A l’occasion de
l’exposition L’Ange du bizarre au musée d’Orsay, certaines lectures nous
sont remontées à la gorge, comme un goût de vin fort, et nous ont projetées
dans la nuit voluptueuse des maudits. Ceux qui tournent le dos aux Lumières
conquérantes pour s’en remettre aux esprits de la nature et aux démons des
êtres.
En
1667, Le paradis perdu (1667) de John Milton pose les premières pierres
du romantisme noir. Ce long poème épique relate le cheminement tragique de
Satan : chassé du ciel, puis instrument de la chute d’Adam et Eve, sa
liberté consiste à préparer, à son corps défendant, la venue du Christ
rédempteur. Le Prince des Ténèbres apparaît pour la première fois comme
l’archétype du anti-héros dont la révolte témoigne à la fois de la volonté de
vivre et de la tragique destinée. Il revêt en quelque sorte les habits de
l’humanité, marquée par le sceau du péché originel, qui reproduit ici-bas la
lutte métaphysique des premiers jours. Et dans cette lutte, Milton décrit le
personnage de Satan comme le révolté universel dont l’ultime mot d’ordre marque
une certaine grandeur d’âme : « Il vaut mieux régner en enfer que de
servir au ciel ».
« Ainsi ce dernier monde, comme le premier, ira sans cesse
de mal en pis, jusqu’à ce que Dieu, fatigué enfin de leurs iniquités, retire sa
présence du milieu d’eux, et détourne ses saints regards, résolu d’abandonner
désormais les hommes à leurs propres voies corrompues et de se choisir parmi
toutes les nations un peuple de qui il sera invoqué, un peuple à naître d’un
homme plein de foi. »
Un
siècle plus tard, c’est un autre poète anglais, William Blake, nourri de
néo-platonisme, de mysticisme et de christianisme, qui proclame l’unité du
genre humain et réclame, selon le titre même de son poème, Le mariage du
Ciel et de l’Enfer (1790). La Création et la Chute sont intimement liées
pour faire de cette terre l’antichambre de l’enfer. L’être véritable doit
rééquilibrer les forces du monde, c’est-à-dire faire sa part au bien (la
raison) et au mal (l’énergie) pour dépasser sa propre condition humaine. Dans
son texte en prose Milton, Blake rend hommage à son illustre ancêtre et
rappelle la tâche du « poète-prophète » : renverser l’image du
« Dieu de ce monde » et abattre Satan pour ouvrir les voies à une
« religion de l’Art pour la Vie Eternelle ».
« Telle la tempête noire surgissant du Chaos d’au-delà des
étoiles,
Il se fait jour par les sombres cavernes enchevêtrées de la
Coque du Monde,
Dépassant les visions planétaires et le Firmament si bien orné.
Le soleil roule dans le Chaos et les étoiles dans les Déserts,
Puis les tempêtes deviennent visibles, audibles et
terribles ;
Recouvrant la lumière du jour et roulant sur les montagnes,
Elles inondent tout le pays alentour ».
Les
souffrances du jeune Werther (1774) annoncent
également la vague romantique, le Sturm und Drang (« Tempête et
Elan ») allemand. Gœthe y narre les tribulations sentimentales d’un jeune
homme qui met fin à ses souffrances par le suicide. Mais son texte le plus
marquant reste Faust (1808). Le poète insiste sur l’ambivalence de la
nature humaine à travers les interrogations de Faust, héros déchiré entre le
rêve surhumain et la réalité désespérante. Il finit par vendre son âme à
Méphistophélès, incarnation du diable, et subir en retour le châtiment divin.
« Le Seigneur. Connais-tu Faust ?
Méphistophélès.
Le docteur ?
Le
Seigneur. Mon serviteur !
Méphistophélès.
Oui-dà ! Il faut avouer qu’il vous sert d’une étrange manière ! Le
fou ne saurait se nourrir de choses terrestres ; l’angoisse qui le
travaille le pousse dans les espaces, il a à moitié conscience de sa
démence ; il veut du ciel les plus belles étoiles, et de la terre chaque
sublime volupté, et, de loin ou de près, rien ne saurait apaiser l’insatiable
aspiration de sa poitrine ».
En
associant le spleen et l’ironie grinçante, Baudelaire magnifie, lui aussi, la
déréliction que produit le monde moderne. Profondément marqué par la
malédiction qui entache l’homme depuis le péché originel, il voue aux gémonies
la « multitude vile » et constate, sans relâche, l’étrange
imbrication voire la confusion qui mêle l’horreur à l’extase, et vice-versa.
