vendredi 19 décembre 2014

Les crèches de la discorde

« Le temps critique, pour une religion, est celui où elle subit l’action de la société civile plutôt qu’elle ne l’inspire », écrivait le sociologue Gabriel Lebras en 1956.[1] Les temps semblent à nouveau devenus critiques pour les catholiques. Le Pape François se fait enguirlander dans l’esprit de Noël par Jean-Luc Mélenchon, on se dépoitraille plus facilement dans les églises qu’au Cap d’Agde et quand les Femen s’amusent à sonner les vénérables cloches de Notre-Dame de Paris à coups de bâton, on les récompense en collant leur bobine sur les timbres afin que les catholiques indignés soient obligés de mettre un coup de léchouille à Inna Shevchenko à chaque fois qu’ils envoient une lettre de protestation. De manière générale, depuis que les catholiques se sont permis de descendre dans la rue pour manifester au lieu de rester tranquillement dire le bénédicité devant le poulet du dimanche, le « A bas la calotte » semble être revenu en force chez tous les défenseurs de la liberté de la fermer pour tous, surtout pour ceux qui ne pensent pas comme il faut.
Et comme si cela ne suffisait pas, après avoir applaudi le sapin de Noël en forme de sextoy  installé place de la Concorde, on juge en revanche scandaleux l’installation de crèches de Noël dans les espaces d’accueil au public des collectivités. Après la polémique suscitée par l’installation d’une crèche de Noël au conseil général de Vendée, celle de Robert Ménard à Béziers, à laquelle s’ajoute désormais le scandale du chandelier de Hanoucca, partout, les crèches de la discorde se multiplient et si Che Guevara était encore là, il s’écrierait certainement : « uno, dos, tres, muchos bélenes[2] ! » La polémique a en effet rebondi avec la décision prise par Nicolas Sarkozy d’installer une crèche géante dans le hall d’entrée de l’UMP. On ne sait pas encore si elle représentera le petit Jésus de la droite accueilli au bercail par l’âne Jouyet et le bœuf Fillon en train de lui souffler dans la nuque mais on apprend en tout cas que "cette crèche exposée par Sarkozy est un cadeau de Ciotti qui soutient, dans l'arrière-pays niçois, le traditionnel circuit des crèches." Mazette, la filière des crèches niçoises…Ce n’est pas rien tout de même, le Pape François bataille peut-être courageusement avec la N’Drangheta en Italie mais nous, en France, nous sommes confrontés aux agissements de la Crèche Connection. Partout, circulent sous le manteau santons et papier crépon, agneaux blancs et petits ânes aux yeux doux passant de main en main, symboles de la lutte contre la tyrannie. Il y a même sur twitter un hashtag #TouchePasAmaCrèche pour manifester « un soutien inconditionnel à toutes celles et ceux qui veulent exposer leur crèche ! » Face à ce déferlement de créchisme haineux et insupportable, les pouvoirs publics se mobilisent pour défendre la laïcité menacée. Le tribunal administratif a ainsi jugé que ce symbole religieux met à mal « la neutralité du service public à l'égard des cultes » et le sacro-saint principe de laïcité.


