Par Kostov
David
Hasselhoff a fait l’histoire du XXe. Toutefois, si son rôle décisif dans la
chute du Mur de Berlin est aujourd’hui incontesté, il est envisageable de dire
que sa parole prophétique n’a pas été suffisamment comprise à ce moment. Nous
avons raté-là le sens déterminant de sa mission qui restait encore sibylline.
Ses mots prononcés devant ce parterre d’yeux télescopiques du monde entier
n’ont pas été saisis en lien avec son cheminement philosophique. La chute du
Mur représente pour beaucoup la fin d’un système, supplée par un autre. A
proprement parler, si nous avions saisi l’essence de son Message, nous aurions
dû comprendre qu’il s’agit bien plutôt du passage de l’âge technicien à un
naturalisme du dépouillement artificiel et anti-sexy.
« Les
exploits d'un chevalier solitaire dans un monde dangereux. Le chevalier et sa
monture ! Un héros des temps modernes, dernier recours des innocents, des
sans-espoir, victimes d'un monde cruel et impitoyable ». Par cet épitomé, la
carrière missionnaire d’Hassel refuse
d’emblée la condamnation de la Prométhée technicienne et le refuge dans la
Forêt noire. « Noire » comme les temps sombres qu’il affronte dans sa
monture noire, avec laquelle il se confond devant l’Apocalypse annoncée. La
machine, obscure comme des cendres, ne représente plus l’arraisonnement
heideggerien, mais bien plutôt l’allié salutaire de tous les
« Sans- » prêts à verser dans le désespoir dans un environnement de
pogroms général.
Durant
quatre saisons, il refuse la justice commutative et arithmétique de l’ordre
inébranlable. Il poursuit le but de la dépasser en faisant corps avec ce Deus ex machina. Celle-ci, seul et
unique modèle, pour un être unique et intercesseur du sens ultime, est à son
image issue d’une génération spontanée. Elle n’est pas une
« invention », ne pouvant être réclamée de la création d’aucun homme.
Elle n’a pas d’ascendance, et pourtant un dessein politique précis. La figure
du « chevalier solitaire » montre nettement la filiation millénaire,
plutôt que la rupture tabula rasa
affublée usuellement à la technique. Désormais la vocation de l’avant-garde
technologique et de l’avant-garde humaine sera d’accomplir la geste prophétique
de retournement de l’ordre ancien, en s’appuyant, comme tous les envoyés qui
l’ont précédé, sur les laissés-pour-compte.
Une
grande différence avec tous les autres messagers dont on pourrait croire qu’il
procède, est l’évolution radicale de sa mission. Ainsi, Muhammad (PBUH)
n’a-t-il pas « transformé » le sens coranique, de la période
mecquoise (610-622) à la période médinoise (622-632) comme pourraient
l’indiquer la teneur des versets. Il a simplement « appliqué » les
enseignements à une société concrète, afin que ceux-ci quittent le sort du
quiétisme personnel.
Sans
considérer l’aliénation pour ce « solitaire » de parler à un système
de navigation, sa mission prend soudainement un tournant inédit. Il entend
ouvrir une nouvelle voie à l’humanité. Après avoir fusionné avec les éléments
technologiques les plus avancés, il ne veut faire plus qu’un avec l’élément de
la Nature. Le slip de bains devient sa seule monture. Le dénuement contre les
artifices devient l’avenir de l’humanité.
Mais
sa critique ne s’adresse pas aux abus de la technologie, en cela restant en
parfaite harmonie avec ses convictions. Bien plutôt, il veut encore épouser
pleinement son temps -ou plutôt l’anticiper- et montrer aux hommes que l’on
peut surmonter l’hyper-sexuation du capitalisme néo-libéral. Il veut sonner
« l’alerte » -la traduction française est d’ailleurs plus fidèle à la
conception hasselhoffienne. Son nouvel environnement festif, qui est aussi le
contexte naissant des autres hommes à qu’il s’adresse, avait tout lieu de le
pervertir. Or, cet Homère se jette dans l’abîme, pointant un esprit authentique
de sacrifice.
Il
devient pour nous une bouée de sauvetage. Il développe une insensibilité
mondaine, tout en étant au cœur de tous les conflits de l’âme. En effet, il ne
se laisse pas déstabiliser par les déesses dionysiaques à la symétrie parfaite.
Il montre que l’on peut être parfaitement jouissif et hermétique aux chants des
muses. L’Eros et civilisation de
Marcuse entrevoyait déjà les limites de la « tolérance répressive »
de la « libération », à travers des tentations pulsionnelles constamment
sollicitées par le tout-sexualisé des canaux médiatiques. Mais aucun être
humain n’avait su vaincre jusque-là cette contradiction. Le maître David lui,
est au-dessus. Et il veut l’apprendre aux hommes. Eux aussi, peuvent être
radicalement contre les forces du thanatos
répressif promues par le « sexy » du néo-libéralisme.
Bien
qu’officiellement produit du système, il est l’organe nu de la subversion.
Quittant sa grosse machine pour exhiber son machin, il partage toujours le
profond désir de sauver les homm.e.s de la noyade. Il oppose désormais les
outrages d’une finance libéralisée, à la libération opérée à Malibu. Ne faire
qu’un avec la nature, mais tout en apprivoisant sa propre nature. Il présage en
cela la Décroissance écologique, courant qui occulte d’ailleurs rapidement
l’origine réelle de son inspiration. Le véritable dévoilement de sa pensée
intervient toutefois à la face du monde entier le 9 novembre 1989.
De
cette date, il n’est généralement retenu que l’épiphénomène de l’effondrement
du communisme. Pourtant, le messie nous avertissait au même moment des impasses
du capitalisme triomphant. David Hasselhoff ne pouvait pourtant être plus clair
dans la délivrance de son message à l’humanité égarée : « I have been looking for a freedom »
chante-t-il dans un regard rétrospectif sur son parcours, semblant oublier là
le million de disciples qui l’entoure. Au péril de sa vie, évitant bouteilles
et pétard mortier, sur la nacelle le transportant, il nous parle. « J’ai passé ma vie à
chercher » une vérité, celle de
la liberté. Or comment se
présente-t-il à nous ? En arborant une veste futuriste
dont la lumière, désormais muette et manifestant son dernier souffle, nous
invite à penser que cette ancienne vérité qu’il expose à nos mirettes,
symbolise désormais le passé. Il ne portera plus jamais un tel atour -sauf dans
le rappel de la prophétie des 25 ans- dans la nouvelle ère qu’il a bien voulu
nous ouvrir du dépouillement anti-capitaliste et de la lubricité inatteignable.
L’avenir est dans l’anticipation de son époque, et dans la maîtrise de celle-ci
avant qu’elle ne nous submerge dans une nouvelle forme transcendante.
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