dimanche 28 avril 2013

Rien ne se passe comme prévu



Le mot « aveuglement » revient fréquemment, pour décrire aussi bien le travail de la presse que les motivations des acteurs politiques, dans la chronique de la campagne présidentielle de 2012 réalisée par Laurent Binet, fort bien intitulée Rien ne se passe comme prévu. L’auteur lui-même, qui a suivi le candidat Hollande, de la déclaration jusqu’à la consécration, s’avoue souvent, avec humilité, relativement aveugle et bien incapable de prédire aussi bien les événements à venir que l’agenda au jour le jour d’un François Hollande difficile à suivre dans ses pérégrinations de présidentiable. Laurent Binet n’est pas journaliste, il l’admet fort bien, et se trouve souvent emprunté dans son rôle de Yasmina Reza socialiste. « Vais-je me faire aussi inviter à danser par le futur président ? », se demande le modeste chroniqueur, qui peine à suivre un Hollande pourtant aussi fuyant qu’indéchiffrable.
            C’est en effet l’image qui s’impose après la lecture assez instructive du petit ouvrage de Laurent Binet : celle d’un Hollande aux décisions souvent bien peu lisibles, imprévisible et secret jusqu’à la manie autour duquel bruisse et s’agite un micro-univers de courtisans dont la vision politique est strictement limitée par les ambitions carriéristes et dont les ambitions carriéristes ne peuvent s’échafauder sur plus de quelques jours, en fonction de la faveur ou de la défaveur dans laquelle le candidat-futur-président les tient ou les abaisse, suivant ses propres humeurs et sa stratégie du moment. La métaphore affectionnée par Binet pour décrire les apparitions publiques de Hollande tient de la flagornerie cosmique mais symbolise cependant parfaitement la configuration planétaire que les journalistes et pseudo-ministrables organisent autour du candidat : celle d’une comète constituée du noyau présidentiable et de ses proches et, tout autour, d’une « traîne » de gardes du corps, de fidèles, de moins fidèles, de journalistes, de courtisans, d’alliés du jour et de curieux qui tentent l’espace de quelques minutes de s’intégrer au rythme infernal du marathon présidentiel.
            Tout le livre de Binet est bien sûr une course : la course éperdue de l’auteur pour suivre son sujet, la course aux alliances, la course à la petite phrase et, au centre de son « oursin » de perches et de micros, la course de Hollande qui tente de devancer Sarkozy. C’est la qualité principale de l’ouvrage de Binet que de réussir à restituer cet aspect à la fois fascinant et effrayant de la politique moderne, ce mouvement perpétuel, impitoyable et aliénant, auquel est soumis l’ensemble du personnel politique dans le régime des partis. Perdu dans cette vaste empoignade, Laurent Binet est rapidement dépassé et happé par les événements et joue son rôle de scribe et de groupie socialiste avec modestie et une cécité quelquefois confondante. Bien qu’on soit touché par l’honnêteté de l’auteur qui confie avec lucidité être rapidement incapable d’avoir le moindre regard objectif sur son candidat-sujet, on est un peu surpris par les conclusions qu'il tire de l’observation de l’animal politique in vivo. Ainsi Laurent Binet confie-t-il être impressionné par la « stratégie » habile de Hollande qui consiste à encaisser les critiques et à les retourner contre ses adversaires. On aurait pas pensé, avant la lecture de Rien ne se passe comme prévu, que l'art de la politique puisse consister en la capacité à esquiver et rendre les coups…
            En dépit des poses de Candide amoureux de L. Binet et de l’écriture quelquefois un peu faible de Rien ne se passe comme prévu, l’ouvrage n’interdit pas d’éprouver, tempérée par la distance dont jouit le lecteur, la fascination pour cette grande course vaine après le pouvoir qui se déroule frénétiquement jusqu’au 6 mai. Il permet aussi de mesurer la condescendance entretenue à l’égard de l’électorat par les politiques et par l’auteur lui-même qui qualifie avec une ironie cruelle de « moment Ken Loach » la rencontre avec des ouvriers de Florange. On voit d’ailleurs à cette occasion à quel point François Hollande peut se montrer mal à l’aise sur ce terrain, ainsi que l’absence complète de proposition politique portée par l’une des deux grandes formations en campagne dans le domaine économique et industriel. Après une confrontation houleuse et éprouvante avec un salariat dépité, le candidat et son staff retrouvent avec plaisir les ésotériques mais rassurantes arcanes de la stratégie électorale et s’inquiètent plus de la percée de Jean-Luc Mélenchon que de la question de la désindustrialisation, un problème pour lequel, vraiment, personne n’a de solution à proposer. Quant à l’électeur, on comprend qu’il se divise grossièrement en deux catégories : le vaste et hétéroclite peuple de gauche dont il faut rassembler les forces puisque l’élection, stratégiquement, se gagne là et...ceux d’en face, auxquels Binet va d’ailleurs rendre visite à l’occasion d’un meeting sarkozyste, croyant bon à l’occasion de se « déguiser » en militant de droite, avec le Figaro sous le bras et la raie sur le côté. On ne sait s’il éprouve le besoin de brandir Libération et de porter le kéfié quand il retourne chez les socialistes…
            La lecture de Rien ne se passe comme prévu est plus instructive aujourd'hui,  dix mois après la victoire de François Hollande, car elle montre d’une part des politiques qui ne semblent plus capables de comprendre autre chose que la politique, ce qui pourrait sembler sémantiquement normal mais apparaît un peu effrayant quand on se rappelle que tous aspirent à l’exercice de l’Etat. Elle montre enfin un François Hollande qui navigue dans la campagne tel qu’il se montre aujourd’hui à la tête du pays : fermé et replié sur lui-même et maître d’un agenda que lui-seul semble connaître et comprendre. En dépit de l’admiration de Binet pour la « stratégie » de son candidat, on saisit mieux la nature de cette stratégie qui consiste à encaisser avec rondeur les attaques en attendant qu’un Sarkozy déjà usé par le pouvoir soit balayé par le mécontentement populaire qui profitera à un candidat socialiste serein et inamovible. Il est d’autant plus intéressant de retrouver ce François Hollande là, dont le discours au soir du 6 mai, d’une platitude effrayante, augurait le règne, après dix mois qui n’ont pas révélé le moindre écart entre la manière de conquérir le pouvoir et celle de l’exercer. A l’heure où le chef de l’Etat a réussi à diviser durablement le pays sur une question sociétale, avant même de se confronter réellement aux véritables enjeux de sa présidence, et semble décrédibilisé au point d’être surnommé « Monsieur Faible » ou « Pépère » par deux grands magazines d’opinion, la stratégie du roc semble toujours de mise. Enigmatique et fermé, Hollande poursuit son tête à tête avec le pays de la même manière qu’il menait le débat face à Nicolas Sarkozy : en faisant le dos rond et en attendant que ça passe. Pas sûr que cette fois tout se passe comme prévu.

Laurent Binet. Rien ne se passe comme prévu. Grasset. 2012

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire