Il y a bien quelque chose
de pourri au royaume de France. La République et ses élus reconnaissants ont
finalement décidé d’épargner aux morts de Verdun l’ultime insulte de voir une
caricature de gangsta américain à la sauce Skyrock venir symboliquement
piétiner leurs tombes, mais le mal est déjà fait. Puisqu’on nous rappelle à
longueur de temps l’importance du devoir de mémoire, remarquons que la mémoire
de Verdun s’est définitivement effacée dans le crâne des élus de la République.
« Après trois jours d’intense polémique venue notamment des rangs de
l’extrême-droite, la mairie de Verdun (Meuse) annonce, ce vendredi matin,
l’annulation du concert de Black M programmé pour commémorer le centenaire de la
terrible bataille. »[1]
Il est entendu qu’il faut nécessairement être d’extrême-droite pour trouver
choquant qu’une sorte de pantin bling-bling soit choisi comme tête d’affiche
d’une soirée destinée à rendre hommage aux 300 000 morts et au 400 000 blessés de
la bataille de Verdun. En choisissant Verdun comme point de fixation pour
tenter de saigner à blanc l’armée française lors de l’opération Gericht (« Jugement »), le
général allemand Erich Von Falkenhayn pensait entraîner la France dans le piège
du patriotisme et faire en sorte que des sacrifices insurmontables soient
consentis pour tenir cette place-forte et ce lieu symbolique où fut signé en
843 le traité de Verdun qui donna naissance aux royaumes de Charles le Chauve,
Lothaire et Louis le Germanique et détermina tout le destin de l’Europe. Mais
le plan de Falkenhayn réussit trop bien : il réussit à galvaniser la
résistance des troupes et l’adhésion de la population à l’effort de guerre.
Après avoir engagé 1 million 200 000 hommes contre un nombre légèrement
inférieur de Français, l’armée allemande devra s’avouer vaincue à Verdun, après
avoir laissé dans l’aventure 150 000 morts et 200 000 blessés, un sacrifice
tout aussi effroyable que celui consenti par l’armée française pour tenir
Verdun.
Pour évoquer cette
épreuve et rendre justice aux centaines de milliers de spectres dont les ombres
flottent encore sur les champs de bataille suppliciés de Verdun, il était
logique de faire appel à Black M, parfaite synthèse entre variété débilitante
et racaillitude grand-guignolesque, membre du groupe Sexion d’Assaut, dont le
nom évoque avec délicatesse les Sturm
Abteilung du parti nazi. Il aura fallu la plainte déposée par un petit-fils
de poilu pour que Samuel Hazard, maire PS de Verdun, décide finalement de
revenir sur la décision initiale et de déprogrammer Black M.
On peut se demander
naïvement ce qui peut se passer exactement dans la tête d’un élu quand on lui
propose une idée pareille. « Monsieur le maire, ne serait-ce pas un projet
innovant que de solliciter l’excellent chanteur de rap Black M pour animer les
cérémonies de commémoration du centenaire de la bataille de
Verdun ? » Il faut même produire un douloureux effort pour parvenir à
lier en une seule ces deux réalités que la raison devrait pourtant s’obstiner à
dissocier : le quotidien infernal des milliers de soldats hachés menu par la
mitraille et l’univers de Black M, membre de Sexion d’Assaut, yéyé du rap
américain, amuseur de galerie section « jeunisme aggravé ».
Le cerveau de Samuel
Hazard semble pourtant avoir très bien fonctionné au moment de prendre cette
décision. Il continue d’ailleurs à la défendre puisque, dit-il, Black M est
actuellement « plébiscité par les jeunes comme aucun autre artiste
français. » Argument imparable que celui-là. On se demande pourquoi
Dieudonné n’a pas été invité lors de la commémoration du soixante-dixième
anniversaire du débarquement ou à l’ouverture des commémorations du centenaire
de 1914-1918 en 2014. Après tout l’humoriste était aussi un artiste français
plébiscité par les jeunes à ces moments, il aurait donc fallu l’inviter. On
imagine que Maître Gims est déjà pressenti pour rendre hommage en 2017 aux
quelques 30 000 soldats tués en une semaine au cours de la bataille du Chemin
des Dames, avec un son et lumière de folie juste à l’emplacement de la funeste
tranchée des baïonnettes. « Ne pas se prendre la tête » est devenu
l’idéologie reine de toute une époque et notre société enrage de devoir prendre
encore au sérieux quelques vagues tragédies de notre histoire. Qu’on se rassure
en tout cas : l’annulation du concert de Black M n’est presque due après
tout qu’à des questions de sécurité. Dans sa chanson « Désolé », en
2010, Black M traitait la France de sale pays de « koufars », de
mécréants quoi. Un terme, a-t-on glissé à Samuel Hazard, qui fait désormais
partie de la rhétorique de l’Etat Islamique et qu’il serait de mauvais aloi de
voir associé aux commémorations de Verdun en raison d’une polémique malheureuse
et en ces temps d’état d’urgence et d’attentats à répétition.
Les poilus doivent donc à
une tragédie plus récente que la leur le fait que leur sacrifice ne soit pas
complètement déshonoré par un affreux bouffon de la société du spectacle venu
danser et éructer sur leurs tombes. En tout cas ce n’est pas sur le respect de
la mémoire ou le sens historique des élus qu’il leur fallait compter pour
éviter l’affront. Après s’être pris les pieds dans cette nouvelle et pathétique
polémique, l’Elysée, la mairie de Verdun et le Secrétaire d’Etat aux Anciens
Combattants se renvoient tous la balle avec un courage dont on est heureux
qu’il soit sans rapport avec celui dont firent preuve les soldats de Verdun.
Sans quoi aujourd’hui on célébrerait peut-être une victoire allemande à Verdun
en invitant le célèbre rappeur « Schwartz M »…
Alors que la ministre de l’Education Nationale a lancé à la rentrée dernière le dernier dispositif pédagogique en vogue – l’Enseignement Moral et Civique – destiné à réveiller l’esprit civique des centaines de milliers d’élèves français, il est ahurissant de constater de quelle manière peut être traitée la mémoire des centaines de milliers de combattants qui moururent dans les tranchées boueuses pour permettre à leurs descendants de se comporter comme de parfaits imbéciles dans ce qui, grâce à tous ces morts, s’appelle toujours une république aujourd’hui. Les professeurs des collèges et lycées à qui l’on a demandé, après les attentats de janvier et de novembre 2015, de maintenir, voire de ressusciter, la conscience citoyenne de leurs élèves vont avoir fort à faire tant elle semble bel et bien morte et enterrée chez nombre d’élus qui l’ont troquée depuis longtemps contre la démagogie et le jeunisme. Black M ne viendra peut-être pas à Verdun mais la République vient quant à elle d’y tomber au champ du déshonneur. Mais il semble admis aujourd’hui que celui qui rappelle l’importance de l’histoire dans la composition de la psyché nationale doit être immédiatement soupçonné d’accointances et de passions douteuses. Alors on oubliera Verdun, comme on oubliera Black M…De toute façon, c’est le départ imminent de Zlatan Ibrahimovic du PSG qui fait à présent à la une des médias. Les poilus, eux, reposent en paix.
Céline n'a pas été marabouté :
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