De sa retraite nord-américaine, Maurice G. Dantec a accepté de répondre aux questions des idiots à l’occasion de la sortie de son dernier roman, Les Résidents, et d’évoquer au passage quelques-unes de ses inspirations littéraires ou musicales et la manière dont il perçoit les soubresauts du monde actuel. Sortie le 28 août, la bande originale des Résidents peut être écoutée sur le site de l’auteur.
Les Résidents, de Maurice G. Dantec. Aux éditions Inculte. En librairie depuis le 28 août.
Théâtre des
opérations
Idiocratie : Vous vous définissez aujourd'hui comme un
écrivain nord-américain de langue française et anglaise et la société
nord-américaine semble encore au cœur de votre paysage littéraire avec Les
Résidents. Quel regard portez-vous sur l'évolution de cette société
aujourd'hui, sur son rôle dans le monde et sur ses tensions internes ?
Maurice G. Dantec : L’Amérique du Nord est à la croisée des chemins. Paradoxalement,
Obama aura représenté le sommet de la plus basse époque (ONU 2.0). Mais
l’Amérique du Nord reste l’endroit où ca se passe, comme au Colorado, état
conservateur militaro-industriel qui vient de légaliser entièrement, et à la
barbe de tout le monde, le THC.
Id. : Depuis votre exil dans le « nouveau
monde », quel regard portez-vous sur l’actualité du « vieux
monde » ?
MGD : Je ne tire pas sur les corbillards.
Id. : L'un des personnages de La SirèneRouge fuyait déjà l'ex-Yougoslavie. Comment interprétez-vous aujourd'hui les
événements à l'est de l'Europe et en Ukraine ?
MGD : Poutine aura mis tout le monde
d’accord, il est un des rares et derniers chefs d’État au monde. Quant aux ukrainiens,
je préfère m’abstenir de dire ce que je pense des Waffen SS et des
néo-trotskystes.
Id. : S'agit-il du réveil russe et
d'une revanche par rapport à la crise du Kosovo en 1999 ?
MGD : Oui, c’est le réveil russe,
mais il dépasse largement une éventuelle ‘’revanche’’ sur le Kosovo. Il remet
tout le XXème siècle à l’heure, il n’a donc de compte à rendre à personne, et
tout le monde l’a bien compris.
Id. : En évoquant Les Résidents
dans une récente interview, vous insistez sur la
nécessité pour vous en tant qu'auteur de « décrire le réel ». Il y a
cent-cinquante ans, Hegel assignait à la philosophie une mission :
« pensez ce qui est ». Aujourd'hui quelle est la réalité à penser
pour un écrivain ?
MDG : Le réel va mettre tous les
écrivains de science-fiction au chômage, j’ai déjà pris mes dispositions. La
science fiction a inventé le réel. Le réel étant très ingrat, il ne s’occupe
maintenant plus de nous. Nous l’avons créé, il continue son chemin
imperturbable, celui de l’histoire en acte. Ce sera à nous, écrivains, d’oser
réinventer le réel.
Les
Résidents
Id. : Les Résidents pose-t-il les
jalons d'un nouveau cycle littéraire, comme celui qui s'est achevé avec Satellite
Sisters ?
MDG : Je ne travaille pas avec des
cycles préétablis.
Id. : Les Résidents bénéficie d'une véritable
bande-son. Pouvez-vous nous en dire plus sur celle-ci et sur la sensibilité
qu'elle traduit ?
MDG : Ce sera au lecteur de découvrir cette bande son
et toutes les ondes qu’elle rend sensible.
Id. : The Normals ou Depeche Mode ont-ils
particulièrement accompagné la rédaction de votre livre ?
MDG : Non pas particulièrement, mais ils étaient des
références obligées.
Id. : La réalité que vous évoquez dans Les Résidents,
que vous abordiez déjà dans vos romans précédents, c'est aussi celle d'une
humanité presque transhumaniste. Pensez-vous, pour reprendre une vieille
expression de Wladimir Weidlé que nous sommes tous en passe de devenir des
« hommes-échantillons » ?
MDG : Je ne connaissais pas cet auteur mais il a
visiblement trouvé une expression tout à fait emblématique de l’époque : l’homme
qui devient son propre sample.
Id. : Les Résidents met en scène à nouveau des
personnages de tueurs, ou plutôt de tueuses. Sont-ils des électrons libres au
sein de ce « monde total »,
auquel personne n'est capable d'échapper sauf les êtres qui ont perdu, en
raison d'événements traumatisants, leur propre humanité ?
MDG : Vous avez répondu vous-même à la question.
Id. : Est-ce que les personnages des Résidents
peuvent évoquer des figures et des traumatismes très contemporains :
l'affaire Kampush bien sûr mais aussi l'affaire Breivik qui fait se conjuguer
suicide anomique et délitement de la civilisation occidentale ?
MDG : Avec Les Résidents, on a essayé de
produire au travers de moi le roman synthétique et transhistorique des 70
dernières années.
Poursuite
des hostilités
Id. : Vos Laboratoires prouvent, s’il en était
besoin, que vous êtes un grand lecteur de la Bible et des principaux Pères de
l’église, auquel il faut ajouter de nombreux écrivains catholiques (Bernanos,
Bloy, etc.), tout en ayant une grande liberté d’interprétation de ces mêmes
textes, et sans hésiter à les rapporter à votre propre itinéraire, dès lors,
quelles relations entretenez-vous aujourd’hui avec le christianisme ?
MDG : C’est
le christianisme qui entretient comme il peut, une relation avec moi.
Id. : Peut-on espérer un jour la parution d’un nouveau
tome du Laboratoire de catastrophe générale ?
MDG : Non.
Id. : Vous êtes l’un des rares
écrivains français à avoir rapproché, et ce, de façon tout à fait pénétrante,
les références à la culture cyberpunk (William Gibson ou Ghost in the shell)
et la pensée traditionaliste catholique (surtout Joseph de Maistre), est-ce
encore aujourd’hui une source d’inspiration importante ?
MDG : Essentielle (voir Les
Résidents).
Id. : De même, vous êtes l’un des rares écrivains à
mentionner le nom de Raymond Abellio, comment avez-vous découvert son
œuvre ? Quels rapports entretenez-vous avec elle ?
MDG : J’ai découvert Abellio par hasard, à Paris, en
tombant je ne sais plus où, sur un exemplaire d’occasion de La structure
absolue, dont le titre m’avait frappé. Je connaissais par ailleurs son
parcours politique des années 30 et 40.
Id. : Vous avez eu des mots
caustiques et ô combien jouissifs envers la caste médiatico-intellectuelle
française. Elle est toujours en place ! Qu’est-ce que cela vous
inspire ?
MDG : Ce que cela m’a toujours
inspiré : que la France est morte, et que les cadavres ne bougent pas …
sauf par l’effet des vers.
Immeubles à Hong Kong (photo : Micheal Wolf)
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