Avec
David Bowie et Lemmy Kilmister le rock vient de perdre les derniers
témoins de son âge classique. Certes, il reste encore Paul
McCartney, Bob Dylan et les Stones, mais, eux, à l’inverse de nos
chers disparus ne suscitent guère plus qu’un enthousiasme
nostalgique, leur période faste s’étant achevée au mitan des
années 70, tandis que Bowie et Motörhead continuaient malgré tout
à se réinventer pour le premier, et à persévérer dans leur être
pour les seconds. Après eux ne demeurent plus que les sous-genres
d’un style qu’ils auront inspirés et qui par définition
empêchent l’unanimité. Les derniers grands créateurs de clichés,
ceux qui inventèrent un genre dont ils restent les maîtres
incontestés s’appellent Iron Maiden, Metallica, Slayer, Morbid
Angel, Sisters of Mercy, New order/Joy Division, Darkthrone, Laibach,
Bauhaus, Depeche Mode, et quelques autres, dont la radicalité et la
tonalité crépusculaire fondèrent l’Underground, sans qu’ils y
participassent forcément, faisant définitivement basculer la
création de qualité dans les marges.
Bowie
et Lemmy figuraient donc les dernières icones à venir directement
du monde d’Elvis Presley, les dernières références du rock qui
ne furent pas contraintes de choisir entre la standardisation et les
ténèbres, l’ultime soubresaut de la pop dans sa période colorée,
écho musical des trente glorieuses, quand les excès, l’engagement
politique, la remise en cause artistique non seulement valaient pour
norme, mais semblaient ne pas devoir se payer autrement qu’en
positif. On a beaucoup glosé sur la musique pop que l’on a
survalorisée ou dévalorisée de trop. Les demi habiles y ont vu la
distraction spectaculaire nécessaire à l’achèvement de la
domination du système ultra-libéral, les naïfs ont crû à sa
réelle portée subversive oubliant qu’il n’est d’art
qu’officiel, que la subversion elle-même est un moment de l’époque
qu’elle représente, et qu’on n’a jamais crée que pour plaire.
Pour autant, la période des sixties fut d’une créativité et
d’une exigence artistique éblouissante, les albums des Beatles, de
Dylan, de Bowie en témoignent et alors que la Grande Musique
marchait en direction de l’aphone, tentant aujourd’hui de
retrouver figure et forme chez Glass ou Pärt notamment via
l’influence de la pop, la musique « récréative » de
cette époque fut sans conteste, en même temps que la bande
originale des lendemains enchantés, la dernière rencontre entre
l’Art et la masse ; l’illustration d’une utopie
démocratique et aristocratique dont on croyait qu’elle incarnerait
la fin de l’histoire
L’émotion
qui nous saisit alors à l’annonce de la mort de Bowie et de Lemmy,
un brin disproportionnée en regard de nos playlists qui ne font pas
tourner Ashes to Ashes
et Overkill
tous les dix morceaux, provient plus sûrement de la prise de
conscience d’un monde avec eux désormais révolu, qui plus encore
qu’une parenthèse enchantée s’avéra une illusion historique,
un idéal dont nous faisons avec leurs héritiers torturés le deuil
: celui de la politique solaire et naïve, de la musique exigeante à
destination des foules, l’idéal de l’art de vivre selon son
désir, bref, la fin de l’Occident pacifique et lumineux de
l’après-guerre. En 1969 Space
Oddity sonorisait pour la BBC
l’alunissage d’Apollo 11, matérialisation technique d’une
humanité appelée à rejoindre les étoiles, David Bowie meurt en
nous léguant Blackstar,
allusion directe à DAESH, comprenne qui pourra…
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