samedi 30 janvier 2016

La taverne des ratés de l'aventure



Bertrand Lacarelle manifestement ne semble pas soucieux de s’abriter sous la lumière des stars de la littérature puisque son œuvre naissante, après s’être attachée à défendre Arthur Cravan et Jacques Vaché, nous parle aujourd’hui, dans cette « taverne des ratés de l’aventure », d’un écrivain plus méconnu encore que les deux précédents : Stanislas Rodanski. Humilité revendiquée ou goût pour les marges et la pénombre calme des auteurs de second plan, c’est chose identique ici, quand se mêle, in petto, la confession masquée avec l’éloge des inaccomplis et de ceux qui se brûleront mieux à la chaleur de leur feu intérieur qu’au soleil de midi.
Il est difficile d’identifier le livre de Bertrand Lacarelle, ni essai ni roman, il prend la forme du récit mais remplace les péripéties afférentes à ce genre par différentes discussions entrelacées les unes aux autres ; par moment proche du genre épistolaire, il faudrait le définir comme un livre de conversation solitaire que l’auteur entretient avec lui-même et dont il fait part à son lecteur via son livre. Dès lors nous voici projetés au travers des rêveries de Bertrand Lacarelle parmi Chrétien de Troyes et Thoreau, sous la lumière blafarde et tutélaire du cancéreux martien Fritz Zorn, réfléchissant avec George Romero, en la compagnie de la chimère baudelairienne, au destin zombifié de l’époque contemporaine telle qu’elle va. Réfugié au bar de cette taverne des ratés de l’aventure, Lacarelle respire à l’unisson des derniers suicidés de l’art qui visaient le cœur pour se tuer tandis qu’aujourd’hui, pour ne pas revenir en morts-vivants, c’est à la tempe qu’ils tirent afin de crever pour de bon…
Mais plus que la chronique d’une époque, au détour des pages et à travers l’inachèvement que figure la littérature par rapport à l’achèvement qu’une vie vécue promet, un souci semble hanter Lacarelle : celui d’une résurrection de l’âme humaine rendue possible grâce à une littérature conçue en tant qu’authentique voie initiatique. Dans un monde falsifié, spectaculaire, pur produit de l’inauthenticité et producteur lui-même d’inauthenticité et de falsification, l’échec et ses hérauts, les ratés de l’aventure, prennent les ors et les armoiries des chevaliers capables de crever l’imposture généralisée. Si la vie n’est plus la vie, qu’elle devient même le contraire de la vie, un rade abrité de la moindre lumière naturelle vaut bien l’envers d’une caverne platonicienne et un écrivain attablé devant un verre ressassant Rodanski, se promettant d’écrire un livre dont il peine à trouver la forme, qui finalement ne requiert plus comme forme que celle de ses considérations jetées comme autant d’hypothèses qu’il importe moins de vérifier ou de suivre, que de poser et d’admirer, puisque les unes comme les autres ne vaudront que dans la mesure où elles seront encore des lignes de fuites possibles. La forme potentielle incarnant mieux l’espérance que la promesse d’une réalisation brute dans un monde où chacun entend se réaliser lors que nul n’espère plus.
De ce point de vue, littérature et vie finalement ne figureraient que les faces opposées d’une même pièce qu’on ne peut saisir à l’unisson. Aussitôt que l’on contemple un de ses côtés, l’autre disparaît, pourtant la pièce, quoique bicéphale, est d’une seule… pièce. Dilemme infernal dont la résolution vaut peut-être dans un tour de passe-passe qui donne à la littérature sa définition véritable, celle de n’être ni parmi les vivants ni au milieu des morts, morte parmi les vivants et vivante parmi les morts, au-dessus de la vie qu’elle synthétise et à laquelle finalement elle donne sa valeur. Sans avoir l’air d’y toucher, par voie de traverse, Bertrand Lacarelle suggère contre l’époque une morale nietzschéenne subtile pour laquelle une vie inaccomplie c’est aussi l’accomplissement d’une vie et un raté de l’aventure – un aventurier…

Bertrand Lacarelle, La taverne des ratés de l’aventure, Editions Pierre-Guillaume de Roux.

mercredi 27 janvier 2016

Mon journal indélicat

Joseph Scipilliti est né à Messine, en Italie, le 25 décembre 1951. Sa carrière d'avocat à débuté en Seine-et-Marne au début des années 1990. C'est à peu près au même moment qu'il a entamé un journal, achevé le 29 octobre 2015, avant de se suicider, après avoir tiré trois balles sur le bâtonnier Henrique Vannier, qui devait lui signifier une interdiction d'exercer pendant trois ans. Joseph Scipilliti était l'avocat de Christine Tasin, de Riposte Laïque et Résistance Républicaine. Nous publions aujourd'hui une réflexion sur ce suicide envoyée par un contributeur extérieur que nous remercions d'avoir bien voulu nous confier son texte.

Afin de compléter l'article, le « Journal indélicat » que Joseph Scipilliti souhaitait largement faire circuler est disponible en pdf en cliquant sur le lien suivant :



MON JOURNAL INDELICAT

Au titre du testament d’un avocat suicidé hier, « Journal indélicat »,  par respect  j’ai ajouté « mon ». Amis, je n’en suis pas là.
 
L’avocat qui s’est suicidé ne l’a pas fait sur l’autel  de Notre Dame, mais après avoir tiré trois fois sur son bâtonnier de Seine-et- Marne, pas à la tête ni au cœur, la balle à la tête il se l’était réservée pour lui-même. La garde des sceaux a été aussitôt bouleversée,  même apparemment plus qu’un président de la République après un accident de car, bouleversée par les balles tirées sur  un bâtonnier, et elles auraient pu être tirées sur un juge, que dis-je sur un procureur.   
 
L’avocat suicidé était né à Messine, et son père modeste - qui avait eu une fois dans sa vie à se louer de l’Assistance judiciaire au civil -  ce qui fait, entre autres choses,  que le fils a été longtemps socialiste, c’est-à-dire, comme on disait, de gauche.  Nul n’est parfait, mon père et mon grand-père paternel l’étaient.  Ce fils de milieu modeste -  ne pas confondre avec  milieux défavorisés, comme on dit -  a donc fait de l’assistance judiciaire volontaire, au pénal, quoiqu’il  n’aurait pas voulu être pénaliste (le banditisme ne l’intéresse pas), parce que pour être bon défenseur au civil il faut avoir une culture, qui si elle ne va pas jusqu’à lire de la littérature ou de la non-fiction autre que juridique, peut utilement aller  jusqu’à connaître la pratique au pénal.  
 
