dimanche 29 septembre 2013

La dictature du premier venu



Les années trente ont été le cadre en Europe, et particulièrement en France, d’une des plus graves crises qu’ait eu à affronter la démocratie libérale. La remise en cause des principes de la démocratie représentative a été à ce moment largement influencée par les expériences totalitaires menées un peu partout en Europe. A ce titre, la première guerre mondiale puis la Révolution bolchévique ont ménagé une rupture déterminante en favorisant l’émergence d’une nouvelle culture politique en Europe. Comme le rappelle Robert O. Paxton dans son ouvrage Le Parti unique et Drieu la Rochelle :

Il fallut attendre les lendemains de 1914 pour qu’un régime quelconque pût faire l’expérience concrète d’un parti unique de masse. Il fallut la guerre et la révolution pour déblayer le terrain de cette expérience, et l’arrivée d’une ère où le parlementarisme pluraliste eût cessé d’offrir du nouveau à tous les mécontents.

La guerre de 1914-1918 a en premier lieu libéré des forces nouvelles en réalisant la promesse de « l’identification de l’individu à la contrainte absolue de l’appartenance. L’individualisme, autrement dit, s’affirme au travers de l’assomption du holisme. »[1] La guerre a arrêté les expériences esthétiques, psychologiques et idéologiques du XIXe pour les verser au creuset du conflit et forger un nouvel outil de pensée qui va s’affirmer peu à peu à travers la période de maturation des années trente et jusqu’à la veille de la seconde guerre mondiale.
Dans ce contexte particulier, alors que le régime de la démocratie libérale fait face à une contestation sans précédent, les institutions culturelles revêtent une importance déterminante en tant que médiateur de l’opinion. Les années d’entre-deux guerres consacrent déjà le « pouvoir intellectuel » [2] en France tandis que « l’engagement » devient une valeur cardinale pour tous ces essayistes et écrivains. La cacophonie qui résulte des engagements multiples et contradictoires de tous ceux qui considèrent à tort ou à raison comme leur devoir d’influer directement sur le cours des décisions politiques contribue largement à entretenir cette atmosphère de guerre civile verbale et de confusion intellectuelle qui marque la fin des années trente en France. En mars 1939, six mois après la signature des accords de Munich, Jean Paulhan, directeur de la N.R.F., produit un article tout à fait étonnant intitulé : « La démocratie fait appel au premier venu ». La première caractéristique de ce court essai est de développer une virulente charge à l’encontre des élites intellectuelles, des « princes de la pensée », qui, selon Paulhan, ont contribué, par leurs engagements contradictoires, à décrédibiliser le régime du pluralisme d’opinions dont Paulhan est pourtant un des défenseurs les plus fervents. Paulhan entend bien cependant se défendre d’instruire le procès de l’intelligence au profit du populisme :

Et Dieu me garde de dire le moindre mal de l’intelligence. Il en faut. Il faut des savants et des techniciens. Je crois seulement - si du moins je suis démocrate - que là où les techniciens et savants sont en dispute (comme ils ont coutume) le dernier mot doit revenir - plutôt qu’à un accord nègre-blanc entre spécialistes qui satisfait apparemment chacun, et nuit à tous - à l’Arbitrage, à l’Arbitraire de qui n’est ni savant, ni astucieux, ni génial, ni particulièrement doué d’éloquence, ni fort en thème, ni champion d’aucun sport. De qui ne tient sa fonction ni de ses mérites éclatants, ni de son charme, ni d’un plébiscite. Du premier venu, j’y reviens.[3]

Ce passage, en particulier, de l’article de Paulhan a suscité beaucoup d’interrogations. Qu’entendait le directeur de la N.R.F. par le recours « à l’Arbitrage, à l’Arbitraire » ? Quel est donc par ailleurs le visage de cet énigmatique « premier venu » auquel il fait appel ? Ne serait-ce pas, comme l’a déjà souligné Antoine Compagnon[4], la tentation du césarisme qui habite ici le philosophe-écrivain, réclamant un Etat fort et charismatique capable de subjuguer ses adversaires et de s’affranchir de la dissension ?
Dans une des rares tentatives d’interprétation du texte de Paulhan, Laurent Jenny récuse pourtant cette interprétation. Paulhan, écrit-il, pour fonder radicalement la démocratie, reprend le geste maurrassien qui justifie le royalisme : c’est-à-dire l’idée que c’est dans l’Arbitraire que réside l’unique chance d’un Arbitrage. Seuls diffèrent les modes de production de cet Arbitraire : ici l’indifférenciation que la démocratie postule entre les hommes, là le jeu purement contingent de l’hérédité[5]. Cet apparent paradoxe, explique encore Laurent Jenny, peut être retrouvé dans les écrits de G.K. Chesterton qui esquisse peut-être dans Orthodoxie la genèse intellectuelle de la doctrine que Paulhan précise dans « La Démocratie fait appel au premier venu » :