La laïcité se porte pourtant très bien cet hiver et la nouvelle collection du prêt-à-penser 2014 recycle avec goût les vieux habits laïcards. Il y a peu de chance que ces habits-là prennent la poussière, on aime les ressortir en France assez régulièrement. « Nos origines nous ramènent vers le passé, la République nous tire en avant. Elle nous conduit vers l’idéal selon l’expression de Jean Jaurès », proclame sur son site la Fédération de la Libre Pensée, à l’origine de la plainte déposée contre le Conseil Général de Vendée. Justement, du temps de Jaurès et du petit père Combes, l’anticléricalisme passionnait les socialistes français au point que leurs camarades allemands s’arrachaient les cheveux en constatant que la lutte anticléricale prenait le pas sur la lutte des classes. Maudits Français qui ne savent pas terminer une révolution ! De l’autre côté du Rhin, on tentait vainement de leur rappeler que l’anticléricalisme n’est pas un internationalisme et le socialiste allemand Karl Kautsky croyait même bon de rappeler que « la tendance à supprimer les antagonismes de classes se concilie fort bien avec la doctrine chrétienne des évangiles. »[3] 
S’ils ne partagent peut-être pas les vues de Karl Kautsky sur la lutte des classes, 71% des Français trouvent néanmoins que les crèches se concilient très bien avec les halls d’entrée des Conseils Généraux et les sympathisants PS, UMP et FN se retrouvent pour une fois en majorité d’accord sur la question. Mais les libres penseurs ne décolèrent pas : « L’Eglise catholique, et ses affidés, (…) utilisent les notions frelatées de ceux qui, bafouant la notion de séparation de la sphère publique et de la sphère privée, entendent obtenir une législation liberticide d’exception contre les citoyens d’origine arabo-musulmane, population suspecte d’être, génétiquement, consubstantiellement et potentiellement, ‘terroriste’. » Voilà donc récité à nouveau avec ferveur le credo anti-discrimination, cette fois contre les crèches et l’Eglise catholique qui, comme chacun le sait, fourbit toujours ses armes afin de préparer la chute de la République et l’installation d’une théocratie. Mais puisqu’il s’agit d’effacer toute référence culturelle, historique ou religieuse qui puisse être perçue comme offensante par nos concitoyens musulmans, rappelons cette amusante trouvaille faite il y a quelques années dans un épisode de Noël du dessin animé South Park. A l’occasion du spectacle annuel de l’école, les parents non-catholiques expriment leur indignation face à la présence outrageante de symboles chrétiens dans le spectacle de Noël. A force de compromis et après avoir supprimé successivement le sapin, l’étoile, les animaux et les angelots et toutes les chansons au contenu jugé inapproprié, la direction de l’école finit par présenter un spectacle dans lequel les enfants vêtus de justaucorps gris esquissent quelques entrechats sur du Philip Glass avec un décor nu en arrière-plan.


Faudra-t-il se pencher aussi sur le cas problématique des fêtes de Noël dans les écoles pour en extirper tous les symboles problématiques ? Ou, comme le suggère un site satirique, interdire partout les sapins de Noël dans les lieux publics, un peu comme la cigarette ? Pour briser en tout cas la résistance des forces de la réaction, si jamais le Conseil Général de Vendée obtient gain de cause, il suffira d’organiser des lâchers de chats dans les halls d’accueil abritant les  crèches de la honte. Car le chat, nos ancêtres au Moyen Age ne l’ignoraient pas, est un animal satanique ennemi de Jésus-Christ, attiré irrémédiablement par les décorations de Noël. Quiconque a déjà essayé d’assembler une crèche avec un chat dans la même pièce le sait : avec cette satanée bête à proximité qui fait voler les petits agneaux blancs et les santons dans tous les coins, qui se vautre de manière obscène dans le papier crépon et dégomme les boules de Noël, il est impossible de dresser correctement la moindre scène de Nativité. Le chat est l’arme fatale des anti-crèches. Il faut donc prévenir Jan Fabre[4]. Il est l’ultime recours face à l’obscurantisme.


Mais le combat outrepasse les limites de la crèche ainsi que celles du hall du Conseil Général de Vendée. La grande croisade contre tout ce qui dépasse n’en est qu’à ses débuts. Inspirée par l’intervention d’un commando anti-sexisme (avec de vrais morceaux de Femen dedans), dans un magasin de jouet, la délégation sénatoriale aux droits des femmes a décidé de plancher sur le sujet problématique des jouets sexistes. Sa présidente, la sénatrice (UDI) Chantal Jouanno, a dévoilé les recommandations du rapport de la commission : création d’un site internet permettant aux parents de dénoncer les fabricants de jouets les plus sexistes (GI Joe est sérieusement dans le collimateur ainsi que ce beauf phallocrate de Ken) et mise en place d’une charte de l’égalité des sexes dans les jouets, parce qu’il faut toujours une bonne charte de l’égalité quelque part. Les prochaines générations pourront nous remercier : non contents d’être au chômage et mal-logés, nous leur aurons concocté avec les meilleures intentions du monde une enfance aussi terne que leur avenir. Au moins ils auront appris très tôt que le Père Noël n’existe pas.




Publié sur Causeur.fr




[1] Gabriel LEBRAS. « Sociologie religieuse et science des religions». Archives de la Sociologie des Religions. n°1. Janvier-Juin 1956. p. 16
[2] Qui veut dire « crèche » en espagnol, tout le monde l’aura compris.
[3] Karl KAUTSKY. Cité dans « Socialisme et anticléricalisme. Une enquête socialiste internationale (1902-1903). » Archives des sciences sociales des religions. n° 10, Juillet-Décembre 1960. p. 114
[4] Mais les associations de défense des animaux resteront-elles sans réagir ou risque-t-on de voir les halls des Conseils Généraux et des mairies rebelles devenir le théâtre d’affrontement sanguinaires entre pro-chats et anti-crèches ?

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire