jeudi 31 décembre 2015

Haïkus gastriques

En cette fin d'année 2015, nous vous souhaitons à toutes et à tous, avec ce petit poème, une apothéose intestinale et un joyeux Réveillon !



Haïkus gastriques

Mes sucs gastriques,
Riches en sucres lents,
Sont succulents,

Je m'achemine sans mal,
Vers ma destination finale :
L'occlusion intestinale.





lundi 28 décembre 2015

Goodbye Lemmy

Le leader de Motörhead, Ian "Lemmy" Kilmister, est décédé lundi, des suites d'un cancer foudroyant à l'âge de 70 ans. Repose en paix Lemmy. 



"Les fruits et légumes, c'est trop sain pour moi".
Lemmy Kilmister.






samedi 19 décembre 2015

Le dormeur du web ou l'Oblomov contemporain

Merci à celles et ceux qui nous ont fait le plaisir de leur visite lors de la soirée des idiots, au cours de laquelle Romaric Sangars nous a lu quelques-uns de ses poèmes-suicides et Sarah Vajda un extrait de son prochain roman Djamila. 
Et nous avons également lu ce texte idiot qui vous donnera peut-être envie de piquer un petit roupillon. Assurez-vous alors qu'aucun collègue ne vous prendra en photo. 


Dans une entreprise islandaise branchée, à Reykjavik, un employé décide de s’offrir une petite sieste à l’heure du déjeuner tandis que ses collègues vont se mettre en quête d’un restaurant. Fatigué par une matinée de travail – ou peut-être par la soirée qui a précédé, ou la semaine, peu importe – l’homme s’endort profondément sur le canapé trônant au milieu de l’open space de cette entreprise, où l’on aborde de manière moderne et décomplexée ce que l’on appelle d’habitude plus froidement la « gestion des ressources humaines ». Il ne porte pas de costume, ni de cravate ou de pantalon de ville, symboles vestimentaires d’une hiérarchie évincée par une philosophie nouvelle des rapports cool et détendus au sein de l’entreprise. Il est ventripotent, porte la barbe rousse et fournie, est vêtu d’un T-Shirt à l’effigie de Grincheux, l’un des nains de Blanche-Neige, d’un jean et de chaussettes rayées qui lui donne l’air d’un skater rondouillard et infantile de quarante ans.
Il sombre dans un profond sommeil, détendu, bercé par le ronronnement et le cliquetis occasionnels des routeurs et des i-macs de l’espace de travail. Quand ses collègues reviennent de leur pose, ils le trouvent toujours endormi, amoureusement lové entre deux bras du canapé, couvrant de son ronflement le doux cliquetis des routeurs et des i-macs. Impossible de ne pas craquer devant la moue renfrognée de ce gros bébé au sommeil épanoui. On rigole, on pouffe, on échange des blagues sans oser le réveiller ; il dort si bien ! Il est si drôle ce brave salarié abandonné aux bras de Morphée, au ventre retombant avec une gravité comique sur le bord du canapé. Bien vite, l’un sort son téléphone, prend une photo, deux, trois et quelques selfies sans doute. L’image de cet oblomov moderne, si profondément assoupi qu’il ne se rend pas compte qu’il ameute autour de son sommeil tout le personnel, est si touchante qu’on décide de la poster immédiatement sur la page Facebook de l’entreprise. Quelle meilleure publicité que ce sympathique barbu ronflant dans les locaux ? Le capitalisme 2.0 a-t-il jamais eu visage plus humain ?



Avant même que notre barbu n’ait ouvert un œil, la photographie aura reçu quelques 1600 likes et été partagé plus de 300 fois. Dans les heures, les jours qui suivent, elle se transmet d’utilisateur en utilisateur, d’amis en amis, des dizaines de milliers de fois. Elle déboule sur Twitter, sur Tumblr, sur Pinterest ou Instagram, on voit partout l’image du barbu, détournée, photoshopée, travestie, errant dans l’espace, intégrée au plafond de la chapelle Sixtine ou dans le décor de la Guerre des Etoiles en compagnie de Luke Skywalker. En quelques jours, le bienheureux dormeur devient une superstar du web et les journalistes se pressent pour interviewer ce phénomène, lui extorquer son secret et la recette de son succès, mettre une pincée d’humain dans le cocktail parfait de la réussite potache et numérique. A toutes les sollicitations, à toutes les questions, il n’a qu’une réponse : « Je n’ai rien fait d’autres que m’endormir. Je n’ai jamais fait que ce que je fais de mieux dans la vie : la sieste. » Humble, sympathique et peut-être pas tout à fait bien réveillé encore, le dormeur du web est devenu une icône mondial en l’espace de 24h. De quoi donner des complexes à n’importe quelle star de la télé-réalité. Lui n’aura même pas eu besoin de s’exhiber au cours de fastidieuses colocations télévisuelles ou de laborieux radio-crochets. Il lui aura suffi de s’endormir pour conquérir la planète. Sa célébrité, bien sûr, s’est évaporée en quelques semaines, réduite à celle d’un simple meme, d’un gimmick numérique flottant dans les entrailles du world wide web pour le plaisir des internautes, qui redécouvriront encore durant quelques années au bureau ou lors de soirées arrosées la photo du gros barbu qui dort au hasard d’un tweet ou d’une page Facebook. Elle provoquera les mêmes cascades de rires en série, activées d’un point à l’autre du globe par un click empressé sur une pièce jointe ou un lien farceur. 


Notre gros islandais endormi est entré dans une éternité numérique, le temps figé de la répétition sans limite, sans frontière, sans borne. L’ère de la reproductibilité technique de Walter Benjamin mise au service du panoptique de Bentham, le tout dans le temps figé d’une société du spectacle globale dont Debord n’aurait jamais osé rêver. L’inscription de nos existences climatisées dans une sorte d’open space mondial ne saurait être mieux illustrée que par l’aventure de notre islandais amateur de sieste, victime débonnaire du totalitarisme sympa qui place instantanément et partout les individus sous la surveillance conviviale et insistante de millions de concitoyens. Le jour où une météorite éradiquera une moitié de l’humanité l’autre s’empressera de filmer la catastrophe et de s’envoyer en boucle la vidéo qu’elle likera à n’en plus finir, à moins que la terre, fatiguée de nous, ne se soit débarrassée une bonne fois pour toute de notre espèce. Il ne restera de nous que l’image fantomatique d’un gros barbu endormi sur un canapé, représentation idiotique et sympa de notre effondrement. 


mercredi 16 décembre 2015

Soirée idiocratie !