Le véritable terrain sur lequel le christianisme et la démocratie se rencontrent est beaucoup plus sérieux. Si jamais notre foi discute le principe du gouvernement, elle doit nous dire la chose suivante : l’homme qui devrait gouverner est celui qui ne pense pas être capable de gouverner. […] : nous ne sommes pas tenus de couronner l’homme exceptionnel qui sait qu’il peut gouverner. Il nous faut  plutôt couronner l’homme beaucoup plus exceptionnel qui sait qu’il en est incapable.[6]

Ce paradoxe chestertonien en amène un autre qui n’a sans doute pas échappé à Paulhan, c’est que le principe du vote est profondément chrétien : « Mais solliciter des suffrages est tout à fait chrétien dans son principe, écrit encore Chesterton. C’est encourager les humbles ; c’est dire à l’homme modeste: ²Ami, monte plus haut.² »[7] En suivant le même cheminement, Paulhan a pu en arriver ainsi à une conclusion là encore parfaitement chestertonienne, c’est que la démocratie se  renie quand elle donne voix aux puissants, à ceux que Paulhan appelait les « princes de la pensée », mais qu’elle se réalise pleinement quand elle sollicite « le premier venu ».
La tentative  de Chesterton de penser la relation entre gouvernés et gouvernants, entre peuple et pouvoir, et l’appel de Paulhan à « l’Arbitrage, à l’Arbitraire » du « premier venu », pourrait se rapprocher de ce que Pascal énonce dans ses Pensées : « On ne choisit pas, écrit ainsi le philosophe dans la pensée n°30, pour gouverner un vaisseau celui des voyageurs qui est de la meilleure maison. » Pour Pascal, en effet, l’appel au mérite personnel, et à ce que l’auteur des Pensées nomme la « grandeur naturelle » ne peut guère éveiller que l’égoïsme et la concupiscence de ceux qui, pour affirmer leur propre grandeur, tendront à ne plus se concentrer que sur la conquête du pouvoir et à rivaliser d’orgueil et de fatuité. Le pouvoir, nous dit Pascal, n’est pas nécessairement justifié par la grandeur naturelle de celui qui l’exerce, mais il l’est par une grandeur d’apparat qui maintient les formes protocolaires nécessaires à sa justification et à l’harmonie sociale en faisant accepter de tous la préséance nécessaire de certains :

Tout cet appareil auguste était fort nécessaire, et si les médecins n’avaient des soutanes et des mules, et que les docteurs n’eussent des bonnets carrés et des robes trop amples de quatre parties, jamais ils n’auraient dupé le monde qui ne peut résister à cette montre si authentique. S’ils avaient la véritable justice, et si les médecins avaient le vrai art de guérir ils n’auraient que faire de bonnets carrés.[8]

La conception défendue par Paulhan de l’exercice du pouvoir et du rôle du « premier venu » n’est pas si différente de celle de Pascal. La démocratie représentative repose, Paulhan l’admet implicitement, sur une part de fiction et sur une part d’Arbitraire. Le « premier venu » de Paulhan assumerait dans l’exercice du pouvoir cette situation de par le crédit que lui accorde le peuple. Pour Pascal, les lettrés, qui se servent de leur science à seule fin de s’attirer les grâces du peuple ou de complaire à l’opinion générale, se comportent en tyrans car ils confisquent à leur profit cette relation paradoxale entre le pouvoir et ceux qui le subissent, en oubliant la loi qui détache soigneusement la grandeur naturelle et la grandeur d’apparat.
Philosophe du langage, l’auteur des Fleurs de Tarbes qui avait par ailleurs consacré ses premiers travaux de linguiste aux Hains-Tenys, aux proverbes populaires malgaches, savait à quoi s’en tenir quant à la « voix du peuple » qui, volatile et changeante par essence, ne parvient jamais à constituer, ne serait-ce qu’un instant, une forme fixe qui lui permette d’exister. La « voix du peuple », pour Paulhan, avant de se déployer au travers de discours perpétuellement contradictoires sur ce forum de la démocratie moderne qu’est la place publique, de l’homme de la rue à la scène politique, se forme tout d’abord en des méandres insaisissables dans notre « for intérieur », qui n’est ni plus ni moins qu’un « forum intérieur ». Nous nous trouvons ballotés par le peuple bigarré de nos émotions avant de réussir à trouver en nous une voix qui s’exprime. « Je ne suis pas fâché, écrit Paulhan, qu’il me faille être démocrate le matin, l’après-midi aristocrate et le soir royaliste. Ce qui peut, bien sûr, dans l’ensemble, s’appeler libéral. Mais mon libéralisme n’est pas fait de tiédeur, ni d’indifférence. Il est la simple liberté que je prends d’être, suivant le cas, violemment royaliste, vivement aristocrate, démocrate avec ardeur. » Ainsi pourrait-on dire, si les élections, dans le système de la démocratie représentative, ne donnent au peuple, au premier venu, que de rares et courtes occasions d’exercer sa volonté, elles offrent également la possibilité à la fois à tout un chacun et à la nation assemblée de trancher « en son for intérieur », de saisir à un moment donné, à la manière dont un photographe saisit une image, un instantané politique et psychique. Les élections terminées, il ne reste plus au peuple « retombé dans l’esclavage » et au souverain nouvellement reconstitué que la ressource pascalienne de l’imagination pour soutenir, grâce à l’illusion de l’apparat, cette construction fragile et constamment recommencée et cette « duperie nécessaire » que représente l’exercice du pouvoir.