Lecteur assidu de Blake, il se tourne également vers l’art poétique, seul
capable de sublimer la réalité infernale et de rendre son dû à l’imagination,
« reine des facultés ». Les Litanies de Satan exposent la
prééminence du mal ici-bas et annoncent, finalement, le ralliement du poète au
Prince de ce monde.
« Gloire et louange à toi, Satan, dans les hauteurs
Du ciel, où tu régnas, et dans les profondeurs
De l’Enfer, où, vaincu, tu rêves en silence !
Fais que mon âme un jour, sous l’Arbre de Science,
Près de toi se repose, à l’heure où sur ton front
Comme un Temple nouveau ses rameaux s’épandront ! »
Dans
le sillage de l’auteur des Fleurs du Mal, un poète poursuit et
approfondit encore la détestation du monde, faisant de la noire mélancolie une
exultation rageuse. Le comte de Lautréamont (Isidore Ducasse, 1846-1870)
déploie sa verve outrancière et déroutante dans Les chants de Maldoror
pour mieux dénoncer l’ineptie de toutes les postures, comme de toutes les
pensées. Le personnage central, Maldoror, est tout entier régi par le
Mal : le sarcasme, l’irrespect, l’ironie, le sadisme balisent les voies
d’une révolte systématique contre la vie elle-même. Seule l’ironie parvient à
atténuer la présence du mal, dont le slogan « détruire pour
détruire », exprime toute l’étendue.
« Voici la folle qui passe en dansant, tandis qu’elle se
rappelle vaguement quelque chose. Les enfants la poursuivent à coups de pierre,
comme si c’était un merle. Elle brandit un bâton et fait mine de les
poursuivre, puis reprend sa course. Elle a laissé un soulier en chemin, et ne
s’en aperçoit pas. De longues pattes d’araignée circulent sur sa nuque ;
ce ne sont autre chose que ses cheveux. Son visage ne ressemble plus au visage
humain, et elle lance des éclats de rire comme l’hyène. Elle laisse échapper
des lambeaux de phrases dans lesquels, en les recousant, très-peu trouveraient
une signification claire. Sa robe, percée en plus d’un endroit, exécute des
mouvements saccadés autour de ses jambes osseuses et pleines de boue. Elle va
devant soi, comme la feuille du peuplier, emportée, elle, sa jeunesse, ses
illusions et son bonheur passé, qu’elle revoit à travers les brumes d’une intelligence
détruite, par le tourbillon des facultés inconscientes. Elle a perdu sa grâce
et sa beauté primitives ; sa démarche est ignoble, et son haleine respire
l’eau-de-vie. Si les hommes étaient heureux sur cette terre, c’est alors qu’il
faudrait s’étonner. La folle ne fait aucun reproche, elle est trop fière pour
se plaindre, et mourra, sans avoir révélé son secret à ceux qui s’intéressent à
elle, mais auxquels elle a défendu de ne jamais lui adresser la parole. Les
enfants la poursuivent, à coups de pierre, comme si c’était un merle. »
On le voit, le romantisme est sombre, tragique et, à certains égards, maudit puisque le premier rôle revient très souvent à l'Adversaire par excellence : celui du Mal incarné, quels que soient les masques dont il s'affuble (Satan, Lucifer, Maldoror, etc.). Ne nous y trompons pas, il ne s'agit pas d'une détestation irrémissible à l'endroit du catholicisme, mais d'une posture décadente, tragique et morbide à l'encontre d'un monde tout entier gouverné par la Raison. Et ce nouveau Dieu nécessite de réactiver les anciennes figures mythiques du Rebelle et du Réprouvé, ne serait-ce que pour accepter la réalité sèche, rugueuse et uniforme de la nouvelle société, et dire : "J'en n'étais pas".
Musée d'Orsay
Exposition temporaire
Qu'il est chiant et pompeux votre article !
RépondreSupprimerJe suis tombé sur votre blog parce je suis intéressé par l'expo au musée d'Orsay. Je me passerai de vos commentaires pour me faire ma propre opinion (en espérant que vous ne faîtes pas aussi les commentaires des œuvres exposées).
Longue vie à votre blog tout de même (on est tous le chiant d'un autre)
Cher ami,
RépondreSupprimerVous avez toute votre place dans la confrérie des idiots même si, je dois vous l'avouer, vous partez avec un niveau d'intelligence et de subtilité redoutable dont il va falloir vous départir pour atteindre le degré supérieur, celui de simple idiot.
En attendant, si vous parvenez à vous faire votre propre opinion (?) sur l'expo, disons que ce sera toujours cela de pris...