« La danse de saint Guy se contorsionne trop provincialement sur la place rectangulaire, mais ceux qui titubent ivres sur leurs jambes chancelantes tournent en dérision, avec une sainte ironie populaire, les noms des personnes très autorisées du Comité d’honneur. Et l’éclat des pétards et les cris des enfants et le choc violent des baisers dans les coins sombres giflent jusqu’au sang les snobs à l’ironie facile.
         Pour la jeunesse aux rires crépitants et aux yeux scintillants, les feux d’artifice partent comme des flèches sur le CARNARO ;
         Belles couleurs violentes.
         Eclater DÉ CHI RER ciel trop gris et
         CriiiiiER. »
  
Texte de l’association YOGA annonçant la fête de saint Guy à Fiume ; association créée par le génial Guido Keller comme une « réunion d’esprits libres tendant à la perfection » (in Claudia Salaris, A la fête de la révolution. Artistes et libertaires avec D’Annunzio à Fiume, Editions du Rocher, p. 97).




dimanche 13 décembre 2015

Le monde d'hier



Les grands prêtres de l'éternel retour des années trente devraient abandonner leurs analogies simplistes pour se consacrer à quelques grands textes qui sont l'héritage le plus précieux des années trente et éclairent notre époque plus sûrement que tous les rapprochements simplistes de Claude Askolovitch ou Laurent Joffrin. Parmi ces œuvres, il y a Le Monde d'hier, de Stefan Zweig, sans doute le plus beau texte qu'un autrichien ait pu écrire sur le destin de Vienne au XXe siècle, sans doute aussi le portrait le plus lucide qu'un Européen ait pu dresser d'une civilisation s'abîmant dans la barbarie. Quand Zweig  revient en Autriche en 1937, c'est pour dire adieu à ses proches et à ses amis qu'il tente de prévenir du danger hitlérien. En vain. Zweig ne sera resté que deux jours dans sa ville natale et en la quittant, il écrit : « Et à l'instant où le train passait la frontière, je savais comme Loth, le Patriarche de la Bible, que derrière moi tout était cendre et poussière, un passé pétrifié en sel amer. » L'aveuglement que Zweig a perçu dans la Vienne qui se prépare à l’Anschluss est celui d'une société qui s'est bercée d'une telle illusion de puissance et de sécurité qu'elle est indifférente au danger qui est à ses portes, tout comme elle l‘avait été à la veille de la Première Guerre Mondiale : « Personne ne croyait à des guerres, des révolutions et à des bouleversements. Tout événement extrême, toute violence, paraissaient presque impossibles dans cette ère de raison. » Par deux fois, Zweig a vu son monde basculer tragiquement et irrévocablement dans le passé pour devenir le monde d'hier.
Nous avons plus de chance que les Autrichiens de 1914 ou de 1937. Après les tueries de janvier 2015, le carnage du vendredi 13 novembre nous a mis brutalement en face de la réalité et nous a permis de prendre conscience que nous avions changé d'ère et sans doute aussi un peu d'âme. Du monde d'avant, nous apercevons encore les contours, mais ceux-ci s'effacent d'autant plus rapidement que les événements, toujours plus violents, nous imposent de penser à une autre allure. Le monde dans lequel nous vivions encore hier s'est extrait des tragédies qui abattirent celui de Zweig. De la même manière que les amis autrichiens de l'écrivain, l'évolution du monde a pris par surprise tous ceux qui ont pris l'habitude de s'abîmer trop complaisamment dans la contemplation d'un passé simplifié. La brutalité des attaques du 13 novembre, onze mois après les attentats de l'Hypercasher et de Charlie-Hebdo, leur auront fait brutalement comprendre qu'on ne goûte jamais deux fois le même menu au banquet de l'histoire même si le plat est toujours amer. 
Le monde d'hier est celui de Thibaut Pézérat qui, dans Marianne, n'attend pas plus tard que le 14 novembre pour s'insurger contre la récupération des attentats et démontrer qu'en quelque sorte l'Etat Islamique a encore fait le jeu de Front National. Le monde d'hier, ce sont les députés de l'assemblée qui se comportaient comme des collégiens durant le congrès de la défense, enchaînant les selfies devant la cour du château de Versailles. Le monde d'hier, c'est celui du NPA qui affirme dans un communiqué du 14 novembre: « Cette barbarie abjecte en plein Paris répond à la violence tout aussi aveugle et encore plus meurtrière des bombardements perpétrés par l’aviation française en Syrie », c'est aussi celui du collectif Ensemble (FdG) qui appelle « plus que jamais » à « combattre tous les amalgames » et appelle à « à un rassemblement unitaire et populaire pour la solidarité, l’accueil des migrant.e.s et réfugié.e.s, l’égalité, la justice sociale et la démocratie» Des  déclarations comme celle du NPA nous les avons déjà lues, vues, entendues des centaines de fois, jusqu'à atteindre le paroxysme de l'absurdité, tandis que les premiers électrons libres du djihadisme étaient encore pudiquement appelés des « déséquilibrés ». Aujourd'hui on les lit avec un peu d'effarement, comme on s'étonne de voir encore Drucker à la télé le dimanche ou comme on lit un édito vieux de deux ans pour passer le temps dans une salle d'attente du dentiste. En quelques heures, la folie meurtrière des islamistes a non seulement arraché la vie à 130 personnes mais elle a balayé également tout ce verbiage fatigué. 
Les actes et les discours politiques n'échappent pas non plus à cette brusque tabula rasa. Il y a quelques semaines encore, l'Elysée comme le quai d'Orsay répétaient à l'envi que la COP21 serait  la nouvelle apothéose de la diplomatie française. La France, à nouveau investie d'une mission universelle, devait ouvrir la voie au développement durable et à des jours meilleurs. Ce n'était pas un sommet diplomatique qu'attendaient François Hollande et Laurent Fabius mais une épiphanie.  Nous étions encore dans la logique que « l'esprit Charlie » avait plus encouragée que chassée. Intercalée entre la coupe du monde de Rugby et l'Euro 2016, la COP21 s'annonçait comme un événement aussi festif que politique. L'Education nationale mobilisait, avec l'aide des grands médias, écoliers, collégiens et lycéens pour donner la parole, avant le grand sommet pour l'environnement, afin de donner la parole à « ces jeunes que l'on entend jamais. » Vendredi 13 décembre, certains ont parlé à coups de bombes et de kalashnikov pour tuer des gens de leur âge. Et dans le métro, quelques jours après les tueries, l'affiche appelant à la grande marche pour le climat du 29 novembre 2015 fait aussi figure de vestige du passé. Son esthétisme coloré, criard, résume à lui seul nos années Muray, et la niaiserie irréelle de cette figure de manga peinturlurée de cœurs, de rose et de vert, aux grands yeux vides et brillants comme des billes d'enfants ajoute encore une note subtilement angoissante à l'atmosphère d'un quai de métro où les gens se regardent toujours en coin avec méfiance. 


