« Le temps critique,
pour une religion, est celui où elle subit l’action de la société civile plutôt
qu’elle ne l’inspire », écrivait le sociologue Gabriel Lebras en 1956.[1] Les temps semblent à nouveau devenus critiques pour les catholiques.
Le Pape François se fait enguirlander dans l’esprit de Noël par Jean-Luc
Mélenchon, on se dépoitraille plus facilement dans les églises qu’au Cap d’Agde
et quand les Femen s’amusent à sonner les vénérables cloches de Notre-Dame de
Paris à coups de bâton, on les récompense en collant leur bobine sur les
timbres afin que les catholiques indignés soient obligés de mettre un coup de
léchouille à Inna Shevchenko à chaque fois qu’ils envoient une lettre de
protestation. De manière générale, depuis que les catholiques se sont permis de
descendre dans la rue pour manifester au lieu de rester tranquillement dire le
bénédicité devant le poulet du dimanche, le « A bas la calotte »
semble être revenu en force chez tous les défenseurs de la liberté de la fermer
pour tous, surtout pour ceux qui ne pensent pas comme il faut.
Et comme si cela ne
suffisait pas, après avoir applaudi le sapin de Noël en forme de sextoy installé place de la Concorde, on juge en
revanche scandaleux l’installation de crèches de Noël dans les espaces
d’accueil au public des collectivités. Après la polémique suscitée par l’installation
d’une crèche de Noël au conseil général de Vendée, celle de Robert Ménard à
Béziers, à laquelle s’ajoute désormais le scandale
du chandelier de Hanoucca, partout, les crèches de la discorde se
multiplient et si Che Guevara était encore là, il s’écrierait
certainement : « uno, dos, tres, muchos bélenes[2] ! »
La polémique a en effet rebondi avec la décision prise par Nicolas Sarkozy
d’installer une crèche
géante dans le hall d’entrée de l’UMP. On ne sait pas encore si elle
représentera le petit Jésus de la droite accueilli au bercail par l’âne Jouyet
et le bœuf Fillon en train de lui souffler dans la nuque mais on apprend en
tout cas que "cette crèche exposée par Sarkozy est un cadeau de Ciotti qui
soutient, dans l'arrière-pays niçois, le traditionnel circuit des crèches."
Mazette, la filière des crèches niçoises…Ce n’est pas rien tout de même, le
Pape François bataille peut-être courageusement avec la N’Drangheta en Italie
mais nous, en France, nous sommes confrontés aux agissements de la Crèche
Connection. Partout, circulent sous le manteau santons et papier crépon,
agneaux blancs et petits ânes aux yeux doux passant de main en main, symboles
de la lutte contre la tyrannie. Il y a même sur twitter un hashtag
#TouchePasAmaCrèche pour manifester « un soutien inconditionnel à toutes
celles et ceux qui veulent exposer leur crèche ! » Face à ce
déferlement de créchisme haineux et insupportable, les pouvoirs publics se
mobilisent pour défendre la laïcité menacée. Le tribunal administratif a ainsi
jugé que ce symbole religieux met à mal « la neutralité du service public à
l'égard des cultes » et le sacro-saint principe de laïcité.
La laïcité se porte pourtant
très bien cet hiver et la nouvelle collection du prêt-à-penser 2014 recycle
avec goût les vieux habits laïcards. Il y a peu de chance que ces habits-là
prennent la poussière, on aime les ressortir en France assez régulièrement. « Nos
origines nous ramènent vers le passé, la République nous tire en avant. Elle
nous conduit vers l’idéal selon l’expression de Jean Jaurès », proclame
sur son site la Fédération de la Libre Pensée,
à l’origine de la plainte déposée contre le Conseil Général de Vendée. Justement,
du temps de Jaurès et du petit père Combes, l’anticléricalisme passionnait les
socialistes français au point que leurs camarades allemands s’arrachaient les
cheveux en constatant que la lutte anticléricale prenait le pas sur la lutte
des classes. Maudits Français qui ne savent pas terminer une révolution !