[1] Marcel GAUCHET. L’Avènement de la démocratie, t. III. p. 41
[2] Voir La Trahison des clercs de Julien Benda ou Le scribe de Régis Debray.
[3] Ibid. p. 479-483
[4] Antoine COMPAGNON. Les antimodernes de Joseph de Maistre à Roland Barthes.
[5] Laurent JENNY. « Terreur et lieu commun. » in : Pierre GLAUDES (directeur et éditeur). Terreur et représentation.  Edité par Pierre GLAUDES et Pierre BAYARD. ELLUG. 1996. p. 197
[6] Gilbert Keith CHESTERTON. Orthodoxie. [Climats] Flammarion. 2010. p. 190
[7] Ibid. p. 191
[8] Blaise PASCAL. Pensées. Pensée 44 : « L’imagination. »





jeudi 26 septembre 2013

La guerre juste

       

  « Les principes de légitime défense et de poursuite des agresseurs responsables des dommages causés constituent les piliers de toute intervention militaire. C’est la raison pour laquelle la décision de l’intervention militaire devrait être mise dans les mains de juges et non pas dans les mains d’hommes politiques prêts à user d’une armée de citoyens ou de professionnels pour satisfaire les intérêts privés de ceux qui les ont portés au pouvoir et très souvent pour conforter leur propre pouvoir politique. Rappelons que l’usage de l’armée allemande est dans les mains de la cour constitutionnelle allemande (et non du gouvernement comme le suggère les journalistes mal informés). C'est aussi une différence essentielle avec la théorie de la guerre juste. Le "juge" ou l'"arbitre" et les assureurs dictent les termes de la "guerre juste" et du principe de réparation qui s'ensuit. Il n'y a pas de différence entre un crime ordinaire et une agression par des hommes d'Etat.
Cette question en soulève une autre : celle de la responsabilité des hommes politiques qui engagent les agressions ou qui commanditent des guerres. Ils n'agissent pas par eux-mêmes mais commandent, donnent des ordres. Cette responsabilité est-elle pleine et entière ou bien réside-t-elle partiellement ou en totalité dans les mains de ceux qui exécutent leurs ordres ? La réponse est que cette responsabilité repose entièrement dans les mains de ceux qui exécutent les ordres et non dans les donneurs d'ordre. Là aussi il existe une différence essentielle avec la théorie de la guerre juste. Ce sont les exécutants qu'il faut sanctionner parce qu'ils sont responsables de leurs actes et qu'ils doivent désobéir aux ordres quand ceux-ci violent les droits individuels de tiers innocents. La désobéissance civile ou militaire est la règle que les individus doivent suivre pour empêcher un gouvernement de se lancer dans une guerre "injuste". »


Tiré de: Bertrand Lemennicier , « La notion de guerre ». Professeur agrégé des Facultés de Droit et Sciences Economiques, Université de Paris II, Directeur du LEP (Laboratoire d'Economie Publique/3DI), Janvier 2003.