Ayant constaté lucidement lors de ses études que les étudiants de toutes les autres facs prenaient ceux sortis de la sienne pour les moins capables de raisonnements autres que bornés, il n’a pas moins conservé la dignité du pauvre, le sens de la déontologie d’un métier, la même qui fait que j’ai pu m’étonner, faisant passer l’oral du baccalauréat dans des temps très anciens où cela avait un enjeu, d’être abordé devant Janson de Sailly par un parent d’élève qui voulait m’acheter : de même s’étonne-t-il de ce qu’un ancien ami potache  agent d’assurance ne lui propose un dîner en ville que pour lui suggérer au dessert de lui communiquer, contre un pourcentage, la liste de ses clients. Or les indélicatesses - du titre - sont celles reprochées à un avocat pauvre qui ne se soumet pas aux abus de pouvoir systémiques de la hiérarchie de l’Ordre, des  greffières syndiquées, des juges non professionnels des tribunaux de commerce, de la magistrature salariée telle que  sortie de l’école de Bordeaux. 
 
Pas les indélicatesses - simple homonymie -  des conflits d’intérêts d’un bâtonnier prescripteur de contrats de fournitures, impunément, dans son département. Mea culpa, il fut un temps où j’étais maître après Dieu dans ma classe, comme le bâtonnier, et mon pouvoir absolu, que je croyais nécessaire pour exercer mon office sans contrainte perverse, je ne peux plus jurer en confession ne pas l’avoir exercé, pas à bon escient, en sorte qu’un ancien élève n’en ait gardé un souvenir d’injustice. Ce temps n’est plus. L’injustice, aujourd’hui, serait de ne pas accorder de pouvoir conserver ses notes positives pour repasser le bac, cinq ans. Ou, idéalement, mais vécu, de ne pas accorder une licence à une étudiante fantôme qui argumente qu’étant en fin de droits faute d’avoir ses peaux d’âne qu’une secrétaire ne peut lui accorder faute de ma signature sans un faux, j’aurai sur la conscience qu’elle ne sera plus logée en cité universitaire.  Comme le suggère  l’avocat suicidé, il ne serait pas mal que le bâtonnier, le magistrat, soient soumis, non à cette pression démocratique, mais à un état de droit et à un vrai recours indépendant de leur profession (le recours existant : efficacité 0, 05 °/°) au lieu des pressions, efficaces quand des autoroutes sont coupées la nuit par des gens du voyage, et des machines à laver lancées sur les têtes de policiers qui sont entrés dans un territoire des Cités qui n’est pas le leur, selon l’interprétation de l’ordre public par le  préfet. Car, argumenterait-il, cette pression démocratique, comme le disait Clémenceau qu’il cite en épigraphe, est le droit pour les poux de ronger le lion. Sauf si le vrai lion a un pied-à -terre, en gated community, son refuge dans les Caraïbes.  Reste, en Europe,  pour se consoler, qu’on puisse encore entendre traiter l’avocat époux de Carla Bruni-Tedeschi, la Rollex des femmes dit-il, de minable jaloux, si on pense que la vérité sort de la bouche pas seulement des impubères, mais, par procuration, du plus lion cavaliere Berlusconi.
 
Il est vrai que dans des temps plus récents, de massification des professions, le nombre des avocats (de même qu’il y avait dix profs d’histoire à Paris avant 1830, et 40 000 en France aujourd’hui) fait que la notion de profession libérale, quand on ne s’est pas reconverti au salariat, a pour sens la pauvreté, pour la majorité, comme pour les architectes, les médecins ceux qui  voudraient bien échapper au tiers payant et à la grille inférieure des honoraires, les très petites entreprises concurrencées à mort par celles qui ont la taille pour employer impunément massivement des ressortissants de pays à la main d’œuvre moins chère, les professeurs qui voudraient échapper aux concours de la fonction publique, de l’enseignement sous contrat, des affectations en zones prioritaires aux milieux défavorisés et aux crachats aux profs par un auxiliariat ou un régime d’entrepreneur individuel, les curés, même blancs, ceux  qui n’ont ni l’entregent ni l’aura au sortir du Séminaire pour être programmés évêques.  
 
La pauvreté n’est pas tout, même si comme le médecin des pauvres qu’était Céline un avocat peut être cause de sa pauvreté quand il ne fait pas payer ses honoraires à des associations qu’il juge utiles à la société, comme celle qui, aujourd’hui, sans doute par une obligation morale en retour, publie son testament, demeuré une heure sur Google avant d’être promptement retiré, d’y être remplacé par les habituels chiens de garde, Libération, Figaro, Le Monde etc.. qui pointent  aussitôt  -  feu sur les dissidents ! -  l’association indélicate, et hop, réductio ad hitlerum qu’ils n’hésitent toujours pas à exercer à l’égard d’une minorité du peuple français qui approche d’être la majorité. La pauvreté n’est pas tout. Ce qui conduit au suicide, c’est de croire tragiquement à l’état de droit, quand la structure de péché fait qu’il n’y a partout que le règne des loups en bande : le bâtonnier en est généralement et, encore plus généralement, « mon bâtonnier » (citation médiatisée d’un avocat de Seine et Marne issu de la Diversité, aussitôt interviewé en renfort ) est le chef local d’un consensus solidaire de la religion républicaine et laïque, dont ne sont exclus que ceux, judiciables victimes, politiques, policiers, affichés sur les tableaux d’infamie d’un syndicat de la magistrature.  Comme le prétend ce consensus, et le premier ministre lors des séances de question à l’Assemblée nationale - lieu où l’immunité est encore individuelle, pas comme à Strasbourg  -, ce serait attenter à l’état de droit et à la séparation des pouvoirs que de prétendre dans cette enceinte qu’il y a des magistrats, ou des bâtonniers, psychopathes ou pervers. Circulez, il n’y a rien à voir. Faites enlever le corps. Comme celui sur l’autel de Notre Dame ? Ce n’était qu’un déséquilibré.
 
Pour ce qui est du règne des loups en bande, des fictions plus éclairantes que le testament du suicidé ?  Ces deux dernières semaines, sorties de deux films.  Lobster, ou comment être ou ne pas être en règle, pas à la chinoise ne pas dépasser un enfant naturel ou deux, mais l’Avenir radieux des couples vérifié, par consentement mutuel pour tout, exigible pour le permis de circuler en ville, sinon déportation  médico-légale. Sicario, ou comment à Ciudad Juarez la bien nommée les humains écorchés suspendus aux lanternes affichent le pouvoir des loups. Que si on veut pénétrer sur leur territoire, ce n’est pas de recevoir des machines à laver sur la tête qu’on risque, mais de devoir être volontaire pour une opération off-limites (légales, s’entend, les limites ont dû « être reculées »), en commando en voitures blindées. Il ne s’agit pas du Nigeria ou du Mali, ou de Raqqa, mais de l’autre côté de la frontière,  vue imprenable depuis El Paso, Texas. 
 
Etat de droit, vous dis-je, ou vous dit le suicidé.


lundi 25 janvier 2016

Portraits imaginaires (2) - Alain Soral


Après le Maire de Province, voici un deuxième portrait imaginaire, cette fois sur un personnage bien réel. Comme leur nom l'indique, ces portraits sont fruits de l'imagination et n'ont d'autre prétention que de mettre en lumière les archétypes représentés par les figures humaines, médiatiques ou politiques qui leur tiennent lieu de prétextes.


« On dirait que dans les portraits qu’ils tracent de leur contemporains il s’attachent à nous montrer la manière dont s’incarne, se prolonge et s’individualise le péché d’origine. »

Emil Cioran




Il voudrait nous convaincre de son intelligence quand c’est lui plutôt qui semble chercher à s’en persuader. Aussi répète-t-il à chacune de ses interventions qu’il écrit des livres et qu’il aime « manier le concept ». C’est surtout un boxeur. Et c’est affublé des gants de ce sport qu’il prétend « penser » à l’instar de Coluche qui jouait du violon avec. Brute déclassée dans l’intellect, il enrage de ne pas percer dans une discipline dont il ignore les codes et déclare gagner quand il perd selon les règles. Pour celui qui l’observe, il évoque un sentiment étrange où se mélangent l’attendrissement et le mépris sans qu’aucune de ces deux sensations ne puissent vraiment prendre l’ascendant sur l’autre : aussitôt qu’on le trouve attachant on se surprend à le mépriser, et réciproquement…
On l’a vu un temps patauger devant les caméras les plus vulgaires. Là, on se moquait de lui cependant qu’il croyait éblouir l’assemblée de ses considérations pour beauf. Après quelques passages dans les égouts de la télévision, des médiocres policés décidèrent qu’il pouvait monter en grade, et avec une certaine cruauté lui ont décerné le titre d’intellectuel ─ ainsi l’on couronnait un fou lors des carnavals anciens ; moquerie qu’il a pris pour un sacre véritable auquel il ne renonce pas, comme s’il accordait une étrange crédibilité à ces gens qu’il vomit aujourd’hui. Avide de reconnaissance, sa position d’outsider perpétuel renvoie moins à un prétendu choix aristocratique qu’à une porte que quelques seigneurs télévisuels lui ont claqué à la figure après qu’ils se furent aperçus qu’il prenait la farce au sérieux. Dès lors il retourna naturellement vers les marécages de l’immonde où il gardait ses habitudes, et qu’il n’avait d'ailleurs jamais véritablement quittés.
C’est un boxeur, mais on l’imagine aussi bien anti-héros stendhalien sur fond de roman naturaliste, monté à la capitale pour s’y faire connaître et se retournant contre les maîtres qu’il adorait, après qu’ils l’eurent fait défiler sur la scène du cirque sadique dont ils avaient en son honneur dressé le chapiteau. De bête de foire le voici mué en monstre de Frankenstein mélangé de Julien Sorel, sans réaliser pour autant qu’il n’était que la créature d’un créateur et le jouet de ses propres ambitions. De fait, la méchanceté n’était peut-être pas sa nature originelle, et en d’autres temps s’il avait su rester à sa place aurait-il fait un franc camarade, voire un bon chef de village ! Mais son idiotie a trop nourri son ressentiment pour ne pas nous apercevoir qu’il espère désormais quelque sang versé capable de lui offrir sa revanche, et on l’envisage sans peine partir casser la gueule d’un de ses interlocuteurs si celui-ci démontait son raisonnement ou lui révélait sa qualité authentique ─ nulle ! Cependant, ignorant qu’il n’existe pas de pire ennemi que soi-même et qu’il est sa propre dupe, ce Sisyphe de gymnase préfère s’acharner sur un punching-ball inerte ou sur des adversaires fantasmatiques qu’il se crée seul à force d’insulter la terre entière, dans l’impossibilité où il se trouve de comprendre qu’il lui faudrait surtout se frapper lui pour se punir d’être aussi bête…




mardi 19 janvier 2016

Pamela et les canards

Après Brigitte Bardot, le règne animal a trouvé une nouvelle ambassadrice de charme en la personne de Pamela Anderson, qui rend visite aujourd'hui à l'Assemblée Nationale pour défendre les oies et les canards toujours sacrifiés en France sur l'autel de la gastronomie et de la Saint-Sylvestre. Si l'Assemblée s'était offusquée il y a quelques mois des caquètements sexistes de quelques élus, au point que la députée EELV Isabelle Attard a pris la décision de créer un «poulailler de l'Assemblée» destiné à répondre aux cocoricos machistes de ses confrères, Pamela Anderson tentera de rendre aujourd'hui les élus solidaires du martyr revécu chaque année par nos amis à plumes livrés à nos détestables fantaisies alimentaires.


C'est d'ailleurs à la demande de la Fondation Brigitte Bardot que l'ex-sauveteuse star des plages de Malibu et des petits écrans est venue donner l'alerte devant les 577 députés et soutenir la proposition de la députée EELV Laurence Abeille visant à interdire le gavage des oies et des canards pour la production de foie gras. Nul doute que nos chers élus, gavés quant à eux de réformite pré-électorale, auront à cœur d'écouter la profession de foi de l'actrice et sauront laisser de côté les piaillements potaches afin d'éviter de passer pour des buses et de laisser croire à la belle ambassadrice américaine qu'elle vient défendre la cause des canards au beau milieu d'une basse-cour.
Durant toute la matinée, les réseaux sociaux bruissaient déjà plus fort qu'une armée de moineaux dans un arbre et l'on twittait partout à qui voulait l'entendre blagues vaseuses et noms d'oiseaux à propos de la plastique comparée des dindes, oies, canards et autres gallinacées ou palmipèdes. L'Assemblée, quant à elle, se prépare à une affluence record cet après-midi, nos consciencieux députés étant sans doute plus enclins à écouter l'élégante Pamela chanter le triste sort de nos colverts à la belle parure qu'à discuter d'un hypothétique plan de lutte contre le chômage. Nos députés sont de grands enfants: ils aiment bien embêter les filles et ils adorent tout ce qui les sort de l'ordinaire de manière générale. Quand on a déplacé la petite classe à Versailles pour le Congrès de la Défense, les grands gamins tout excités se sont mis à faire des selfies partout dans la cour du beau château...Alors vous pensez: Pamela Anderson qui vient à l'Assemblée pour leur parler de canards, wah madame c'est trop bien aujourd'hui le cours ma parole!
En dépit de l'agitation que sa venue suscite, soyons sûrs que, de son côté, Pamela Anderson aura à cœur de venir au secours des anatidés, après avoir sauvé les baigneurs inconscients et ravis pendant tant d'années. Gageons aussi que toutes les oies et tous les canards de France auront les yeux rivés sur elle pendant son allocution et souhaiteront que Pamela soit assez éloquente pour rendre les députés non seulement allergiques au foie gras mais également anatidaephobes. L'anatidaephobie, pour ceux qui ne connaissent pas, est une phobie bien particulière: c'est la peur que, quelque part, un canard vous observe. C'est ce qu'il faudrait d'ailleurs donner comme argument à nos députés: n'oubliez pas qu'à chaque fois que vous mangez du foie gras, il y a, quelque part dans le monde, un canard qui vous observe et une Pamela Anderson qui pleure.