De l’autre côté du Rhin, on tentait vainement de leur rappeler que
l’anticléricalisme n’est pas un internationalisme et le socialiste allemand
Karl Kautsky croyait même bon de rappeler que « la tendance à
supprimer les antagonismes de classes se concilie fort bien avec la doctrine
chrétienne des évangiles. »[3]
S’ils ne partagent
peut-être pas les vues de Karl Kautsky sur la lutte des classes, 71% des
Français trouvent néanmoins que les crèches se concilient très bien avec les
halls d’entrée des Conseils Généraux et les sympathisants PS, UMP et FN se
retrouvent pour une fois en majorité d’accord sur la question. Mais les libres
penseurs ne décolèrent pas : « L’Eglise catholique, et ses affidés, (…)
utilisent les notions frelatées de ceux qui, bafouant la notion de séparation
de la sphère publique et de la sphère privée, entendent obtenir une législation
liberticide d’exception contre les citoyens d’origine arabo-musulmane,
population suspecte d’être, génétiquement, consubstantiellement et
potentiellement, ‘terroriste’. » Voilà donc récité à nouveau avec ferveur le
credo anti-discrimination, cette fois contre les crèches et l’Eglise catholique
qui, comme chacun le sait, fourbit toujours ses armes afin de préparer la chute
de la République et l’installation d’une théocratie. Mais puisqu’il s’agit
d’effacer toute référence culturelle, historique ou religieuse qui puisse être
perçue comme offensante par nos concitoyens musulmans, rappelons cette amusante
trouvaille faite il y a quelques années dans un épisode de Noël du dessin animé
South Park. A l’occasion du spectacle annuel de l’école, les parents
non-catholiques expriment leur indignation face à la présence outrageante de
symboles chrétiens dans le spectacle de Noël. A force de compromis et après
avoir supprimé successivement le sapin, l’étoile, les animaux et les angelots
et toutes les chansons au contenu jugé inapproprié, la direction de l’école
finit par présenter un spectacle dans lequel les enfants vêtus de justaucorps
gris esquissent quelques entrechats sur du Philip Glass avec un décor nu en
arrière-plan.
Faudra-t-il se pencher aussi
sur le cas problématique des fêtes de Noël dans les écoles pour en extirper tous
les symboles problématiques ? Ou, comme le suggère un site
satirique, interdire partout les sapins de Noël dans les lieux publics, un
peu comme la cigarette ? Pour briser en tout cas la résistance des forces
de la réaction, si jamais le Conseil Général de Vendée obtient gain de cause, il
suffira d’organiser des lâchers de chats dans les halls d’accueil abritant les crèches de la honte. Car le chat, nos ancêtres
au Moyen Age ne l’ignoraient pas, est un animal satanique ennemi de
Jésus-Christ, attiré irrémédiablement par les décorations de Noël. Quiconque a
déjà essayé d’assembler une crèche avec un chat dans la même pièce le
sait : avec cette satanée bête à proximité qui fait voler les petits
agneaux blancs et les santons dans tous les coins, qui se vautre de manière
obscène dans le papier crépon et dégomme les boules de Noël, il est impossible
de dresser correctement la moindre scène de Nativité. Le chat est l’arme fatale
des anti-crèches. Il faut donc prévenir Jan
Fabre[4].
Il est l’ultime recours face à l’obscurantisme.
Mais le combat outrepasse
les limites de la crèche ainsi que celles du hall du Conseil Général de Vendée.
La grande croisade contre tout ce qui dépasse n’en est qu’à ses débuts. Inspirée
par l’intervention d’un commando anti-sexisme (avec de vrais morceaux de Femen
dedans), dans un magasin de jouet, la délégation sénatoriale aux droits des
femmes a décidé de plancher sur le sujet problématique des jouets sexistes. Sa présidente,
la sénatrice (UDI) Chantal Jouanno, a dévoilé les recommandations du rapport de
la commission : création d’un site internet permettant aux parents de dénoncer
les fabricants de jouets les plus sexistes (GI Joe est sérieusement dans le
collimateur ainsi que ce beauf phallocrate de Ken) et mise en place d’une
charte de l’égalité des sexes dans les jouets, parce qu’il faut toujours une
bonne charte de l’égalité quelque part. Les prochaines générations pourront
nous remercier : non contents d’être au chômage et mal-logés, nous leur
aurons concocté avec les meilleures intentions du monde une enfance aussi terne
que leur avenir. Au moins ils auront appris très tôt que le Père Noël n’existe
pas.
[1]
Gabriel LEBRAS. « Sociologie religieuse et science des religions». Archives
de la Sociologie des Religions. n°1. Janvier-Juin 1956. p. 16
[2]
Qui veut dire « crèche » en espagnol, tout le monde l’aura compris.
[3]
Karl KAUTSKY. Cité dans « Socialisme
et anticléricalisme. Une enquête socialiste internationale (1902-1903). » Archives
des sciences sociales des religions. n° 10, Juillet-Décembre 1960. p. 114
[4]
Mais les associations de défense des animaux resteront-elles sans réagir ou
risque-t-on de voir les halls des Conseils Généraux et des mairies rebelles
devenir le théâtre d’affrontement sanguinaires entre pro-chats et
anti-crèches ?
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