Bertrand Lacarelle manifestement ne semble pas soucieux de s’abriter sous la lumière des stars de la littérature puisque son œuvre naissante, après s’être attachée à défendre Arthur Cravan et Jacques Vaché, nous parle aujourd’hui, dans cette « taverne des ratés de l’aventure », d’un écrivain plus méconnu encore que les deux précédents : Stanislas Rodanski. Humilité revendiquée ou goût pour les marges et la pénombre calme des auteurs de second plan, c’est chose identique ici, quand se mêle, in petto, la confession masquée avec l’éloge des inaccomplis et de ceux qui se brûleront mieux à la chaleur de leur feu intérieur qu’au soleil de midi.
Il est difficile d’identifier le livre de Bertrand Lacarelle, ni essai ni roman, il prend la forme du récit mais remplace les péripéties afférentes à ce genre par différentes discussions entrelacées les unes aux autres ; par moment proche du genre épistolaire, il faudrait le définir comme un livre de conversation solitaire que l’auteur entretient avec lui-même et dont il fait part à son lecteur via son livre. Dès lors nous voici projetés au travers des rêveries de Bertrand Lacarelle parmi Chrétien de Troyes et Thoreau, sous la lumière blafarde et tutélaire du cancéreux martien Fritz Zorn, réfléchissant avec George Romero, en la compagnie de la chimère baudelairienne, au destin zombifié de l’époque contemporaine telle qu’elle va. Réfugié au bar de cette taverne des ratés de l’aventure, Lacarelle respire à l’unisson des derniers suicidés de l’art qui visaient le cœur pour se tuer tandis qu’aujourd’hui, pour ne pas revenir en morts-vivants, c’est à la tempe qu’ils tirent afin de crever pour de bon…
Mais plus que la chronique d’une époque, au détour des pages et à travers l’inachèvement que figure la littérature par rapport à l’achèvement qu’une vie vécue promet, un souci semble hanter Lacarelle : celui d’une résurrection de l’âme humaine rendue possible grâce à une littérature conçue en tant qu’authentique voie initiatique. Dans un monde falsifié, spectaculaire, pur produit de l’inauthenticité et producteur lui-même d’inauthenticité et de falsification, l’échec et ses hérauts, les ratés de l’aventure, prennent les ors et les armoiries des chevaliers capables de crever l’imposture généralisée. Si la vie n’est plus la vie, qu’elle devient même le contraire de la vie, un rade abrité de la moindre lumière naturelle vaut bien l’envers d’une caverne platonicienne et un écrivain attablé devant un verre ressassant Rodanski, se promettant d’écrire un livre dont il peine à trouver la forme, qui finalement ne requiert plus comme forme que celle de ses considérations jetées comme autant d’hypothèses qu’il importe moins de vérifier ou de suivre, que de poser et d’admirer, puisque les unes comme les autres ne vaudront que dans la mesure où elles seront encore des lignes de fuites possibles. La forme potentielle incarnant mieux l’espérance que la promesse d’une réalisation brute dans un monde où chacun entend se réaliser lors que nul n’espère plus.
De ce point de vue, littérature et vie finalement ne figureraient que les faces opposées d’une même pièce qu’on ne peut saisir à l’unisson. Aussitôt que l’on contemple un de ses côtés, l’autre disparaît, pourtant la pièce, quoique bicéphale, est d’une seule… pièce. Dilemme infernal dont la résolution vaut peut-être dans un tour de passe-passe qui donne à la littérature sa définition véritable, celle de n’être ni parmi les vivants ni au milieu des morts, morte parmi les vivants et vivante parmi les morts, au-dessus de la vie qu’elle synthétise et à laquelle finalement elle donne sa valeur. Sans avoir l’air d’y toucher, par voie de traverse, Bertrand Lacarelle suggère contre l’époque une morale nietzschéenne subtile pour laquelle une vie inaccomplie c’est aussi l’accomplissement d’une vie et un raté de l’aventure – un aventurier…
Bertrand Lacarelle, La taverne des ratés de l’aventure, Editions Pierre-Guillaume de Roux.
Il est difficile d’identifier le livre de Bertrand Lacarelle, ni essai ni roman, il prend la forme du récit mais remplace les péripéties afférentes à ce genre par différentes discussions entrelacées les unes aux autres ; par moment proche du genre épistolaire, il faudrait le définir comme un livre de conversation solitaire que l’auteur entretient avec lui-même et dont il fait part à son lecteur via son livre. Dès lors nous voici projetés au travers des rêveries de Bertrand Lacarelle parmi Chrétien de Troyes et Thoreau, sous la lumière blafarde et tutélaire du cancéreux martien Fritz Zorn, réfléchissant avec George Romero, en la compagnie de la chimère baudelairienne, au destin zombifié de l’époque contemporaine telle qu’elle va. Réfugié au bar de cette taverne des ratés de l’aventure, Lacarelle respire à l’unisson des derniers suicidés de l’art qui visaient le cœur pour se tuer tandis qu’aujourd’hui, pour ne pas revenir en morts-vivants, c’est à la tempe qu’ils tirent afin de crever pour de bon…
Mais plus que la chronique d’une époque, au détour des pages et à travers l’inachèvement que figure la littérature par rapport à l’achèvement qu’une vie vécue promet, un souci semble hanter Lacarelle : celui d’une résurrection de l’âme humaine rendue possible grâce à une littérature conçue en tant qu’authentique voie initiatique. Dans un monde falsifié, spectaculaire, pur produit de l’inauthenticité et producteur lui-même d’inauthenticité et de falsification, l’échec et ses hérauts, les ratés de l’aventure, prennent les ors et les armoiries des chevaliers capables de crever l’imposture généralisée. Si la vie n’est plus la vie, qu’elle devient même le contraire de la vie, un rade abrité de la moindre lumière naturelle vaut bien l’envers d’une caverne platonicienne et un écrivain attablé devant un verre ressassant Rodanski, se promettant d’écrire un livre dont il peine à trouver la forme, qui finalement ne requiert plus comme forme que celle de ses considérations jetées comme autant d’hypothèses qu’il importe moins de vérifier ou de suivre, que de poser et d’admirer, puisque les unes comme les autres ne vaudront que dans la mesure où elles seront encore des lignes de fuites possibles. La forme potentielle incarnant mieux l’espérance que la promesse d’une réalisation brute dans un monde où chacun entend se réaliser lors que nul n’espère plus.
De ce point de vue, littérature et vie finalement ne figureraient que les faces opposées d’une même pièce qu’on ne peut saisir à l’unisson. Aussitôt que l’on contemple un de ses côtés, l’autre disparaît, pourtant la pièce, quoique bicéphale, est d’une seule… pièce. Dilemme infernal dont la résolution vaut peut-être dans un tour de passe-passe qui donne à la littérature sa définition véritable, celle de n’être ni parmi les vivants ni au milieu des morts, morte parmi les vivants et vivante parmi les morts, au-dessus de la vie qu’elle synthétise et à laquelle finalement elle donne sa valeur. Sans avoir l’air d’y toucher, par voie de traverse, Bertrand Lacarelle suggère contre l’époque une morale nietzschéenne subtile pour laquelle une vie inaccomplie c’est aussi l’accomplissement d’une vie et un raté de l’aventure – un aventurier…
Bertrand Lacarelle, La taverne des ratés de l’aventure, Editions Pierre-Guillaume de Roux.