vendredi 20 septembre 2013

Le retour des dieux cachés

Quelles sont les implications d’une existence sans dieux ? En premier lieu, la propension à oublier ce monde qui nous enlace et auquel nous sommes si totalement liés, aussi bien comme individus que comme espèce. Nous ne sentons plus que nous avons à répondre de cet enlacement qui agit en nous sous les espèces de la mémoire, de l’imagination et de la conscience, et hors de nous sous les espèces de la terre, du soleil, de l’air et de l’eau. Nous oublions que ce ne sont pas là simplement des choses de notre environnement, mais les puissances naturelles et les fibres dont nous sommes faits et qui nous permettent de soutenir l’existence à chaque instant. Ce sont des verbes et pas des substantifs ; or, la notion de sans-dieux étant adverbe, elle qualifie ces verbes, hélas aujourd’hui dans un sens négatif.
C’est de façon inconsidérée que nous concevons la nature en tant qu’environnement extérieur. Penser, et vraisemblablement aussi se remémorer, sont supposés être des choses « non naturelles ». Mais ce qui nous soutient dans l’être comprend aussi bien les activités non matérielles de la pensée, de la mémoire et de la création, que la digestion, la respiration, la locomotion et ainsi de suite. Il est fort possible que ces choses ne soient pas d’un genre si différent, comme peut-être un jour nos sciences l’établiront.
Une telle existence sans dieux signifie que notre espèce se figure être le but final de la création, et peut-être pas seulement de notre minuscule planète, mais aussi, à présent que nous avons franchi les limites de l’atmosphère terrestre, de tout le cosmos dans son amplitude et étendue inconcevables. Cela suppose une capacité à oublier le fait le plus évident de  notre mortalité, à savoir que nous sommes dans la création des tard-venus, et probablement aussi des partants de la première heure. Un autre élément constitutif du caractère monstrueux de la civilisation contemporaine est la dissociation de l’homme, comme individu et comme espèce, à l’égard de l’arrière-plan multiple et illimité de son existence.
Par d’étranges voies, la religiosité conformiste de certains met en évidence le phénomène de l’absence des dieux tout aussi sûrement, si ce n’est plus, que l’athéisme avoué de certains autres. En se raccrochant à un univers centré sur l’homme et en façonnant dieu à notre image, ils abjurent de façon trop caricaturale l’arrière-plan multiple de l’homme qui pense. En insistant sur la croyance – qu’ils ne différencient pas de la foi -, ils montrent qu’ils se défient des idées contemporaines et cèdent à leur atavisme dans le pire sens du mot. Le dieu qu’ils cherchent est toujours le « Dieu de nos pères », et jamais le dieu des enfants de nos enfants. Leur religion semble à peine proposer quelque chose de plus que superstition et consolation. Pour eux, vivre sans dieux reviendrait à nier l’existence physique du dieu des juifs et des chrétiens, que toujours ils représentent comme une Personne et conçoivent en lettres majuscules, un dieu qu’ils prient lorsqu’ils sont en détresse et qu’ils louent quand les temps sont meilleurs. […] Peu nombreux sont ceux qui considèrent sérieusement le fait que d’autres religions du monde ont leur propres dieu ou même leurs propres dieux, et encore moins nombreux ceux qui tiennent compte du fait, pourtant évident, que le dieu des juifs et des chrétiens n’est pas vraiment le même pour chaque croyant. Ceux là ne pourraient pas davantage comprendre la remarque simple et profonde de cet ancien soldat qui disait que « nous avons à répondre de nos actes devant quelque chose, devant quelqu’un – peut-être simplement devant nous-mêmes ».
Si, à la rude lumière des réalités de l’époque, la tentative des hommes de vivre sans dieux paraît avoir échoué, est-il possible de renverser le cours des choses ? Perplexes, certains penseurs sont persuadés qu’on ne peut rien faire. Ils considèrent que notre culture techno-électronique est comme un destin qu’il nous faudrait vivre jusqu’à son accomplissement final. D’après eux, le problème que pose le phénomène de l’absence des dieux ne relève pas d’une crise morale, ou d’un échec de l’homme ; il consiste plutôt en un retrait des divinités du champ de vision humain. Un tel retrait s’est accompli graduellement et lentement au cours des siècles derniers, coïncidant avec la lente ascension de l’homme jusqu’à la domination et l’exploitation de la nature extérieure. Séparé de sa source et de son habitat originel, l’esprit laisse inévitablement place aux idéologies subjectives, qui prennent alors leur essor en conflit les unes avec les autres. Ces idéologies constituent la forme et la substance mêmes de la réalité d’aujourd’hui. Penser que nous pourrions modifier notre destin grâce à une réforme morale, aussi profonde fût-elle, c’est se bercer d’illusions. Les puissances de l’histoire sont supérieures à toutes les résolutions des hommes, y compris celle de l’homme même.
Je reconnais que la réforme morale est loin de pouvoir répondre de façon appropriée au retrait du sens du divin dans l’existence humaine. La religion n’est pas la moralité ; elle est à la fois plus et moins que la moralité. Pourtant, je ne suis pas disposé à accepter la conclusion que rien ne peut être « fait » pour modifier notre destin. Bien qu’une conscience profondément religieuse […] ne soit pas une chose que nous pourrions vouloir ou qui serait en notre pouvoir de faire advenir, elle peut néanmoins surgir quand notre véritable condition nous apparaît avec suffisamment de clarté.
Ce qui signifie que les dieux absents et cachés se révéleront peut-être à nouveau quand nous serons prêts pour leur venue. Il est improbable qu’ils adviennent sous la forme d’une répétition du judaïsme ou du christianisme, encore moins sous la forme d’une religion « étrangère » comme le bouddhisme zen ou d’autres religions. Si jamais ils se manifestent, ce sera probablement d’une nouvelle manière et sous une forme nouvelle. Pourtant, comme toujours en cas de changement profond, la nouveauté est à bien des égards « l’ancien le plus ancien ». Un tel rétablissement de la foi religieuse constituerait une sorte d’autorétablissement de notre société. Par conséquent, il ne pourrait certainement pas avoir lieu sans notre concours, bien que nous ne puissions pas non plus en avoir la maîtrise.


Jesse Glenn Gray. Avant-propos à la nouvelle édition (1970) de Au combat. Réflexion sur les hommes à la guerre. Préface de Hannah Arendt et  introduction de Bruno Cabanes. [Texto]. Editions Tallandier. 2012. pp. 36-39

Note: les crochets [...] indiquent des passages faisant référence à d'autres parties de l'ouvrage qui ont été supprimés ici pour faciliter la compréhension du texte. 


samedi 14 septembre 2013

Gramsci, la culture est un combat




« Nous devons empêcher ce cerveau de fonctionner pendant 20 ans » avait dit Mussolini à la suite de l’incarcération d’Antonio Gramsci en 1926. Secrétaire du Parti communiste italien et chef de son groupe parlementaire, Gramsci est effectivement jugé pour conspiration et condamné à 20 ans d’emprisonnement. Pendant onze années, jusqu’à son décès en 1937, il noircit plus de deux mille feuillets qui constitueront la matière de son œuvre, tout entière contenue dans les Cahiers de prison. La parution d’une belle synthèse (Introduction à Antonio Gramsci de George Hoare et de Nathan Sperber) nous donne l’occasion de revenir sur ce penseur original et plus complexe qu’il n’y paraît au premier abord. En effet, le penseur italien voit la réalité là où elle commence, dans la rue, puis remonte la colonne vertébrale de l’être pour comprendre que cette réalité se niche dans la tête de l’homme (comme représentation), et si l’on monte encore, on finira par trouver que cette tête, une fois coupée, roule dans le pannier commun que l’on nomme « culture ». C’est donc dans un paysage abstrait, décérébré, que la vraie lutte se déroule, à la condition bien sûr d’être parti de la plus plate des réalités. 

         On l’aura compris, Gramsci est un penseur de la culture. D’où vient-il ? Fils d’une famille pauvre de Sardaigne, il intègre l’université de Turin grâce à une bourse d’études et s’engage dans le métier de journaliste, autant par convictions politiques que par goût de la littérature et des arts. D’emblée, il récuse l’acception classique de la culture comme « système de valeurs » pour lui préférer une conception dynamique articulée autour de la « succession de pratiques quotidiennes ». Penseur de la complexité, Gramsci n’omet pas la dimension individuelle (conquête d’une conscience supérieure) comme il ne néglige pas les contraintes politiques (domination d’une élite culturelle) de ce processus ancré dans l’histoire.

Dans ce contexte, l’intellectuel ne doit pas être considéré comme une figure particulière (clerc, philosophe, etc.) qui devise des affaires du monde, mais comme un acteur social engagé dans la production et la diffusion du savoir dans la société. Il existe, dès lors, deux grandes catégories : d’une part, l’« intellectuel organique » qui remplit un rôle d’éducateur et d’organisateur auprès d’une classe sociale et, d’autre part, l’« intellectuel traditionnel » qui veut se situer en dehors de l’histoire pour témoigner de valeurs supposées universelles. Pour Gramsci, il ne fait bien sûr aucun doute que l’intellectuel doit se mêler activement à la vie pratique et devenir ce « persuadeur permanent » qui informe le prolétariat de sa mission historique. 



         Cette conception originale de la culture doit être rattachée à une pensée du politique. En bon lecteur de Machiavel, Gramsci entrevoit le politique comme une « science autonome » présente dans toutes les activités humaines. Elle est la contribution de chaque être humain à la transformation de son environnement social. Il faut cependant distinguer la « société civile » qui englobe toutes les relations sociales de la « société politique » qui se limite au territoire de la coercition. Selon ce schéma, l’Etat peut être compris comme l’unité concrète de la société politique (domination) et de la société civile (consentement). D’où l’importance des institutions culturelles (administrations, tribunaux, presse, radio, armée, etc.) qui ont pour fonction de conformer l’ordre social à la réalité du pouvoir symbolique.

Homme d’action, Gramsci transpose cette analyse dans le cadre de son engagement politique, et porte un regard critique sur les stratégies de conquête de pouvoir. Pour lui, la révolution n’est pas forcément le produit d’un déterminisme historique lié à l’économie (Marx) ou l’effet d’une action violente et soudaine élevée au rang de mythe (Sorel), elle suppose au contraire de s’inscrire dans le présent et de prendre en compte la spécificité de chaque situation. En Europe de l’Ouest par exemple, il vaut mieux favoriser la « guerre de position » – par opposition à la « guerre de mouvement » – menée sur le terrain des luttes culturelles et idéologiques, et ancrer progressivement dans les mentalités l’inéluctabilité du changement politique.  

      Ces deux modalités (culture et politique) débouchent sur une véritable philosophie de la praxis. Réfutant l’idéalisme des philosophes italiens (Croce, Gentile) comme le matérialisme de certains marxistes (Boukharine, Lapidus, etc.), Gramsci conçoit l’homme comme un animal social et historique dont la réalité est constituée par les relations qui l’unissent aux autres hommes. Relation double et circulatoire puisque les circonstances sociales conditionnent l’individu qui peut en retour, en tant que porteur de praxis, influer sur la marche de l’histoire (de ces relations). Ce qui fait, en dernier ressort, de tout homme un philosophe, c’est-à-dire une personne qui établit un rapport mental original avec son environnement social. Et Gramsci de rappeler l’injonction socratique : il appartient à chacun de connaître les strates qui le déterminent pour sortir du chaos, et passer à l’action située. 



Ce travail critique doit également être poursuivi à l’échelle collective et se répercuter au niveau du « sens commun ». Cette dernière expression désigne tout simplement la conception la plus répandue de la vie et de l’homme, d’où son caractère multiple et labile. Ce sens commun est d’autant plus décisif qu’il constitue le terrain de jeu privilégié des luttes politiques, là où les intellectuels organiques devront opérer la jonction entre la vision du monde et les réalités quotidiennes en sorte de provoquer la révolution communiste (i.e. la « révolution du sens commun »). Sans cette mise en abîme pratique, toute pensée est condamnée à se perdre dans les volutes de l’intellectualisme. Autrement dit, et pour reprendre les termes de Marx, « c’est dans la pratique que l’homme prouve sa vérité ».

         Ces trois points (culture, politique et philosophie), on les retrouve dans son idée-force, celle d’« hégémonie ». Cette notion doit être comprise comme la « dimension culturelle et morale de l’exercice du pouvoir politique », laquelle comprend deux dynamiques consécutives. Primo, un processus de recomposition de la culture qui s’appuie sur la persuasion intellectuelle et la négociation politique en vue de former un « bloc historique » dominant. Deuxio, l’accession à un nouveau plan « éthico-politique » qui résulte du projet social en voie de réalisation. Autrement dit, la classe sociale émergente doit dépasser le cadre restreint de ses revendications pour s’ouvrir à une nouvelle conscience dans laquelle le sujet recouvrera sa liberté. 

          Le communisme peut ainsi se comprendre comme le dépassement de la nécessité au moyen de la liberté.  Mais aussi comme l’accession à une modalité d’être qui ne serait autre que la nouvelle culture redescendue dans la rue. Ainsi, le combat pour la culture pourrait être compris comme la lutte avec nos propres fantômes, ne serait-ce que pour savoir lesquels nous décidons (en commun et après le combat) d’incarner, dans nos chairs fragiles. 




mardi 3 septembre 2013

Deleuze en trompe l'oeil, ou le règne des minorités conformistes




Les minorités ont fait les frais de la plupart des tragédies du XXè siècle, que ce soit de la part des totalitarismes et même des démocraties (le cas le plus flagrant demeurant la politique d’Apartheid en Afrique du Sud).  Pour y remédier, et en gage de réparation, des associations font entendre leurs voix afin de faire valoir leurs intérêts sur la place publique. Média et tribunaux deviennent leurs moyens de recours principaux, allant jusqu’à éclipser la désormais célèbre «majorité silencieuse». Même le Parti communiste français semble avoir fait le deuil du «Peuple» pour préférer les sans-papiers, les femmes, et la «diversité culturelle».

Minorité oppressée vs majorité oppressante


D’aucuns parlent du triomphe de l’idéologie dite « post-moderne » qui fait la part belle aux minorités contre la majorité, par essence opprimante. Le philosophe ayant le mieux développé cette thématique serait Gilles Deleuze qui écrivait dans Mille plateaux :

« Majorité implique une constante, d’expression ou de contenu, comme un mètre–étalon par rapport auquel elle s’évalue. Supposons que la constante ou l’étalon soit Homme–blanc–mâle–adulte–habitant des villes–parlant une langue standard–européen– hétérosexuel quelconque (l’Ulysse de Joyce ou d’Ezra Pound). Il est évident que « l’homme » a la majorité, même s’il est moins nombreux que les moustiques, les enfants, les femmes, les Noirs, les paysans, les homosexuels…, etc. (…) La majorité suppose un état de pouvoir et de domination, et non l’inverse. »

Pour Deleuze, la minorité n’a pas à devenir majoritaire, mais à devenir minorité. Ce qui importe est le processus lié à la minorité, qui suppose affirmation de la différence : le noir est toujours dans un devenir noir, le juif dans un devenir juif, la femme dans un devenir femme, et ce devenir ne peut se réaliser qu’en débordant le système, le mètre-étalon de la majorité qui suppose homogénéité et clôture, compatibilité et police.

Dans son livre Kafka, Pour une littérature mineure, Deleuze montre la façon dont Kafka, contraint d’apprendre l’allemand à Prague, a pu minorer cette langue majeure, en l’hybridant avec le yiddish et le tchèque, créant ainsi un nouveau langage au sein de la langue majeure. Deleuze conçoit alors la possibilité de transversales entre minorités capables de subvertir à la fois le capitalisme et l’Etat, une internationale des minorités en quelque sorte, où la majorité n’est personne (à part l’étalon des dominants) et la minorité potentiellement tout le monde. En ce sens, le devenir minoritaire s’oppose à toute forme de communautarisme, qui plus est lorsqu’il utilise la courroie de l’Etat pour justifier son pouvoir privé à l’instar de ce que revendiquerait tout lobby économique.



Deleuze à l’envers


Une lecture serrée de Deleuze ne nous permet donc pas de faire de lui le parangon de certaines associations concourant à une police des conduites (Foucault) inscrite dans la logique de majorité dont Deleuze parle. Cependant, nous assistons à un curieux renversement impensé par ce dernier : celui du devenir majoritaire de la minorité et du devenir minoritaire de la majorité. Deleuze aimait faire des enfants dans le dos des philosophes. Nous ne nous en priverons donc pas à son égard.

En érigeant les marges et les minorités en nouveaux sujets du politique, comme d’autres autrefois le faisaient avec les masses, Deleuze met de côté la majorité qu’il réduit à l’étalon du système. Qui plus est, il ne perçoit pas que jouer la minorité contre le capitalisme est un non sens, dès lors que les minorités, qui sont avant tout d’ordre culturel, n’ont rien à voir avec les rapports de production et ont, bien au contraire, servi d’alibi pour enterrer la lutte de classes. Aussi ne perçoit-il pas que la majorité, hommes et femmes de classe moyenne ou prolétaire, blanc et de culture chrétienne, peut potentiellement être exclue du système, l’amenant notamment à se jeter dans les bras de mouvements populistes avec l’espoir d’être reconnue sur la scène politique. En ce sens, la majorité se trouve prise dans un processus de devenir minoritaire (Deleuze parlait de résistance) à l’écart de l’idéologie dominante relayée par les média et l’Etat.

Alors que la majorité comme devenir majoritaire pouvait s’opposer à la minorité comme devenir minoritaire, la majorité comme devenir minoritaire s’oppose aujourd’hui à la minorité comme devenir majoritaire.

Hannah Arendt, dans son livre L’impérialisme, remarquait que les associations de défense de droits en tous genres d’avant guerre « témoignaient tous d’une inquiétante similitude de langage et de contenu avec les sociétés protectrices des animaux. » Force est de constater que cette analyse reste toujours d’actualité, ce qui ne présage rien de bon. Sans doute, seule une transversale d’ordre politique et sociale permettrait de briser la logique perverse de la dialectique majorité/minorité, et éviterait aux anarchistes de se sentir obligés de défendre le Pape. 

Le professeur du dimanche, en direct d'Apache



dimanche 1 septembre 2013

Tous voiles dehors

      La famille de la novlangue s’est encore agrandie et la phobologie,  science en pleine expansion, compte un nouveau champ d’investigation. La nouvelle venue porte le doux nom de Voilophobie. Elle est née sous la plume de Jean-François Brault, pigiste au Nouvel Observateur, elle pèse dix petites lettres et semble promise, comme toutes ses consoeurs de la famille des –phobies, à un brillant avenir, à l'instar de la transphobie ou de l'alterophobie, devenue presque une discipline olympique. 



            Voilophobie ? Qu’est-ce que c’est encore que ce truc ? « Ne sentez-vous pas cette odeur de soufre qui se répand, chaque jour un peu plus, dans la société française ? », nous interpelle Jean-François Brault dans le Nouvel Observateur. Une odeur de soufre ? Qu’est-ce à dire ? Belzébuth au cul variqueux, lassé de s’attaquer aux bonnes sœurs à cornette, aurait-il décidé d’étendre son ombre malfaisante sur la France de la diversité et sa main griffue jusqu’aux voiles des jeunes musulmanes ?
A lire notre webevangéliste en effet, la voilophobie est devenue une nouvelle facette de l’islamophobie qui se manifeste à travers de multiples agressions « voilophobes » car le voile, signe d’appartenance religieuse, suscite désormais partout la haine et la fureur. Comme ce mouchoir qu’on agite devant le nez du bovin, ce vêtement mal-aimé peut provoquer la charge aveugle des fauves au crâne rasé qui arpentent la France en quête de victimes comme les troupes d’Ecorcheurs du temps de la guerre de cent ans. Le voile, objet d’une phobie, parente mais distincte de l’islamophobie, est un nouveau symbole de liberté et le sujet d’une nouvelle mobilisation. Afin d’appuyer son propos, Jean-François Brault trouve l’argument définitif: « Comme le rappelle l'historienne et parlementaire Esther Benbassa, la figure du bouc émissaire semble s'être transposée en France, des juifs hier, aux musulmans aujourd'hui. » Faire ainsi appel à la compétition mémorielle pour cingler toutes voiles dehors sur un océan de pathos, la démarche est des plus subtiles et surtout des plus avisées. Avec des références pareilles, Jean-François Brault s’impose clairement comme un partisan de la nuance et de la paix civile.

