulement pour servir des buts politiques de court-terme, même si c'est le cas aussi, mais aussi pour développer une politique sanitaire efficace sur le long terme et faire preuve de prévoyance face à un avenir totalement incertain. Ce serait sans doute une belle et noble entreprise mais elle se heurte à quelques questionnements qui ont décidément la vie dure. Le premier d'entre eux concerne les effets à long terme des potions magiques vaccinales. La question se pose plus particulièrement dans le cas des populations jeunes dont le système immunitaire semble massivement répondre de façon plus efficace au Covid-19. L'injection précoce, à des individus de douze à dix-huit ans, dont l'organisme est encore en plein développement, d'une solution miracle vaccinale à ARN messager, ne risque-t-elle pas d'induire à plus long terme des effets secondaires que nous ne verrons apparaître que dans cinq, dix ou quinze ans ? On ne parle pas ici des effets indésirables immédiatement constatés après injection des Pfizer, Astra Zeneca et autre Moderna, qui restent statistiquement risibles, mais d'effets à beaucoup plus long terme. Dans cette optique, est-il bien raisonnable de sacrifier les jeunes générations pour servir de base d'expérimentation et dans le but d'éviter absolument la contamination des plus âgés et des plus vulnérables ?
Depuis le début de l'épidémie, les gouvernants n'ont pas eu la tâche facile, en devant établir la balance entre impératifs socio-économiques et impératifs sanitaires mais le dilemme posé par la vaccination des plus jeunes est plus cornélien encore. Les solutions vaccinales administrées aux plus jeunes peuvent-elles avoir des effets inattendus dans les décennies qui viennent ? Nombre de médecins et d'experts, surtout ceux que l'on voit le plus défiler sur les plateaux de télé, balaient cette question d'un revers de main. Au vu de l'histoire de l'humanité, on dira qu'on connaît la chanson et que l'on sait à quoi s'en tenir quant aux assurances des experts d'hier qui deviennent les surpris de demain. Le bénéfice d'une vaccination de masse surpasse-t-il les risques à long terme inhérent à ce type inédit d'exercice sanitaire ? La seule réponse vraiment honnête à cette question est : on ne sait pas.
Un QR code pour les rassembler tous
Ce que l'on sait en revanche avec certitude, ce que l'on peut mesurer beaucoup plus concrètement, c'est le saut de civilisation que nous fait accomplir l'accélération de la politique sanitaire et l'instauration d'un pass sanitaire obligatoire qui ne dit pas son nom (du moins, tant qu'il n'a pas été voté en l'état par le parlement). On peut observer depuis deux décennies l'avènement d'une civilisation dans laquelle, peu à peu, la notion d'intimité devient caduque et dans laquelle l'individu peut être identifié, labellisé, enregistré, contrôlé et étiqueté comme jamais auparavant dans l'histoire de l'humanité. Aujourd'hui, des algorithmes décident d'embaucher ou de licencier les employés de grandes firmes et cela aussi n'est rien en regard de la fantastique opération de surveillance consentie à laquelle les réseaux sociaux soumettent des milliards d'individus depuis deux décennies, l'ironie cruelle réside d'ailleurs dans le fait qu'une bonne partie des « anti-système », des autoproclamés membres d'une dissidence fantasmée ou les opposants aux politiques dites liberticides vivent eux-mêmes en esclavage, heureux et emmurés dans leur compte Twitter, Facebook ou Instagram. L'algocratie est au service de l'ochlocratie. Le pire est que nous ne sommes pas subitement devenus esclaves des machines, comme si elles représentaient une entité hostile et extérieure à nous. Nous avons créé des machines et des outils technologiques qui répondent au moindre de nos désirs et existent pour satisfaire tout à la fois notre soif sans limite et contradictoire d'égalité, de liberté, de confort, de sécurité et de puissance et, plus encore, pour satisfaire notre paresse.
La politique vaccinale, et la quasi obligation pour l'ensemble de la population française de posséder son pass sanitaire muni de son QR code pour pouvoir accéder à une vie sociale, vient ajouter une pierre au très solide édifice de la surveillance consentie par tous. L'application #TousAntiCovid fut un échec retentissant à ses débuts. L'avènement du pass sanitaire, que Jean Castex jurait il y a quelques mois qu'il ne serait jamais mis en place, vient la ressusciter et créer à grande échelle un nouveau format de document d'identification, cette fois totalement électronique et autorisant le croisement entre données d'identité et de santé sans que la CNIL n'ait vraiment eu l'occasion de broncher. Ce n'est pas tant d'ailleurs une politique purement machiavélienne qu'une série de décisions entraînées par la fantastique force d'inertie d'une gestion de crise centralisée et administrative. La fantastique machine sanitaire mise en place depuis le début de l'épidémie tourne à plein régime. Des centaines de millions de doses de vaccins ont été commandées par les pouvoirs publics. Des centaines de milliards ont été investis pour maintenir l'économie du pays sous perfusion. Des armées de soignants ou même de bénévoles ont été mobilisés pour assurer une prise en charge à très grande échelle de la population. On ne fait pas changer de cap aussi facilement à un tel paquebot. Au-delà même de la nécessité sanitaire, la mise en place du pass sanitaire n'est que la conséquence attendue d'une mécanique de gestion étatique et administrative qui échappe aux hommes. Le Leviathan a relevé la tête et rien ni personne ne saurait se dresser sur le chemin du plus froid des monstres froids.
Il se trouve simplement que cette nouvelle ère, dans laquelle nous entrons, de l'interventionnisme ou du dirigisme d'Etat – comme chacun voudra le considérer – enclenché par la plus grave pandémie depuis le début du XXe siècle, s'inscrit parfaitement dans une évolution à la fois technologique et anthropologique que l'on peut dater du début du XXIe siècle. Nul ne sait encore où elle nous mènera mais rien ne peut l'arrêter. Il y a soixante-dix ans de cela, le critique d'art russe Wladimir Weidlé, évoquait l'avènement de « l'homme-échantillon » dans le contexte de la modernité triomphante des années 1950. Arrivant à la fin de cette petite enquête, nous en conclurons que nous ne savons pas grand-chose de plus sur le bienfondé de la politique vaccinale de masse sur le plan médical mais que sur le plan culturel et social, le 12 juillet 2021 aura marqué un tournant historique et anthropologique en faisant advenir la civilisation du QR code. Merci d'avoir suivi cette enquête. Vous pouvez reprendre une activité normale. N'oubliez pas de vous rendre si besoin au centre de mise à jour sanitaire le plus proche. Souriez, vous êtes scannés.
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