Publié sur le Figarovox


lundi 18 janvier 2016

Un maire de province - Portraits imaginaires (1)


« On dirait que dans les portraits qu’ils tracent de leur contemporains il s’attachent à nous montrer la manière dont s’incarne, se prolonge et s’individualise le péché d’origine. » Emil Cioran

Ainsi débute une série de portraits imaginaires dans lesquels on reconnaîtra selon l'humeur un vice, une personne, ou les deux à la fois. Pour commencer: le maire de province.





Ce n’est même pas une baronnie, et il n’est pas certain que les prochaines élections le confortent sur ce trône minuscule où il règne comme Ubu roi. Vulgaire sans être néanmoins proche du peuple ce petit homme rappelle dans sa fatuité ces nobles arrivistes, et misérables, cherchant à briller aux yeux des grands seigneurs quand la Révolution remuait déjà de ses premiers soubresauts et qu’elle s’apprêtait à les renverser tous, grands et petits. La province est son domaine et s’il rêve de Versailles, Versailles, elle, ne songe pas à lui. Ce qui ne l’empêche pas de caresser d’immenses projets risibles et de vouloir pour sa ville de beaux palais, selon son mauvais goût, où il pourra admirer son ego et se convaincre qu’il compte parmi ceux dont l’histoire se souviendra. Mégalomane, il subit la malédiction de ce penchant en échouant dans tout ce qu’il entreprend sur son domaine, y compris lorsqu’il parvient à ses buts pathétiques. Il est des réussites pires que des défaites. Aussi, les châteaux qu’il édifie sont laids et la gloire qu’il recueille parfois n’est jamais que la flatterie dégoûtante de ses séides, plus médiocres encore que lui, et qu’il fait vivre dans la crainte et l’envie de leur retirer un poste ou de leur promettre quelques avantages en nature.
Car comme tous les petits assoiffés d’immensité, il est méchant et son apparence bonhomme tient bon le contre-pôle de sa nature réelle, ambitieuse et pusillanime. Quiconque l’a côtoyé, sans appartenir à son cénacle, n’a pu manquer d’observer son profond sadisme envers les humbles, plus violent encore chez les hommes de gauche, dont il est, que chez les hommes de droite qui eux, ayant la décence de se vautrer dans le populisme sans camouflage aucun, ne trompent personne. S’adressant aux vieillards et aux fous, aux miséreux qu’il visite avec ce paternalisme méprisant, et méprisable, qui révulse les seuls qui pensent encore qu’en chacun demeure une étincelle de l’humanité entière, il persuade certains sots appartenant à son espèce de sa profonde charité. C’est suffisant pour ce faire réélire ; il n’en réclame pas plus, et puis ses électeurs ne lui en demandent pas tant…
On imagine qu’il espérait jadis un meilleur destin, et que devant sa glace, encore maintenant, il se croit appelé à de plus hautes fonctions. Ainsi viendra un jour, pense-t-il, où il revêtira un manteau plus beau et portera une couronne plus clinquante que celle qu’il arbore déjà. D’ailleurs, il suffit de regarder les costards qu’il porte, mal coupés et chers, ces frusques inélégantes qui signent la marque de fabrique des politiciens français, pour comprendre qu’au fond, la province ne lui sied guère et qu’il souhaite une dimension nationale dans laquelle il se dit qu’il pourra enfin donner sa pleine mesure ! Cependant, mutatis mutandis, Paris reste lointain, et ce n’est pas parce qu’il partage avec ses maîtres de la capitale une substance identique que ces géants de carnaval se reconnaîtront jamais dans ce nain de province…





vendredi 15 janvier 2016

L'ennemi intime

Pour saluer 2016, le Professeur du Dimanche se demande bien en cette année nouvelle quelle radicalité nous sauvera à la fois du terrorisme et de nos terrifiants apôtres de la modération. En direct d’Apachemag

L’inquiétude et le désarroi ont envahi les esprits depuis que le tragique est venu frapper à nouveau au cœur de nos vies, comme un éternel retour du concret que l’on aurait vainement tenté de dissimuler un moment. Les attentats du 13 novembre annonceraient le début d’une guerre, à l’instar de ce qu’ont pu connaitre les Etats-Unis à la suite du 11 septembre. La situation est toutefois inédite car nous sommes face à un Etat déterritorialisé, Daech, ce qui peut apparaître comme un paradoxe. L’ennemi n’est pas circonscrit à un territoire comme il pouvait l’être lors des guerres classiques, la frontière permettant une telle discrimination et, toutefois, il se veut le bras armé d’une entité politique à cheval sur l’Irak et la Syrie, et dont l’idéologie veut que la guerre doit avoir lieu sur un territoire aux géométries universelles.


Nous constatons malheureusement depuis quinze ans que la guerre contre le terrorisme a conduit globalement davantage à nourrir celui-ci plutôt qu’à assurer la sécurité des individus. Il ne suffit pas d’éliminer ses ennemis pour empêcher d’autres de vouloir se battre à leur place. Les candidats au jihadisme pratiquent un véritable nomadisme du fondamentalisme, hier pour le GIA, puis pour Al Qaeda, aujourd’hui pour Daesh, demain sous une autre bannière. Par conséquent la destruction de l’Etat islamique ne peut tout au plus que donner un coup de frein à ce phénomène de radicalisation. Certes, des mesures sont à prendre dans l’immédiat, ne serait-ce qu’en matière de renseignement et de coopération judiciaire afin de protéger, dans la mesure du possible, la population. Mais ne nous leurrons pas sur ces mesures sécuritaires à court terme qui, au mieux, permettront de déjouer quelques attentats parmi les nombreux à venir, au pire contribueront à terme à légitimer une terreur d’Etat.