De même que le « pas d'amalgames » est entré au cimetière des éléments de langage, la COP21 a  dégringolé du podium des grandes causes nationales. La négociation est maintenue mais il n'est plus question désormais d'y adjoindre les manifestations culturelles et événements festifs qui devaient s'y associer. Sur l'affiche du métro, la petite baudruche colorée fixe aux grands yeux vides ne sert plus à rien ; sortie du domaine de l'écologie spectaculaire, la COP21 est réduite à un sommet diplomatique qu'il ne sera cependant pas inintéressant de suivre. Car si l'on peut hasarder quelques hypothèses quant aux conséquences de ces attaques, il n'est pas interdit de croire qu'en devenant la première cible du terrorisme de l'Etat Islamique, la France retrouve soudain l'occasion de reprendre un rôle politique en Europe que le leadership allemand lui avait confisqué. On a constaté, dans les jours qui ont suivi les attaques, la tonalité nouvelle du discours de François Hollande et entendu quelques déclarations qui traduisent aussi une évolution certaine du discours tenus à ses partenaires européens. Voilà que Manuel Valls reconnaît sans plus de complexes que la réduction du déficit ne serait pas tenue et les objectifs budgétaires dépassés, tandis que François Hollande affirme sans ambages que «le pacte de sécurité l’emporte sur le pacte de stabilité» et appelle même ses voisins européens à plus de solidarité. Comme on a pu le constater au cours des derniers conflits engageant la France que le soutien militaire européen restait des plus modestes, il n'est pas douteux que la solidarité passera par une plus grande tolérance budgétaire de la part de Bruxelles vis-à-vis de la France. Il serait bien sûr hasardeux d'affirmer qu'en vertu des attentats du 13 novembre, nous serions revenus soudain dans un cadre schmittien autorisant le politique à reprendre le pas sur le budgétaire et l'économique. Néanmoins, force est de constater que la France est en première ligne face au danger islamiste et qu'elle est, de très loin, le pays européen qui assume aujourd'hui la plus grande part de l'effort militaire imposé par cette lutte. Cela peut donner, notamment vis-à-vis d'une Angela Merkel malmenée par la crise des réfugiés, une assise plus grande à François Hollande. On parlera de climat lors de la COP21 mais aussi – et surtout ? - du climat du monde au sens le plus politique. Du monde d'aujourd'hui, bien sûr, et plus du monde d'avant.
 

Publié dans Causeur n°30 - Décembre 2015

lundi 7 décembre 2015

Le FN prend Racine......et ce n'est pas une victoire à la Pyrrhus...


La presse et les médias se sont forgés leurs propres éléments de langage qui leur offrent une vision rassurante du monde quand le monde n'a décidément plus rien de rassurant. Hier soir, sur France 2 ou BFMTV, la saison des cyclones avait ainsi repris chez les commentateurs politiques pour qualifier le score réalisé par le Front National après le premier tour: six régions dominées, 40,64 % pour Marine Le Pen en Nord-Pas-de-Calais-Picardie, 40,55 % pour Marion-Maréchal Le Pen en PACA, 36,06 % pour Florian Philippot en Alsace-Champagne-Ardennes-Lorraine et 27,96 % des suffrages exprimés, devant Les Républicains qui peinent à atteindre 27 %, même avec le renfort UDI-Modem, et le Parti Socialiste, laissé sur le bord de la route avec un peu plus de 23% des suffrages. Gageons que les raz-de-marée et les tsunamis s'abattront une nouvelle fois sur les éditos pour évoquer le succès écrasant du Front National, comme si celui-ci avait encore la soudaineté et l'imprévisibilité d'une tempête tropicale, comme si personne ne voyait monter la marée depuis longtemps, y compris chez les 18-30 ans, que Libé avait cru bon d'affubler du dénominatif de "génération Bataclan" après les attentats de novembre. La réponse a été cinglante, le démenti sévère : la jeunesse n'emmerde plus le Front National, soit elle s'abstient et "nique la France", soit elle soutient de plus en plus notablement le parti de Marine Le Pen, quand elle ne ne s'engage pas tout simplement sous les drapeaux, l'armée faisant face à une recrudescence des candidatures depuis janvier 2015, démultipliées depuis les attentats de novembre. Quand Libé dit "Je suis en terrasse", la jeunesse lui répond "Je suis au front", dans tous les sens du terme. Et le monde ouvrier acquièsce en déposant son bulletin dans l'urne, en disant "et moi je suis la crise."
Laissons tomber les typhons, rangeons les marées noires au placard et coupons le robinet des raz-de-marée. Ce n'est pas M. Météo qu'il nous faut pour commenter ces élections sous état d'urgence mais Jean Racine. Mais si voyons ! Vous ne vous rappelez pas ? Jean Racine ? Le Grand Siècle ! La tragédie ! Il nous faut toujours quelqu'un pour décrire le roman national qui continue à s'écrire sous nos yeux mais il n'y a personne. Qui mieux que Jean Racine chantera le spectacle de la classe politique en pleine tragi-comédie ? Regardez Pierre de Saintignon hier soir, la moue douloureuse, la parole difficile, qui quémande à demi-mot une alliance, se fait souffleter par un Xavier Bertrand crâneur à peu de frais, ne sait plus s'il doit s'unir, se dresser ou cesser d'exister, et finit par annoncer qu'il se retire, désemparé comme Hermione qui s'écrit: "ah ne saurais-je point si j'aime ou si je hais !", " errante et sans dessein je cours dans ce palais !"


Pendant ce temps, triomphante et rayonnante, Marine Le Pen s'adresse aux caméras. Avec une satisfaction si évidente qu'on craint soudain qu'elle ne prenne feu comme un Icare à l'approche de l'astre brûlant du pouvoir, elle prend la voix d'Oreste et tonne: "Avant que tous les Français vous parlent par ma voix, souffrez que j'ose ici me flatter de leur choix !", tandis que Nicolas Sarkozy tente de rallier à son panache gris et déplumé les quelques troupes qu'il veut rassembler en appelant à un nouvel état d'urgence. Endossant le manteau rapiécé de la République, tendant un doigt accusateur vers les résultats électoraux, le chef des Républicains s'écrit comme Pyrrhus: "Je ne vois que des tours, que la cendre a couvertes, un fleuve teint de sang, des campagnes désertes." Le malheureux Estrosi, de son côté, n'en revient toujours pas, que ses chers électeurs aient pu le laisser à plus de 16 points d'écart de la Maréchale. Fébrile il prend la parole, met une main sur le coeur et s'interroge, comme la belle Andromaque: "Et quelle est cette peur, dont leur coeur est frappé ?", avant d'accepter à son tour de rentrer dans l'ombre, vaincu, murmurant, face à son électorat ingrat : "Mais il me faut tout perdre, et toujours par vos coups."
Tous les chefs politiques, au soir du 6 décembre, appellent pourtant l'électeur, le Saint Peuple, à redevenir raisonnable. Xavier Betrand, bravache, annonce que « l'histoire retiendra que c'est en Nord-Pas-de-Calais-Picardie que la progression du Front National sera stoppée ». A droite, à gauche, on appelle au rassemblement républicain, à la victoire de la tolérance, du progrès, de l'amour, de l'intelligence sur la haine et l'obscurantisme mais las ! L'électeur, enragé, sourd à toute supplique, continue à tempêter comme Oreste à Pylade: "Je suis las d'écouter la raison !", "je me livre en aveugle au destin qui m'entraîne !" Une façon tout de même bien plus belle que la nôtre de conclure en ce premier soir d'élections : on ne sait pas où on va, mais ce qui est sûr, c'est qu'on y va.





