« On dirait que dans les portraits qu’ils tracent de leur contemporains il s’attachent à nous montrer la manière dont s’incarne, se prolonge et s’individualise le péché d’origine. »
Emil Cioran
Ainsi débute une série de portraits imaginaires dans lesquels on reconnaîtra selon l'humeur un vice, une personne, ou les deux à la fois. Pour commencer: le maire de province.
Ce
n’est même pas une baronnie, et il n’est pas certain que les
prochaines élections le confortent sur ce trône minuscule où il
règne comme Ubu roi. Vulgaire sans être néanmoins proche du peuple
ce petit homme rappelle dans sa fatuité ces nobles arrivistes, et
misérables, cherchant à briller aux yeux des grands seigneurs quand
la Révolution remuait déjà de ses premiers soubresauts et qu’elle
s’apprêtait à les renverser tous, grands et petits. La province
est son domaine et s’il rêve de Versailles, Versailles, elle, ne
songe pas à lui. Ce qui ne l’empêche pas de caresser d’immenses
projets risibles et de vouloir pour sa ville de beaux palais, selon
son mauvais goût, où il pourra admirer son ego et se convaincre
qu’il compte parmi ceux dont l’histoire se souviendra.
Mégalomane, il subit la malédiction de ce penchant en échouant
dans tout ce qu’il entreprend sur son domaine, y compris lorsqu’il
parvient à ses buts pathétiques. Il est des réussites pires que
des défaites. Aussi, les châteaux qu’il édifie sont laids et la
gloire qu’il recueille parfois n’est jamais que la flatterie
dégoûtante de ses séides, plus médiocres encore que lui, et qu’il
fait vivre dans la crainte et l’envie de leur retirer un poste ou
de leur promettre quelques avantages en nature.
Car
comme tous les petits assoiffés d’immensité, il est méchant et
son apparence bonhomme tient bon le contre-pôle de sa nature réelle,
ambitieuse et pusillanime. Quiconque l’a côtoyé, sans appartenir
à son cénacle, n’a pu manquer d’observer son profond sadisme
envers les humbles, plus violent encore chez les hommes de gauche,
dont il est, que chez les hommes de droite qui eux, ayant la décence
de se vautrer dans le populisme sans camouflage aucun, ne trompent
personne. S’adressant aux vieillards et aux fous, aux miséreux
qu’il visite avec ce paternalisme méprisant, et méprisable, qui
révulse les seuls qui pensent encore qu’en chacun demeure une
étincelle de l’humanité entière, il persuade certains sots
appartenant à son espèce de sa profonde charité. C’est suffisant
pour ce faire réélire ; il n’en réclame pas plus, et puis
ses électeurs ne lui en demandent pas tant…
On
imagine qu’il espérait jadis un meilleur destin, et que devant sa
glace, encore maintenant, il se croit appelé à de plus hautes
fonctions. Ainsi viendra un jour, pense-t-il, où il revêtira un
manteau plus beau et portera une couronne plus clinquante que celle
qu’il arbore déjà. D’ailleurs, il suffit de regarder les
costards qu’il porte, mal coupés et chers, ces frusques
inélégantes qui signent la marque de fabrique des politiciens
français, pour comprendre qu’au fond, la province ne lui sied
guère et qu’il souhaite une dimension nationale dans laquelle il
se dit qu’il pourra enfin donner sa pleine mesure !
Cependant, mutatis mutandis, Paris reste lointain, et ce n’est
pas parce qu’il partage avec ses maîtres de la capitale une
substance identique que ces géants de carnaval se reconnaîtront
jamais dans ce nain de province…
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