L’analyse de ces événements est évidemment complexe et ne saurait se réduire à une seule explication, qu’elle soit géopolitique, sociale, psychologique ou religieuse, bien qu’elles aient toutes leur importance. Le problème est malheureusement beaucoup plus profond en ce qu’il est lié à une crise de sens de nos sociétés occidentales. Ce sont bien, pour la plupart, des individus nés et ayant vécu en Europe qui se portent volontaires pour le jihadisme. Des analystes comme Olivier Roy ont bien souligné le fait que ceux-ci sont en rupture générationnelle avec leurs parents, souvent non croyants, chrétiens, ou pratiquant un islam modéré. Le profil est somme toute à chaque fois relativement semblable, avec la même surprise des témoins relayée par les journalistes : « On ne comprend pas, c’était un gentil garçon, il ne pratiquait pas, buvait et fréquentait des filles, et puis un jour c’est vrai il s’est mis à se faire pousser la barbe et à régler sa vie quotidienne à partir de principes religieux. »

Souvent ils ne connaissent rien à la théologie et à l’Islam en général, mais ils sont sensibles à un discours qui leur apparaît comme désormais le plus radical et le plus révolutionnaire sur le marché. Comme l’écrivait Chuck Palahniuk dans Fight Club, « Nous sommes les enfants oubliés de l’histoire. Notre grande guerre est spirituelle. Notre grande dépression c’est nos vies. » C’est à partir de cet auto-diagnostic que le petit délinquant paumé de banlieue va choisir de s’ériger en justicier purificateur d’une société pour laquelle il n’a que du mépris.

« L’ennemi est la figure de notre propre question », écrivait Carl Schmitt. C’est à partir de cette juste réflexion qu’il nous est possible de penser radicalement, c’est-à-dire à la racine, la radicalisation islamiste qui est au fond davantage un extrémisme qu’un radicalisme. Une radicalité authentique s’y oppose et prévient toutes formes d’extrémismes qui constituent, au fond, les symptômes d’une société malade. Il est toujours opportun de rappeler à cet égard le célèbre diagnostic que portait Nietzsche dans Ainsi parlait Zarathoustra sur le nihilisme occidental moderne : « La terre alors sera devenue exiguë, on y verra sautiller le Dernier Homme qui rapetisse toute chose. Son engeance est aussi indestructible que celle du puceron-, le Dernier Homme est celui qui vivra le plus longtemps. ̎ Nous avons inventé le bonheur ̎, diront les Derniers Hommes, en clignant de l’oeil. Ils auront abandonné les contrées où la vie est dure ; car on a besoin de chaleur. On aimera encore son prochain et l’on se frottera contre lui, car il faut de la chaleur. La maladie, la méfiance leur paraîtront autant de péchés ; on n’a qu’à prendre garde où l’on marche ! Insensé qui trébuche encore sur les pierres ou sur les hommes! Un peu de poison de temps à autre; cela donne des rêves agréables. Et beaucoup de poison pour finir, afin d’avoir une mort agréable. »

Ces sociétés du « dernier homme » ont fragilisé toute une partie de la jeune génération, désespérément en quête d’un projet collectif et de repères solides, la poussant ainsi dans les bras des premiers fanatiques lui offrant une cause pour laquelle elle serait prête à sacrifier sa vie. Comme le souligne Daesh avec tout le cynisme qui lui sied : « Nous aimons la mort plus que vous n’aimez la vie ». Le futur nous demande d’être vivants, plus vivants que nous ne le sommes. Le passé nous demande d’être vivants, plus vivants que nous ne le sommes. Car du présent naît éternellement la fragilité de la vie dont nous sommes conscients de la préciosité. Seulement cette conscience a tôt fait de s’évanouir dans la médiocrité et dans la peur si elle n’est pas éveillée par un horizon salutaire. Comme l’écrit justement Chesterton : « Un soldat encerclé par l’ennemi, s’il veut s’en sortir, se doit d’allier un fort désir de vie et une étrange indifférence à la mort. Il ne doit pas trop s’agripper à la vie et succomber ainsi à la lâcheté : il ne réussira pas à s’échapper. Il ne doit pas être trop pressé de mourir non plus : il n’en réchappera pas. Il doit rechercher la vie avec un esprit d’indifférence furieuse à son égard ; il doit être assoiffé de l’eau de la vie et être prêt pourtant à ce que ce soit le vin de la mort qui étanche sa soif. » (Gilbert Keith Chesterton, Orthodoxy, IgnatusPress, San Francisco, 1995, p. 9.)

Encore faut-il que cette conjugaison entre un fort désir de vie, qui sans l’indifférence à la mort s’abîme dans le nihilisme du dernier homme, et l’indifférence à la mort, qui sans le fort désir de vie engendre la folie meurtrière et suicidaire du terrorisme, soit soutenue par une politique digne de ce nom, voire une métapolitique qui dépasse les simples intérêts ou rapports de force. Il ne s’agit pas tant d’être nostalgique d’un quelconque métarécit dont nous connaissons toutes les potentialités totalitaires (par exemple fasciste ou communiste) et dont l’idéologie salafiste constitue l’un des succédanés, mais de concevoir à tout le moins un récit porteur d’un espoir collectif, voire d’une révolution à la fois spirituelle et matérielle, dépassant la société de marché et ses symptômes destructeurs.



mardi 12 janvier 2016

Rise and fall of Rock'n Roll


Avec David Bowie et Lemmy Kilmister le rock vient de perdre les derniers témoins de son âge classique. Certes, il reste encore Paul McCartney, Bob Dylan et les Stones, mais, eux, à l’inverse de nos chers disparus ne suscitent guère plus qu’un enthousiasme nostalgique, leur période faste s’étant achevée au mitan des années 70, tandis que Bowie et Motörhead continuaient malgré tout à se réinventer pour le premier, et à persévérer dans leur être pour les seconds. Après eux ne demeurent plus que les sous-genres d’un style qu’ils auront inspirés et qui par définition empêchent l’unanimité. Les derniers grands créateurs de clichés, ceux qui inventèrent un genre dont ils restent les maîtres incontestés s’appellent Iron Maiden, Metallica, Slayer, Morbid Angel, Sisters of Mercy, New order/Joy Division, Darkthrone, Laibach, Bauhaus, Depeche Mode, et quelques autres, dont la radicalité et la tonalité crépusculaire fondèrent l’Underground, sans qu’ils y participassent forcément, faisant définitivement basculer la création de qualité dans les marges.


Bowie et Lemmy figuraient donc les dernières icones à venir directement du monde d’Elvis Presley, les dernières références du rock qui ne furent pas contraintes de choisir entre la standardisation et les ténèbres, l’ultime soubresaut de la pop dans sa période colorée, écho musical des trente glorieuses, quand les excès, l’engagement politique, la remise en cause artistique non seulement valaient pour norme, mais semblaient ne pas devoir se payer autrement qu’en positif. On a beaucoup glosé sur la musique pop que l’on a survalorisée ou dévalorisée de trop. Les demi habiles y ont vu la distraction spectaculaire nécessaire à l’achèvement de la domination du système ultra-libéral, les naïfs ont crû à sa réelle portée subversive oubliant qu’il n’est d’art qu’officiel, que la subversion elle-même est un moment de l’époque qu’elle représente, et qu’on n’a jamais crée que pour plaire. Pour autant, la période des sixties fut d’une créativité et d’une exigence artistique éblouissante, les albums des Beatles, de Dylan, de Bowie en témoignent et alors que la Grande Musique marchait en direction de l’aphone, tentant aujourd’hui de retrouver figure et forme chez Glass ou Pärt notamment via l’influence de la pop, la musique « récréative » de cette époque fut sans conteste, en même temps que la bande originale des lendemains enchantés, la dernière rencontre entre l’Art et la masse ; l’illustration d’une utopie démocratique et aristocratique dont on croyait qu’elle incarnerait la fin de l’histoire
L’émotion qui nous saisit alors à l’annonce de la mort de Bowie et de Lemmy, un brin disproportionnée en regard de nos playlists qui ne font pas tourner Ashes to Ashes et Overkill tous les dix morceaux, provient plus sûrement de la prise de conscience d’un monde avec eux désormais révolu, qui plus encore qu’une parenthèse enchantée s’avéra une illusion historique, un idéal dont nous faisons avec leurs héritiers torturés le deuil : celui de la politique solaire et naïve, de la musique exigeante à destination des foules, l’idéal de l’art de vivre selon son désir, bref, la fin de l’Occident pacifique et lumineux de l’après-guerre. En 1969 Space Oddity sonorisait pour la BBC l’alunissage d’Apollo 11, matérialisation technique d’une humanité appelée à rejoindre les étoiles, David Bowie meurt en nous léguant Blackstar, allusion directe à DAESH, comprenne qui pourra…




dimanche 10 janvier 2016

Meurtres pour mémoire


A la fin du XIXè siècle, les anarchistes ont théorisé la « propagande par le fait » dans le but d’accélérer la prise de conscience populaire grâce à une multitude d’actions illégales : sabotage, boycott, expéditions punitives, etc. On connaît les résultats peu probants de cette stratégie révolutionnaire. Nos sociétés idiocratiques ont inventé une autre facette de la propagande, beaucoup plus « cool » et non moins pernicieuse, celle de la bêtise braillée sur tous les tons par les « représentants » du système et montée en boucles sur toutes les chaînes de la bien-pensance. Il s’agit, ni plus ni moins, d’ébaudir le citoyen par la répétition sans fin de slogans vides, l’injonction à suivre des principes plus creux les uns que les autres et la volonté de niveler la moindre parcelle de pensée critique.

La semaine qui vient de s’écouler constitue un grand moment de propagande par la bêtise : dès lundi, tout le monde était sur le pont, prêt à revêtir son masque de douleur et à trembloter ses quelques mots de tristesse. Les officiels, bien sûr, qui ont commémoré le « premier anniversaire » des attentats de janvier dans des cérémonies d’une "rare dignité". Les médias appointés, naturellement, qui ont réussi à concilier l’émotion des victimes avec l’analyse des experts, le tout auréolé de mines déconfites et de propos pleurnichards. Les artistes, enfin, ces grandes consciences citoyennes qui n’ont pas hésité à prendre la parole au nom des opprimés et à mouiller la chemise pour leurs tournées promotionnelles. On aura presqu’une once de pitié pour ce malheureux Renaud qui, présent au rassemblement des « Charlies », a vu fondre sur lui une meute de journalistes pour l’interroger… sur son état de santé, sous-entendu son alcoolisme dépressif. Et notre chanteur populaire de balbutier que son check up était parfait, qu’il avait arrêté de boire et qu’il était fin prêt pour reprendre du service et assurer la promo de son dernier album. Ah ! l’on se sent tellement réconforté d’avoir entendu toute la semaine ce grand cri de résistance, ce feu jailli des entrailles d’un peuple en colère : « JE SUIS CHARLIE ! »

Bref, tout cela était réglé comme du papier à musique pour ritournelles désuètes. Seulement, il y a eu quelques couacs auxquels il faut bien ajouter une espèce de mauvaise humeur de la part de ce peuple veule qui rechigne à marcher au pas de l’émotion. Il était quand même difficile d’assister à cette grande parade commémorative à peine quelques semaines après les attentats du Bataclan. Une question brûlait toutes les lèvres (sauf celles des grandes voix du PAF) : quelle a été la réaction des autorités publiques après le 7 janvier 2015 ? Quels dispositifs ont-il été mis en place pour lutter contre le terrorisme ? Rien, aucune question de fond. Le temps des commémorations n’est pas celui de la réflexion critique, par respect pour les victimes, bien entendu. Pas de polémiques, mauvais coucheurs, passez votre chemin !

En revanche, et c’est là où la bêtise tourne à la gêne : que de promotions détournées, que d’appâts du gain à peine déguisés, que d’étalages de pathos sur commande, que d’anonymes en recherche de notoriété, que d’émissions racoleuses enregistrées, que de livres intéressés publiés, etc. Tout finit par respirer le fric dans ce carnaval des bons sentiments. Au passage, on s’interroge sur l’état d’esprit qui régnait à Charlie-Hebdo, ce bon journal d’anar de gauche que l’on n’a cessé de nous présenter comme une bande de potes qui se marraient bien tous les matins, avec l’œil torve des lendemains de cuite. Pourtant, dès les semaines qui ont suivi, n’a-t-on jamais vu un tel panier de crabes qui se disputaient la paternité du journal, qui s’écharpaient sur la gestion des dons, qui étalaient leurs états d’âme dans les médias, qui se pressaient à publier leurs témoignages ? Et ce grand humoriste, Philippe Val, qui a été invité partout en tant que directeur du journal alors même qu’il l’avait quitté en 2009, soit cinq ans avant les attentats ! Il faut croire que le filon est bon puisque notre cher auteur a remis le couvert au mois de novembre dernier avec un nouvel ouvrage : C’était Charlie – cette fois-ci, la ficelle était un peu grosse puisque plusieurs personnalités se sont élevées contre les « erreurs et les contrevérités » qui parsèment le livre.