Crédit photos: AFP. Philippe Huguen

Article publié également sur Causeur.fr

PS: Tous les lecteurs qui ont un souvenir plus précis d'Andromaque ou plus de temps pour parcourir à nouveau Racine sont invités à proposer d'autres vers pour illustrer les réactions, parmi nos politiques, des déconfits, des triomphants ou des indifférents. 

dimanche 29 novembre 2015

L'Arbresle qui cache la forêt


L'Arbresle est une jolie petite commune de 6161 habitants (recensement de 2012) dont l'histoire se confond avec l'abbaye bénédictine de Savigny, érigée au XIe siècle et tombée en ruine au XVIIe siècle. Sur la « route Royale » qui reliait Paris à Lyon durant l'époque moderne avant de devenir la Nationale 7, l'abbaye de Savigny dressait jalousement tout autour d'elle les petits bourgs fortifiés qui devaient la protéger des guerres et des invasions : l'Arbresle, Savigny, Saint-Bel, Eveux...Il ne reste pas grand-chose aujourd'hui de l'abbaye, progressivement délaissée par les moines, tout comme du château de L'Arbresle qui la défendait. Le petit village a perdu sa vocation de place-forte pour accueillir une pacifique et prospère bourgeoisie lyonnaise à la Renaissance avant de se convertir à l'industrie textile au XIXe siècle, comme toute la région de Roanne et sa bonneterie trente kilomètres plus à l'ouest jusqu'à Lyon et ses Canuts, dix kilomètres plus au sud. Après le déclin de l'industrie textile à la fin des années 1960, L'Arbresle est retombée dans la torpeur. Il reste aujourd'hui un petit village entouré de champs, avec son donjon et sa porte fortifiée et le pont de la Madeleine, construit dans la « pierre dorée » qui est la marque de fabrique du pays. Les habitants de L'Arbresle ont peut-être conservé dans le folklore local le souvenir de la Bête du Lyonnais qui terrorisa la région entre 1754 et 1756, faisant une trentaine de victimes, principalement des enfants, mais ce sont bien d'autres sujets qui occupent aujourd'hui les conversations depuis que le préfet du Rhône Michel Delpuech a, dans le cadre de l'article 8 de la loi relative à l'état d'urgence, a décidé de fermer la salle de prière, dite « mosquée », située au 33 bis rue Gabriel Peri à l'Arbresle. « Prenez le centre de l'arbresle ,en direction de sain bel vous allez trouver un pont eh bien juste aprés le pont garer vous sur le parking a droite la mosquée est a 30seconde », peut-on encore lire sur le site du Guide Musulman qui précise que les prêches s'effectuent en français et que la salle de prière comporte un espace pour les femmes.
Selon les chiffres du ministères de l'Intérieur, il y avait, en 2012, 2.131 lieux de culte musulmans en France métropolitaine et 318 outre-mer. Il en existait 150 en 1976, 200 en 1979, 900 en 1985, 1035 en 1987 et 1.555 en 2001. Le nombre de mosquées en France a donc été multiplié par dix en l'espace de vingt-cinq ans, de 1979 à 2001. D'après les statistiques données par l'OCDE et le département des affaires économiques et sociales de l'ONU (Fondation Robert Schuman), le nombre d'immigrés s'est stabilisé à six millions et a augmenté plus graduellement à partir de 1980. L'immigration due au regroupement familial et l'installation durable d'une partie des migrants a remplacé la logique de l'immigration de travail qui avait cours jusqu'aux années 1970. Selon le ministère de l'Intérieur, la France compterait aujourd'hui 5 à 6 millions de Musulmans, un chiffre ramené à 4 millions de personnes de 18 à 50 ans se disant musulmanes selon l'INED. Selon les mêmes sources, un tiers environ de ceux que l'on sera bien obligé de nommer, faute d'une expression plus précise, des « personnes de culture musulmane », seraient pratiquants. En 2008, l'INED évoquait 2,1 millions de personnes, pour 11,5 millions de catholiques, qui disposent de 45 000 lieux de cultes en France. Mais parmi les lieux de prière musulmans, bien peu sont en réalité des mosquées et les deux tiers sont des salles de prières ne dépassant pas cent mètres carrés, apparaissant et disparaissant très facilement. Elles sont financées par les fidèles ou par des « donations » venues de France ou de l'étranger, dont l'encadrement peut poser problème, tout autant que l'origine, surtout quand elle est saoudienne. A la date du 29 juin 2015, il y avait en France, 393 projets de construction de Mosquées, dont trois dépassent le million d'euros : Bordeaux, Marseille et Mulhouse1. La grande mosquée de Lyon, inaugurée le 30 septembre 1994, est sortie de terre en grande partie grâce à des fonds saoudiens. « L’Arabie Saoudite nous a accordé le financement qu’elle nous avait promis », rapportait le recteur de la grande mosquée de Lyon au site SaphirNews le 27 août 2014. Le rapport déposé au Sénat le 17 mars 2015 par Hervé Maurey2, sénateur et maire de Bernay (Eure), a pointé du doigt quelques inquiétudes et souligné les avantages que pourrait avoir l'instauration d'un co-financement public complétant le financement par les fidèles, selon les élus locaux (toutes tendances confondues) consultés pour les besoins du rapport, qui ont confié avoir éprouvé : « l’impression d’une certaine opacité dans le financement des lieux de culte musulmans aujourd’hui (liens éventuels entre certains financeurs et des organisations terroristes) et la crainte de financement provenant directement d’Etats étrangers comme l’Algérie, l’Arabie Saoudite ou encore le Qatar (pour ne citer qu’eux) leur suggèrent de prendre des mesures claires afin de réguler ces situations. »
La première inquiétude provient bien sûr de la nature de l'islam salafiste que l'Arabie Saoudite, notamment, finance à coups de pétrodollars depuis plus de vingt ans, et du risque de voir un islam français majoritairement sunnite basculer en partie sous l'influence de la « finance spirituelle » saoudienne. Si les grands projets de « mosquée-cathédrale » comme celle de Lyon ou de Marseille sont des symboles religieux très visibles, les multiples salles de prières (plus de 1500) sont disséminées non seulement dans les cités, comme celle des Minguettes à Vénissieux, fermée le 18 novembre, mais aussi dans les communes rurales, comme à L'Arbresle, visée aujourd'hui par une interdiction préfectorale. "Fréquentée par de nombreux salafistes, dont certains en relation avec des individus pouvant se trouver en Syrie, cette salle, dans le contexte actuel postérieur aux attentats de Paris, présente un risque sérieux d'atteinte à la sécurité et à l'ordre public", explique la Préfecture du Rhône. Le chercheur Samir Amghar, docteur en sociologie à l'EHESS, auteur du livre Le salafisme d'aujourd'hui (Ed. Michalon), estimait en 2012 que : "Selon les renseignements généraux, les salafistes sont entre 12.000 et 15.000 en France, mais les salafistes jihadistes sont ultra-minoritaires", un avis pas nécessairement partagé par son collègue politologue Gilles Kepel, qui jugeait lui, dans le même article de La Dépêche "inquiétant, quand les salafistes imposent leurs règles, par exemple le port du voile intégral, aux autres musulmans". 
Le problème ne provient pas en effet nécessairement du nombre de salafistes mais de leur emprise discrète sur une communauté musulmane hétérogène. Emprise d'autant plus discrète qu'en dépit de la conviction partagées par les spécialistes du renseignement que le recrutement au sein des mosquées a été considérablement réduit depuis 2001 grâce à la surveillance exercée par les services de renseignements, encore faut-il que les pouvoirs publics aient parfaitement connaissance de l'existence d'une salle de prière et que la présence de radicaux salafistes puisse justifier la mobilisation d'une structure de renseignements. En ce sens, le dernier facteur qui complique dangereusement le phénomène est celui d'internet. Depuis une dizaine d'année, on assiste en effet à la montée en puissance d'un islam radicalisé de nouvelle génération, un islam mutant, dont les pratiquants, souvent jeunes, attirés par les mirages romantico-nihilistes du djihadisme, vont parfaire leur progression politico-religieuse sur internet avant même de mettre les pieds à la mosquée, ce qui rend évidemment l'évolution du phénomène encore plus difficile à surveiller. L'Etat d'urgence donne peut-être les moyens aux pouvoirs publics de lutter de façon très éphémère contre le radicalisme islamiste en menant des perquisitions et en prononçant des fermetures par arrêté préfectoral mais cette agitation soudaine a surtout pour effet de médiatiser le laisser-aller dont les autorités politiques portent aujourd'hui la responsabilité, tout autant l'administration de Nicolas Sarkozy que celle de François Hollande ou de Jacques Chirac d'ailleurs, pour ne pas remonter encore plus loin. Et quand la mosquée salafiste de L'Abresle ou des Minguettes est fermée, combien, comme celle de Lunel, sont restées trop longtemps en activité tandis que nos dirigeants continuaient – et continuent encore – à serrer la main des pourvoyeurs de fonds saoudiens. «  Proclamer qu’on lutte contre l’islam radical tout en serrant la main au roi d’Arabie saoudite revient à dire que nous luttons contre le nazisme tout en invitant Hitler à notre table », déclarait très récemment le juge Marc Trévidic. L'argent n'a peut-être pas d'odeur mais le djihadisme sent quand même fortement le pétrole.


Egalement publié sur Causeur.fr

1http://www.desdomesetdesminarets.fr/2014/02/04/islam-en-france-plus-de-300-projets-de-nouvelles-mosquees-la-liste/

2 http://www.liberation.fr/societe/2015/03/17/aucune-regle-n-a-ete-posee_1222727

Etude de l'INED 2008: https://www.ined.fr/fichier/s_rubrique/19558/dt168_teo.fr.pdf


mercredi 11 novembre 2015

Les vieux gâteux du PAF



Dans sa déclinaison médicale, le terme "gâteux" s'applique à une personne qui souffre d'incontinences urinaire ou fécale. Le vieux français "gaster" était un peu plus imagé en renvoyant au fait d'user, de gaspiller, de répandre un liquide. Nous l'utiliserons avec un certain bonheur pour évoquer tous les vieux schnocks qui squattent le paysage audiovisuel français sans vergogne, répandant ici et là leurs incontinences verbales et leurs bien-pensances surannées. Et ils sont légions à ne pas connaître les joies d'un repos bien mérité après une vie de labeur ! A vrai dire, leur ego boursoufflé, auquel il faut bien sûr ajouter un entregent de vieilles canailles, les pousse à nous livrer quotidiennement une analyse politique dont la profondeur est égale à celle d'une mare aux eaux stagnantes.
         Une émission spéciale a même été créée pour eux : Les grandes voix d’Europe 1. On y retrouve Philippe Gildas (80 ans), Charles Villeneuve (74 ans), Michelle Cotta (78 ans), Gérard Carreyrou (75 ans) et quelques autres pour deviser chaque semaine des événements qui ont agité l’actualité. Pourquoi pas, me direz-vous ? L’idée de confier une tranche de radio à nos « vieilles voix » journalistiques serait intéressante si ces vieilles voix ne disposaient pas déjà d’une myriade d’occasions pour s’exprimer sur les ondes ; sans compter la qualité de leurs interventions, à peu près nulle, nos vieux éphores ânonnant sans discontinuer la même chose depuis Giscard, quand elles ne se gargarisent pas d’accents pompidoliens.

         Dès le matin, elles vous prennent, les vieilles voix, au pied du lit avec l’indécrottable Jean-Pierre Elkabbach (78 ans) qui tance de sa hauteur d’âge les plus ou moins jeunes loups de la politique avec un ton si dédaigneux, au bord de l’insulte, que l’on finirait presque par prendre pitié de ces vautours du suffrage universel. En face, sur RTL, nous ne sommes pas mieux lotis avec la voix traînante d’un Mazerolle (73 ans) qui n’en peut plus de s’écouter parler. Et si jamais vous n’avez pas encore voué l’humanité à vos haines les plus tenaces, il sera encore temps d’écouter la petite leçon de moraline délivrée par notre plus illustre révolutionnaire : Daniel Cohn-Bendit (70 ans) – rarement, il faut l’avouer, un « rouge » comme le valeureux Dany n’aura léché avec autant de bassesse les grandes bottes du capitalisme.

Le midi, l’insupportable Jean-Michel Apathie (67 ans) officie en compagnie du niais de service, Maxime Switek, pour nous livrer une information au cordeau, à peine dégrossie des dépêches de l’AFP. Il faut avoir entendu, au moins une fois, la voix chantante de notre ami pyrénéen répondre avec un mépris que l’humour gras arrive à peine à dissimuler aux « sans-dents » qui osent appeler la station pour évoquer leurs problèmes de pauvres. Heureusement, le soir venu, un autre imparable magicien du postillon, l’insubmersible Alain Duhamel (75 ans), prend le relais pour apporter un peu de hauteur à l’actualité politique. Le môsieur, comme nombre de ses fameux collègues, n’a pas émargé pour rien à Science-po Paris. Nom de nom ! Il tient le même discours giscardo-rocardo-compatible-à-tout depuis des lustres. Un coup au centre-droit, un coup au centre-gauche, ça reste le meilleur moyen de garder sa place au soleil. Vous en voulez encore ? Et bien au même moment, une nouvelle fois sur Europe 1 (championne toutes catégories du gâteux), le Club de la presse jonglera entre Robert Namias (71 ans), Philippe Gildas encore (80 ans ), Michelle Cotta encore (78 ans), Catherine Nay (71 ans), pour passer au crible de ces questions sans concessions un invité blafard, à peine démoulé d’un quelconque parti à la con.

Et si jamais, la nuit venue, enfoncé dans votre canapé mou, il vous venait à l’esprit d’allumer le poste maudit de la télé, c’est une ribambelle de vieux rigolards, la bave aux lèvres, qui vous scruteront de leurs yeux plissés, encore tout heureux d’être là, indéboulonnables. Pierre Lescure (70 ans), môsieur le président du festival de Cannes, vous fera part sur France 5 de ses grosses blagues bien grasses tandis qu’il caressera le dos de tous ses copains artistes. Franz-Olivier Giesbert (67 ans), entouré de trois nymphes plus imbéciles les unes que les autres, orchestrera un débat intellectuel d’une rare platitude. L’on en viendrait presqu’à rire avec lui d’un cynisme assumé, revendiqué, rémunéré. Et le week-end, quelle merveille ! L’enfant terrible de la télé, aussi anticonformiste qu’une huître accrochée à son parc, Thierry Ardisson (67 ans), invite deux-trois artistes sans intérêt, un morpion de la politique et une personne de la société civile (qui aura à peine l’opportunité de dire une demi-phrase) pour un show aussi vide que prétentieux.

Heureusement, le dimanche, il y a Michel Druker (73 ans)….. 



dimanche 8 novembre 2015

Fight Club sur ton mobile


Est-ce un canular ou une simple opération de com’ ? Le site Ubergizmo.com rapporte qu’une nouvelle application attendrait l’accord d’Apple pour débouler sur les smartphones : il s’agit de Rumblr – dont le nom est inspiré de la célèbre plateforme de blog Tumblr et du terme anglais « rumble » qui signifie « bagarre ». Vous l’aurez compris, Rumblr est donc une application servant à chercher la baston. Elle fonctionnerait sur le même principe que la non moins célèbre application de rencontre Tinder, mais sur un principe plus guerrier : il suffirait de lancer Rumblr pour que votre téléphone repère dans le proche voisinage tous les utilisateurs connectés qui comme vous cherchent une bonne occasion d’échanger des bourre-pifs. 


Plaisir d’offrir, joie de recevoir… On pourrait ainsi parcourir les photos de profil des aspirants au pugilat et sélectionner celui ou celle à qui l’on souhaite faire une tête, en accompagnant le défi d’un message type : « la photo c’est celle de ta dernière raclée ou t’es le fils caché de Picasso et de Mimi Mathy ? » Heureusement, les photos de profil sont aussi accompagnées de précisions essentielles telles que taille, poids et expérience dans les sports de combat, tout ceci afin d’éviter de provoquer par erreur Mike Tyson en lui conseillant d’aller manger les oreilles de sa mère. Après avoir sélectionné un adversaire à votre hauteur (Teddy Riner ou Sim), il ne vous restera plus qu’à choisir sur la carte qui s’affiche le cadre de l’affrontement dans le voisinage : parking souterrain, terrain vague ou entrée de boîte de nuit.



Si le concept vous rappelle très franchement le film Fight Club, rassurez-vous c’est sans doute fait exprès. Mais considérant que les duels ont été interdits par le Cardinal de Richelieu en France le 6 février 1626 (le dernier duel connu eut lieu en 1967 à Neuilly entre Roger Ribière et Gaston Deferre, qui avait traité le premier d’abruti en pleine séance parlementaire, on savait vivre à l’époque et on choisissait encore de régler les problèmes à l’épée au lieu d’aller chouiner devant un tribunal), la commercialisation d’une application comme Rumblr risquerait assez vite de poser quelques problèmes aux pouvoirs publics. On imagine en effet le succès et les multiples déclinaisons possibles d’un concept qui risquerait fort de faire rapidement des émules. Les utilisateurs de Gleeden, Tinder, OKCupid ou AdopteUnMec pourraient ainsi se ruer sur Gleedentagueule, Triplex, KOCopain ou AdopteMesPhalanges pour se détendre entre deux râteaux coûteux en allant échanger des pains à défaut de rouler des pelles. 


Pas sûr qu’Apple ou un autre accepte un jour de commercialiser une telle invitation au défouloir et au passage à tabac organisé, d’autant qu’il serait aussi possible de sélectionner sur son téléphone les combats en cours pour y assister comme un bon gros voyeur, ce qui transformerait à n’en pas douter Youtube en un week-end en une plate-forme d’hébergement de snuff movies alcoolisés et ferait sans doute imploser les services d’urgences des centres hospitaliers de toutes les villes de France. Il y a peu de chances donc que le Fight Club version mobile voit le jour dans un proche avenir et c’est un peu dommage tant on se prend à rêver aux différentes applications possibles. Imaginez Nicolas Sarkozy quittant soudain une conférence de presse en laissant sa veste sur son pupitre devant l’assistance médusée parce que Manuel Valls vient de lui donner rendez-vous sur le plus proche terrain vague ? Pierre Menès poké par Patrice Evra ? Marine Le Pen tombant sur le profil d’Edwy Plenel ? Et pour peu que Laurent Joffrin  ou Bruno-Roger Petit décident de s’inscrire, cela deviendrait une application d’intérêt public. 


vendredi 6 novembre 2015

La Pagode ferme ses portes

« Chers spectateurs,
C’est avec regret que nous vous annonçons notre départ du cinéma la Pagode.
Nous nous sommes battus juridiquement pendant 3 années contre la propriétaire des lieux qui souhaitait récupérer la Pagode.
La décision a été rendue vendredi 30 octobre en appel et malheureusement, elle nous est défavorable.
Nous sommes donc dans l’obligation de quitter la Pagode le mardi 10 novembre 2015. »

C’est par ces quelques mots, qui introduisent l’annonce collée sur les portes d’entrée, que les clients et habitués de la Pagode, ont pu apprendre la fermeture prochaine de cette salle mythique, haut-lieu du cinéma d’art et d’essai, situé au 57 bis rue de Babylone, dans le VIIe arrondissement de Paris.
En 1959, Jean Cocteau avait choisi la Pagode pour la toute première projection du Testament d’Orphée, convaincu qu’il s’agissait bien là du « temple du cinéma », comme l’avait dénommé quelques années plus tôt Ciné Magazine. Avec son luxuriant jardin japonais, élaboré sous l’impulsion des frères Louis et Vincent Malle en 1973, et les fresques orientales et guerrières de sa « salle japonaise », la Pagode peut en effet faire figure de temple à la Loti ou à la Mirbeau. Construite en 1896, l’ouverture de la salle a suivi de quatre ans la publication duFantôme d’Orient de Loti et précédé de quatre celle du Jardin des Supplices. Sur les murs et le plafond de la « salle japonaise », l’orientalisme déroule ses ors et ses tentures dans une luxuriance à laquelle les grands complexes de cinéma ne nous ont pas habitués.
La Pagode fut d’abord un cadeau, de François-Emile Morin, patron du Bon Marché, à sa femme qui lui fut peu reconnaissante puisque, nantie de ce petit Taj Mahal parisien, elle plaqua son généreux époux pour aller batifoler avec le jeune fils de son associé. Haut-lieu des frivolités de la Belle-Epoque, la Pagode fera office de somptueuse salle de réception jusqu’à une fermeture provisoire en 1927 et son ouverture au grand public en 1931, date à laquelle elle devient un autre temple, celui du 7e art, en se transformant en salle de cinéma. Une salle de cinéma unique à Paris, où l’on pouvait encore récemment se consoler de voir un film décevant en admirant les splendides décorations de la grande salle.

La "salle japonaise". Photo Jean-François Chapuis

Dans les années 1960, la Pagode est investie par la Nouvelle Vague et devient l’épicentre de la cinéphilie et de l’avant-garde cinématographique. Truffaut, Rohmer, Louis Malle y sont régulièrement programmés et la salle devient l’un des temples du cinéma d’art et d’essai avant même que ne soit créée officiellement l’AFCAE, l’Association Française des Cinémas d’Art et d’Essai en 1956, dont la Pagode devient, avec le Louxor, l’un des établissements emblématiques. Que va devenir aujourd’hui ce lieu mythique, dont le jardin, la toiture et la grande salle sont classés aux monuments historiques depuis le début des années 1990 ? A la différence des jardins et du bâtiment, l’écran qui a participé à l’histoire du cinéma français, lui, n’est pas classé aux monuments historiques. Et rien ne garantit qu’après la fermeture du 10 novembre prochain l’avenir de la Pagode en tant que cinéma sera assuré.
L’aboutissement, le 30 octobre dernier, de la procédure qui a opposé la propriétaire des lieux au gérant, la société Etoile-Cinéma, a débouché sur la décision de fermer les portes de la Pagode. Une décision apprise avec consternation par les employés comme par les spectateurs. Parmi ces derniers, un certain Jean Rochefort, habitué de la Pagode, a, comme beaucoup, appris par hasard que son cinéma allait fermer, en venant voir un film. L’inoubliable interprète du « Vieux » dans le Crabe-Tambour a immédiatement tenu à apporter son soutien public au personnel de la Pagode et à exprimer son désarroi face à une fermeture « impensable » pour lui.
Mais les protestations de Jean Rochefort et des amoureux du cinéma ne suffiront peut-être pas, cette fois, à sauver la Pagode qui avait déjà navigué en de mauvaises eaux au début des années 2000, avant d’être récupéré par Jean Henochsberg, d’Etoile Cinémas. Le gérant chassé des murs, le coup paraît cette fois bien rude et si la propriétaire des lieux a promis que La Pagode resterait un cinéma, rien n’annonce sa réouverture prochaine et l’on n’a aucune certitude quant au sort réservé à ses employés. On serait aussi curieux de connaître, sur la question, l’avis d’Anne Hidalgo, de Rachida Dati, maire du 7e arrondissement, ou de Fleur Pellerin, ministre de la Culture. Cette dernière posait le 30 octobre dernier en compagnie de la promotion de CinéFabrique, l’Ecole du Cinéma et du Multimédia à Lyon, et déclarait vouloir « construire le cinéma de demain ». Le cinéma continuait à exister localement et au jour le jour sur les écrans des salles d’art et d’essai comme la Pagode, mais son avenir paraît aujourd’hui bien sombre.

Photo: Jean-François Chapuis



Publié également sur Causeur.fr

vendredi 30 octobre 2015

Big Data is watching you !


« Datafication », « algorithme », « indexation », « protocole », « computation », « interopérabilité », « dispositif », etc. le champ lexical de la raison numérique dessine à lui seul les motifs du monde à venir : désespérément plat, entièrement régulé et profondément inhumain. Les professionnels de l’économie se sont déjà rués sur ce phénomène pour vanter à qui mieux mieux les bienfaits de la numérisation intégrale. Précisément, cette révolution technologique majeure dont on peine encore à prendre la mesure se traduit par un flux continu de données (bigdata) récoltées et analysées par des instances de tous ordres en fonction de dispositifs et de protocoles convergents. Elle contribue à instaurer « un rapport au réel placé sous le sceau de la puissance objectivante et non ambiguë des mathématiques et des nombres[1] ».

La promesse du numérique consiste donc à enfermer toutes les strates de l’existence dans des codes binaires (algorithmes) gérés par des machines surpuissantes, seules à mêmes d’assurer le bonheur compartimenté et sécurisé dont semble rêver le nouvel homme connecté. Concrètement, le processus est déjà bien amorcé avec la constitution de gigantesques banques de données (datacenter), l’incorporation massive de capteurs au sein de surfaces toujours plus étendues du réel et la dissémination de puces dans une multitude de produits quotidiens (robots, emballages, médicaments, etc.). Demain, les nanocapteurs pourront recouvrir quasiment toutes les surfaces sous forme de peintures ou de pellicules apposées sur des machines, des automobiles, des immeubles, des ponts, etc. A cela s’ajouteront les micropuces, dont sont déjà pourvus les animaux de batteries industrielles, qui s’incrusteront dans nos prothèses, nos organes et nos cerveaux. Cette « technicisation achevée de la nature » n’est pas un scénario de science-fiction, mais bien le programme établi par l’évolution « naturelle » des technologies numériques.

  
Cette évolution commence d’ailleurs à produire ses effets sur des segments entiers des activités humaines. Ainsi, les usines globales multi-localisées (connected factory) soumettent leurs personnels et leurs machines à des équations algorithmiques qui visent à la plus haute optimisation et à la plus grande flexibilité du travail. À chaque fois, il s’agit de traiter une myriade de sources informationnelles (flux, stocks, horaires, commandes, etc.) le plus rapidement possible et de façon synchronisée grâce à des techniques computationnelles très élaborées (supercalculateurs). Le processus a également fortement impacté le monde de la médecine avec la mise en place d’un véritable « biohygiénisme algorithmique ». Eric Sadin nous apprend, par exemple, que le logiciel HealthMap (analyse des données en provenance de l’OMS) a permis de détecter une épidémie de choléra en Haïti avec près de deux semaines d’avance sur les observations menées par les autorités qualifiées sur place. On l’aura compris, cette nouvelle médecine se fonde sur une évaluation continuelle des données dans le but d’aboutir à des traitements prédictifs individualisés en lien, notamment, avec le développement de la génétique. On sait que l’actrice Angelina Jolie a subi une double mastectomie (ablation des deux seins) puis s’est fait retirer les ovaires et les trompes de Fallope au seul titre de la prévention. Suite à des tests génétiques, les médecins avaient effectivement diagnostiqué un risque de cancer au vu de ses antécédents familiaux.

Les dispositifs numériques envahissent également de nombreux autres espaces de la vie quotidienne : qui n’a pas vu, en se promenant sur les grandes artères des centres urbains, une multitude de boîtiers, d’antennes, de caméras ? L’avenir est au smart cities, ces villes intelligentes qui capturent vos traits, identifient vos trajets et mesure la qualité de l’air afin de sécuriser l’environnement et de fluidifier le traffic. La même intrusion est encore davantage à l’œuvre pour tout ce qui concerne la navigation sur la toile internet. Partout, l’utilisateur laisse des traces numériques qui, traitées par des algorithmes, sont redirigées vers des entreprises privées quand elles ne sont pas enregistrées dans des régimes de surveillance généralisée. Là encore, il ne s’agit pas de science fiction : Edward Snowden est actuellement « exilé » en Russie pour avoir dénoncer plusieurs programmes gouvernementaux de surveillance qui travaillaient en bonne entente avec les grands opérateurs privés d’internet ! Ce fichage quantitatif et intégral de la réalité (les choses, les espaces, les hommes) produit évidemment des conséquences sur les représentations du monde.