Mais rien de tel tout de même pour occuper les week-ends oisifs que d’organiser des manifs.  Luttons donc, citoyens, contre la voilophobie ! Les habitants de Stockholm ont eu l’idée géniale d’organiser une « Journée du hijab » pour manifester leur solidarité avec les porteuses de voile victimes d’agressions racistes, à l’exception des goélettes. Si ça vient du nord, c’est du tout bon s’est dit Jean-François Brault. Aussi sec, l’idée est adoptée et recyclée. Jean-François Brault appelle lui aussi à l’organisation d’une « Journée du hijab » au cours de laquelle nous sommes tous appelés à porter un foulard sur la tête pour exprimer notre solidarité avec les victimes des agressions voilophobes. Toutes et tous, sans distinction de sexe car, comme le dit le slogan, « Nous sommes toutes des femmes voilées »…Non…attendez…C’est pas ça… « Nous sommes TOUS des femmes voilées ! »…Non merde alors ça ne colle pas non plus...Alors donc « Nous sommes TOUT-ES-(T)-S des femmes voilé-e-s ! »…Voilà c’est mieux et puis merde alors si les Scandinaves l’ont fait c’est que c’est une bonne idée donc ça suffit, de toutes façons les sceptiques ne peuvent être que des voilophobes, des hijaphobes, des maniphobes, des scandinaphobes et des mobilophobes !!!

Et pourquoi pas une journée de la mantille ? 

On pourrait soupçonner notre bouillant croisé de l’anti-voilophobie de se livrer à l’exploitation pas très ragoûtante de faits divers (l’agression d’une jeune femme suivie d’une tentative de suicide) et de l’atmosphère tendue d’un été très chaud sur le terrain des tensions religieuses et ethniques pour se réserver une place au chaud dans le business devenu très lucratif de l’antiracisme et de la lutte antiphobe. On pourrait même lui reprocher de proposer, alors que le quartier des Merisiers à Trappes sent encore non pas le soufre mais certainement le brûlé, ni plus ni moins que d’organiser une nouvelle manifestation communautaire et confessionnelle, en s’emparant d’un symbole aussi politique que discutable, dans un pays déjà passablement crispé par les revendications communautaires et confessionnelles. Mais ça serait sûrement faire preuve de journalophobie, de chercheurensociophobie et de ciboulophobie que de jouer les rabats-joie en suggérant que cette brillante initiative n’est peut-être rien d’autre qu’une idée à la con et que la cuisine voilophile de Jean-François Brault a un goût douteux. 
Pourtant, si l’on en croit les propos rapportés par le journal Le Monde (qu’on peut difficilement soupçonner d’être islamophobe, voilophobe, mobilophobe, hijabophobe, niqabophobe, scandinophobe, mobilophobe, manifophobe et journalophobe), l’islamophobie serait en passe de devenir un secteur sursaturé en matière d’opportunités et de débouchés professionnels et politico-médiatiques :

Y a-t-il eu des groupes, selon vous, qui ont tenté de récupérer les événements de Trappes ?
Oui. On l'a vu, par exemple, avec le récit fait des violences par le site Islam et info. On l'a vu aussi avec le Collectif contre l'islamophobie en France , dont certains membres sont proches de l'idéologie très conservatrice des Frères musulmans. Le CCIF, qui a été appelé par la mosquée de Trappes, s'est fait une spécialité d'apporter un soutien juridique aux victimes d'insultes ou d'agressions en raison de l'appartenance religieuse. En tentant de centraliser la comptabilité des agressions ou des contrôles de femmes voilées intégralement qui dérapent, le CCIF oblige les autorités à se positionner.
Que faut-il en déduire ?
Il y a une concurrence larvée entre différentes organisations pour le monopole de la parole légitime sur "l'islamophobie". C'était flagrant à Argenteuil, mi-juin, où des femmes voilées ont dénoncé des violences à leur égard, dont une dans le cadre d'un contrôle d'identité. Sur ces faits-là, c'est la Coordination contre le racisme et l'islamophobie qui est arrivée la première. A la différence du CCIF, le CRI est issu des luttes sociales et de l'extrême gauche. La rivalité à laquelle se livrent ces mouvements accentue malgré eux l'illisibilité de la lutte contre les actes antimusulmans.[1]

Jean-François Brault chercherait-il avec sa voilophobie à prendre le vent médiatique dans le bon sens pour surfer sur l’affaire du voile et faire s’envoler sa carrière ? Ce ne serait pas très poli, enfin je veux dire cela serait un peu politophobe (politusophobe ?) de le supposer. Peut-être est-il tout simplement devenu naturel pour beaucoup de journalistes ou de chercheurs comme Jean-François Brault de ne plus percevoir, par la magie de ce langage technocratique qui ne cesse d’envahir tous les aspects de l’existence, la réalité qu’à travers la danse des sept voiles de toutes les phobies et de la phobophobie exaltée. A force, cependant, de contempler la ronde infernale des bons sentiments, des trouvailles langagières et des solidarités de circonstances, on risque soi-même, à force d’écœurement, d’être saisi d’un violent accès de coulrophobie.






[1] Haoues Seniguer, chercheur associé au Groupement d'études sur la méditerranée et le Moyen-Orient (Gremmo),  interrogé par Elise Vincent pour le journal Le Monde. « Trappes : radiographie d’une émeute. » 16 août 2013. http://www.lemonde.fr/societe/article/2013/08/16/a-trappes-des-collectifs-concurrents-contre-l-islamophobie_3462320_3224.html