En tout état de cause, cette belle semaine de commémoration tombait d’autant mieux qu’elle permettait de masquer d’autres faits bien embêtants pour nos élites cosmopolites : l’appétit sexuel des « migrants » pour la jeune européenne. Aussi, la caste journalistique appuyait-elle de tout son poids sur le couvercle de l’information pour que celui-ci ne déborde pas. Pensez-y, ces « gentils réfugiés » qui ont échappé cent fois à la mort pour rejoindre nos terres bénies du capitalisme ne trouveraient d’autres moyens pour remercier leurs hôtes que de saccager leurs rues, d’insulter leurs flics et d’agresser leurs femmes. L’information grouillait partout sur la toile, l’omerta a finalement été rompu par quelques téméraires et repris timidement par les autres, sans doute encore tout peinés de quitter les rives doucereuses de la commémoration profitable. 
 











samedi 2 janvier 2016

Plan Vigipicole


Les Français n'en peuvent plus, ils sont 97,8 % à ne pas souhaiter le retour de 2015 aux affaires, selon un récent sondage IPSOS. Prenant acte de ce rejet massif, le gouvernement a donc décidé de prendre des mesures d'urgence dont la première a été le passage à l'année 2016, acté le 31 décembre dernier à minuit. Si ceci répond au désir massif des Français de ne plus entendre parler de 2015, « année de merde », on restait néanmoins prudent sur les Champs-Elysées le 1er janvier au matin. « Moi je suis comme la fosse...je reste sceptique...ha ha ha ! », prévient Kevin, 32 ans, célibataire et fin bourré, avant de dégobiller un bon pichet de 50 de rosé-bière-vodka-orange dans le caniveau. « Ze voit pas trop la différence, ajoute-t-il en essuyant un filet de morve du revers de la manche, c'est toujours aussi merdique », ajoute-t-il avant de se remettre à l'ouvrage avec entrain.

La mobilisation est impressionnante afin de prévenir toute tentative de retour de 2015 après le 31 décembre. Au moins 400 000 personnes mobilisées rien que sur les Champs-Élysées et quatre autres millions de sacs à vin déambulant pathétiquement dans les rues en racontant n'importe quoi à n'importe qui, ce sont les effectifs du plan Vigipicole mis en place dans l'urgence pour neutraliser définitivement 2015. Une stratégie qui semble avoir porté ses fruits d'après les sources officielles : calendrier,s bracelets-montres, téléphones et ordinateurs portables, on ne trouve plus trace nulle part de 2015 et l'année nouvelle semble bien triompher partout. Pour autant la prudence est de mise chez les spécialistes du sujet. « M...Mais tu m'emmerdes avec tes questions à la con », balbutie Kevin au-dessus de son caniveau, visiblement encore sceptique. « Et de toute façon, je l'emmerde moi 2016...et je t'emmerde aussi. » Prudence donc. D'après le ministère de l'Intérieur, 804 voitures brûlées ont été déployées sur l'ensemble du territoire afin de garantir sa surveillance. Des effectifs en baisse de 14,5% par rapport à l'année précédente, regrette cependant Patrice, 14 ans, jerrican d'essence à la main. « Nik 2016 et nik la France ! », conclut-il avec gravité, avant de foutre le feu à une Kangoo. 
Il serait donc hâtif de crier victoire trop tôt. Les frappes massives de Jack Daniel's, de gros rouge et de rhum-coca de la fin de l'année auront peut-être contribué à éradiquer 2015 mais sa disparition créera une vacance qui ne nous met pas à l'abri du retour d'une année de merde en 2016. Cela, personne encore ne peut encore vraiment le prévoir. Surtout pas Kevin qui ronfle avec détermination dans son caniveau.


(Par mesure de sécurité, tous les prénoms cités dans l'article ont été changés)




Au Royaume-Uni aussi, des moyens impressionnants on été déployés pour en finir avec 2015, comme ici à Manchester.

vendredi 1 janvier 2016

Star Wars ou la guerre des boutons


Le plus grand danger auquel est confronté tout chroniqueur du dernier Star Wars est de basculer d'entrée du côté obscur de la farce en cédant à la tentation du clin d'oeil attendu pour débuter sa critique. Cet article ne débutera donc pas par « Il y a fort longtemps, dans une galaxie très très lointaine » et se satisfera modestement, en guise d'entame, d'un simple aveu d'impuissance : Star Wars, c'est plus fort que toi, on ne badine pas avec une saga dont la suite engrange un milliard de recettes au box-office après une semaine d'exploitation et trente ans d'attente. Les fans de La Guerre des Etoiles sont patients et ils ont entre-temps eu le loisir de faire des enfants, qui escaladent aujourd'hui les sièges des premiers rangs des cinémas pour manger du Dolby et de l'Imax et en très gros plan et connaître cette expérience initiatique : voir à dix ans ou douze ans un Star Wars sur grand écran. En termes de grandes gestes pré-adolescentes, il y avait dans les années 80 la rencontre avec Le Seigneur des Anneaux, avec Star Wars, ou l'odyssée de Michel Platini. Le cycle éternel recommence aujourd'hui, seul Zlatan a remplacé Platini, pour le reste, c'est toujours croiseurs impériaux contre oliphants. Camarade, choisis ton camp.


La Guerre des Etoiles est un monument qui doit inspirer respect et déférence, contrairement à ses concurrents dans la mémoire collective tels que Retour vers le futur ou Ghostbuster, qui assument parfaitement leur statut de comédies d'aventure, ou d'Indiana Jones, assumant simplement le sourire ironique et le chapeau emblématique d'Harrison Ford. Dans Star Wars, on ne rit jamais de Star Wars. L'humour, bien que présent est, comme tout élément de la geste, précisément circonscris et réservé à quelques personnages, ou catégories de personnages, ayant la fonction de faire rire, comme le bouffon des pièces de Shakespeare : C3PO, R2D2, Chewbacca, Harrison Ford, son sourire ironique et son pistolet laser emblématique et les gentils Ewoks (qui sont quand même aussi des anthropophages, il faut le rappeler !). Star Wars est une épopée et l'épopée point tu ne moqueras. Dark Vador n'est pas censé faire rire quand il apparaît à l'écran et si Luke Skywalker peut, à la rigueur, se permettre d'être touchant au début de son apprentissage, c'est à la manière d'un jeune poulain maladroit dont on sait qu'il deviendra par la suite un fier et bel alezan. Et bien sûr personne, j'ai bien dit PERSONNE, n'a le droit de se moquer de la coiffure en forme de pains aux raisins de la princesse Leia. Sauf Mel Brooks, évidemment, qui bénéficie d'une dérogation : quand on a réussi à produire un film drôle prenant pour sujet un projet de comédie musicale sur le Troisième Reich montée par deux imposteurs1, on peut tout se permettre, même de faire reprendre le rôle de Dark Vador par Rick Moranis dans La Folle Histoire de l'Espace.