Au plan épistémologique, le processus de numérisation débouche sur un nouveau mode de connaissance, le « savoir corrélatif computationnel », qui remet en cause tous les principes de la science occidentale telle qu’ils ont été posés par Aristote. Davantage encore, c’est tout simplement l’homme qui est expulsé d’un processus de connaissance (dévoilement du réel) dont il est pourtant l’origine et la fin. Ainsi, l’observation des faits s’efface devant la masse des données comme la validation par l’expérience laisse la place à un « régime d’interopérabilité universel », autrement dit à la mise en relation quasiment inépuisable d’une infinité de sources. Il importe moins, au final, de découvrir les lois générales des phénomènes que d’établir des liaisons entre des variables sans explication causale. D’où une virtualisation complète du réel qui s’efface au profit d’une mise en boucle des flux de réalité ; ces mêmes flux faisant l’objet d’une codification intégrale à partir de calculs sériés (statistiques). La principale conséquence reste cependant l’obstruction de toute ligne de fuite dans le réel, ce que l’on pourrait interpréter comme la disparition de la variable proprement humaine, imprévisible, intempestive, anarchique, dans l’appareillage systémique du monde. Il n’existe donc plus de jeu (ou encore de vide) dans la toile de l’existence, ce qui constituait auparavant l’écart nécessaire au libre déploiement de la liberté.

Au plan historique, le numérique s’inscrit naturellement dans le processus de rationalisation observé par Weber à cette disposition près qu’il en accélère encore le mouvement. Ce n’est plus la raison instrumentale qui maîtrise la nature mais les machines calculantes qui découpent le réel en codes binaires, et ce, afin de satisfaire l’autre dynamique essentielle à la modernité : l’individualisation. Aussi étonnant que cela puisse paraître, l’expression de soi se manifeste désormais « à l’intérieur d’un cadre majoritaire qui la codifie, l’excite et l’oriente de façon imperceptible ou non immédiatement consciente[2] ». Cette personnalisation de masse est à mettre en rapport avec l’essor d’un capitalisme cognitif qui dispose aujourd’hui des moyens de faire du « sur-mesure algorithmique ». Ainsi, les principaux acteurs du champ numérique (dominé par Google) ont établi de gigantesques banques de données que se sont partagées les firmes multinationales avant de mettre elles-mêmes en place leurs propres procédures de ciblage et de profilage de la clientèle. Dans ce contexte, la consommation devient un mode de vie à part entière puisqu’elle constitue l’une des principales formes de l’expression de soi – quand bien même elle n’est que le reflet du vide existentiel d’une société atomisée.

Au plan politique, la numérisation se traduit d’ailleurs par un data-panoptisme entretenu et exploité par les citoyens eux-mêmes. L’aménagement de sphères privées, qui étaient conçue comme la contrepartie nécessaire à la socialité chez les Grecs, tend à se dissoudre dans la mise en scène de toutes les existences particulières – Facebook étant le symptôme de cette maladie égotique. Plus largement, l’action publique répond à de strictes logiques utilitaristes, une nouvelle fois dépendantes des régulations algorithmiques, que la forme démocratique tend à recouvrir d’un voile de légitimité. En vérité, le domaine de la loi, là où s’exprime normalement la souveraineté populaire, tend à se restreindre au profit de la norme et des dispositifs qui la mettent en œuvre. Il s’agit moins de choisir et de sanctionner que d’encadrer et d’inciter les comportements dits « citoyens ». Le choix démocratique s’efface devant l’ingénierie sociale comme l’élu politique s’en remet aux impératifs technocratiques. La question des « migrants » ne doit par exemple pas faire l’objet d’un débat public, suivi d’une décision politique, mais d’un traitement purement technique avec la mise en place de protocoles d’identification, de ventilation et d’intégration des populations « migrantes ». Le règlement de la dette grecque poursuit le même mode opératoire : la troïka (en lien avec le FMI) définit les clauses nécessaires à l’obtention de prêts tandis que le gouvernement grec se charge de les traduire sous forme de programmes chiffrés, évalués et sans cesse renouvelés (sous conditions).
 


En définitive, la prégnance et l’emprise des techniques numériques marquent en profondeur toutes les strates de la vie sociale. C’est sans doute la dimension la plus fondamentale d’une révolution qui ne dit pas son nom. Elle finit par enfermer chaque individu dans une cage de verre à travers laquelle les reflets de la multitude lui interdisent de se penser comme à la fois une entité unique et un être collectif. « D’où a-t-il tant d’yeux qui vous épient, si ce n’est de vous ? » remarquait La Boétie[3]. On en revient à la part de jeu, et à la nécessité du secret, qui doivent s’intercaler dans toutes les relations sociales sous peine d’accoucher d’un système sans aspérités, uniforme et totalisant. « Car nous n’avons pas ici affaire, prévient Eric Sadin, à un totalitarisme, entendu comme un mode autoritaire et coercitif de l’exercice du pouvoir, mais à une sorte de pacte tacite ou explicite qui lie, à priori librement, les individus à des myriades d’entités chargées de les assister, suivant une continuité temporelle et une puissance d’infléchissement qui prend une forme toujours plus totalisante »[4]. Ainsi, chacun en vivant pour soi-même et par soi-même finit-il par abandonner le monde commun qui imprimait justement à l’être cette étrangeté première, originelle, sans laquelle il ne peut y avoir d’altérité.

Face à ce constat particulièrement sombre, l’auteur dessine les contours d’une politique et d’une éthique de la raison numérique qui nous semble quelque peu naïve par rapport aux poblématiques soulevées. Dans une rhétorique proche de la gauche critique, ce plan consiste à redonner le pouvoir aux citoyens à travers la création d’institutions réellement démocratiques : un Parlement mondial des données (comme Bruno Latour a pu parler d’un Parlement des choses[5]), une gouvernance de l’Internet, une éducation au numérique, etc. Ces mesures s’inscriraient dans une éthique élargie dont les contours paraissent également bien générales : défense de la liberté, sauvegarde de la vie privée, préservation du commun, etc. A vrai dire, Eric Sadin nous semble plus convaincant lorsqu’il envisage la création de « politiques de nous-mêmes » (Foucault) avec la production d’un contre-imaginaire, le développement de temporalités divergentes et l’utilisation alternative du numérique. Sans ce type de politiques, dont il convient de souligner la part utopique, l’homme se laissera aller à l’un de ses instincts les plus profonds, et les plus dangereux : celui de vouloir optimiser la vie pour en faire une donnée extérieure à lui-même. Avec l’aide des algorithmes, il semble bien que ce « miracle » soit désormais à sa portée : résoudre l’équation humaine et en finir avec la vie – telle que nous la connaissons aujourd’hui, dans notre espèce.  

 Publié dans Eléments, numéro 157








[1] Eric Sadin, La vie algorithmique. Critique de la raison numérique, Paris, Editions L’Echappée, 2015, p. 34. L’ensemble de l’article se fonde sur cet excellent ouvrage, particulièrement instructif et suffisamment abordable pour que tout le monde puisse s’interroger sur cette révolution silencieuse, déjà largement amorcée.
[2] Op. cit., p. 135.
[3] Opportunément cité par Eric Sadin.
[4] Op. cit., p. 173.
[5] Notons que cette idée se situe dans le droit fil de la logique technophile et consiste à rabaisser l’homme au niveau des instruments qu’il utilise et dont il devient en quelque sorte le simple prolongement humain. On peut imaginer, dans le même sens, qu’un Parlement des données numériques finirait par effacer la nature humaine au profit des algorithmes qui la définissent.