Les réalisateurs et producteurs du nouvel épisode de la saga (tome VII) étaient donc confrontés à un problème aussi simple qu'insoluble : produire de l'épopée et encore de l'épopée, mais une épopée à la hauteur des aventures originales de Luke, Leia, Han Solo et R2D2. Pari presque impossible à tenir : Georges Lucas s'en est douloureusement rendu compte en 1999 en produisant les tant annoncés épisodes I, II et III de la saga. Boursouflés, infatués, assommants de sérieux mais dénués du moindre souffle épique, plus ennuyeux que mille ans de digestion dans le ventre d'un Sarlaac, La Menace Fantôme (1999), L'Attaque des clones (2002) et La Revanche des Sith (2005), condamnaient le spectateur à être lentement rongé par l'ennui face à un défilé de mode galactique, empêtré dans un déluge d'effets spéciaux numériques (et dieu que le numérique vieillit mal, Avatar est là pour en témoigner...), ponctués par les interventions horripilantes du jeune et insupportable Anakin Skywalker ou de l'horripilant Jar-Jar Binks. Perdu dans cette galère, Ewan Mc Gregor jouait un Obiwan Kenobi dont la principale fonction se limitait à garder le vaisseau et à vérifier la pression des pneus, sans oublier de passer un coup de chiffon sur le pare-brise, tandis que son maître allait jouer du sabre laser à droite et à gauche, avant de se faire trucider au cours d'une scène poignante, comme tout bon maître Jedi qui se respecte.
Georges Lucas remercié, J.J. Abrams mandaté par les studios Disney aura donc eu la lourde tâche de rajeunir La Guerre des Etoiles sans porter atteinte au mythe, sous la surveillance pointilleuse des fans de la saga (et dieu sait que les fans ne s'arrangent pas en vieillissant...) et le résultat est plutôt réussi. Comme Lucas avait tenté de le faire avec les épisodes I, II et III, le nouvel opus de Star Wars raconte à peu près la même histoire que la trilogie « historique » : l'Empire (cette fois remplacé par le « Premier Ordre », tout aussi déplaisant et totalitaire) menace la liberté de la galaxie et le seul rempart opposé à son pouvoir est la résistance, réfugiée dans un coin de galaxie, toujours vaillante et généreuse. A la tête des forces du mal, un sombre et puissant personnage, vendu au côté obscur de la force, fait tout pour écraser la résistance : ce n'est plus cette fois Dark Maul, et son maquillage digne de Kiss, qui a la charge de succéder à Darth Vader, mais Kylo Ren, coiffé d'un casque en forme d'abat-jour dépressif et vêtu d'un joli costume japonisant. Et il y a, évidemment, un – ou plutôt Une – jeune Jedi, un sombre mentor, et le combat éternel de la Lumière contre le côté obscur. Quant à la République corrompue qui était au centre des épisodes I, II et III, elle est expédiée en un coup de super-laser. Une manière un peu cruelle de renvoyer définitivement G. Lucas au placard ?


Quitte à reprendre à peu près les mêmes codes et la même trame scénaristique, J.J. Abrams a eu l'idée plutôt heureuse de s'en amuser, avec suffisamment d'habileté cependant pour ne jamais tomber dans le crime de lèse-majesté. L'action du Réveil de la force débute sur une planète désertique très similaire à la planète Tatooine, sur laquelle nous rencontrions le jeune Luke Skywalker dans l'opus de 1977, à cette différence près que les vastes étendues sableuses de Jakku sont constellées des innombrables carcasses de croiseurs impériaux, vestiges des guerres passées entre l'Empire et la République, une manière peut-être pour J.J. Abrams de rendre un ironique hommage aux défuntes créations de Georges Lucas, dont la maison de production, LucasFilms LTD, est passée désormais dans le giron de Disney. Tandis que Luke Skywalker menait sur Tatooine une paisible existence de fermier avant de répondre à l'appel de la Force, c'est une jeune pilleuse d'épave, Rey, qui vivote de petites combines sur Jakku, avant de voir le destin frapper à sa porte sous la forme du petit droïde BB-8, sorte de croisement entre R2-D2 et Wall-E. Le duo est bientôt rejoint par un certain Finn, ex-matricule FN-2187, ancien Stormtrooper ayant déserté les troupes du Premier Ordre après une crise de conscience et un massacre de trop. Finn ressemble lui à un parfait compromis entre le jeune Han Solo et Lando Calrissian. Il paraît d'ailleurs que des fans suprématistes de Star Wars se sont déchaînés aux Etats-Unis parce que Finn est joué par un acteur noir, John Boyega. Il leur avait peut-être échappé, durant plus de trente ans, que Lando Calrissian, le copain pilote de Han Solo, était aussi joué par un acteur noir, Billy Dee Williams. Et puis après tout, il n'y a pas de quoi se formaliser, tant qu'ils n'enlèvent pas leur casque, tous les Stormtrooper sont blancs, comme la nuit tous les chats sont gris.


Plus qu'un récit vraiment original ou une vraie réinvention de la saga, la véritable qualité du film de J.J. Abrams réside dans ce mélange assez réussi entre récit épique et plaisamment naïf et une manière assez subtile de moquer gentiment les codes de l'épopée galactique et du film d'aventures en général. Il est assez amusant de voir ainsi la jeune Jedi Rey sauver son ami Finn des griffes d'une version lovecraftienne du diable de Tasmanie de Tex Avery en actionnant au bon moment le sas d'un vaisseau grâce aux écrans vidéos des caméras du vaisseau, un peu comme si le réalisateur permettait un bref instant aux spectateurs de passer dans les coulisses de l'exploit. A un Finn éberlué qui n'en revient pas que la porte ait pu sectionner le tentacule au moment fatidique, la jeune Rey répond, comme dans tout bon film d'aventures qui se respecte, qu'il s'agit juste d'un fabuleux coup de chance. Et quand Han Solo, de trente ans plus vieux, même sourire ironique et même pistolet laser, découvre, sur la classique projection holographique du QG de la résistance, une nouvelle Etoile Noire qui fait bien dix fois la taille de celle du Retour du Jedi, il n'a qu'une réplique : « elle est plus grosse, mais en quoi ça empêche de la détruire ? » La réplique résume à elle seule la formule épique de J.J. Abrams : on prend les mêmes et on recommence, avec un soupçon de dérision qui ne nuit en rien.
Il n'y a que le personnage de Kylo Ren qui pousse un peu loin le bouchon en termes de caricature amusante, mais dans ce cas précis elle n'est peut-être pas tout à fait assumée. Les spectateurs du Réveil de la force se sont amplement gaussés de cet avatar loupé de Dark Vador qui, dès qu'il a retiré son casque de samouraï interstellaire découvre le visage ingrat d'un adolescent à problème qui nous gratifie dans le film de jolies crises de nerfs. Sitôt à visage découvert, il ne nous donne qu'une envie : lui tirer l'oreille et l'amener chez le coiffeur. Mon petit Kylo, on reparlera de la conquête de la galaxie quand tu auras soigné cette mauvaise peau, en attendant tu vas te coller un peu d'eau précieuse sur la tronche, remettre ton lampadaire art-déco sur la tête et ranger ta chambre. Et tu m'écoutes s'il-te-plaît, je suis ton père. Allez file et que la force de Biactol soit avec toi.



Publié sur Causeur

1The Producers. 1969