L’association Au-delà du silence a été créée en 2006. Depuis cette date, elle est l’une des rares en
France à promouvoir la musique industrielle à travers l’organisation de
nombreux concerts, dont le fameux cycle Kosmo Kino Plazza qui accueillera les
mythiques Sutcliffe Jügend pour sa treizième édition (23 novembre 2018). Il faut le dévouement
d’un passionné comme Vincent, fondateur de l'association, pour que ces musiques exigeantes trouvent leur
public, et participent ainsi au foisonnement d’une culture de la marge, là où
s’étirent les « sons paranormaux » et se déplacent les blocs de
bruit, au plus près des oreilles délicates.
Quel
a été ton parcours musical et depuis combien de temps organises-tu des
concerts ?
J’ai
un parcours que je qualifierais de classique pour les gens de ma génération qui
s’intéressent aux musiques qui nous occupent aujourd’hui : au début des
années 90, j’ai commencé à écouter du hard rock et du heavy metal, en évoluant
assez naturellement et rapidement des grands standards vers le thrash, puis le
death metal et le black metal, scènes alors extrêmement fécondes et
intéressantes. Vers la fin des années 90, j’ai emprunté la passerelle Cold MeatIndustry qui m’a amené vers des musiques éloignées de ce que je pouvais écouter
jusqu’alors, même si on retrouvait chez ce label des esthétiques et des
thématiques proches du metal. Rien de surprenant cependant, puisque nombre de
musiciens officiant sur CMI y avaient leurs racines. D’ailleurs un moyen très
intéressant de découvrir de nouveaux horizons consistait tout simplement à
s’intéresser aux divers projets parallèles de musiciens de groupes de metal, de
black metal le plus souvent. Mon intérêt pour les musiques post-industrielles
a notamment été éveillé par l’écoute de projets comme Arcana, Wongraven,
Mortiis, Puissance, Die Verbannten Kinder Eva’s, communément qualifiés
d’atmosphériques dans la sphère metal des années 90. Plus tard ce sont Laibach,
der Blutharsch, et les labels Loki Foundation, HauRuck!, Tesco, Galakthorroe ou
encore Cyclic Law qui m’ont complètement fasciné et absorbé.
Bien
sûr, les concerts ont joué un rôle important dans le développement de mon
attrait pour les musiques post-industrielles, essentiellement le dark ambient
ou les variantes du noise et du power electronics : les prestations des
Grey Wolves, d’Inade ou de Bad Sector par exemple sont démentes pour quelqu’un
qui est habitué aux formations guitares/basse/batterie/chant !
Malheureusement, l’occasion de voir ce genre de concerts à Paris était, et est
toujours, beaucoup plus rare que celle d’assister aux tournées européennes de
groupes de metal, par exemple. C’est une échelle radicalement différente. Dans
la première moitié des années 2000, il y a notamment eu les 3 festivals
Thérapie Auditive, et les premiers concerts des Sons Paranormaux, mais je peux
difficilement citer d’autres événements vraiment marquants s’inscrivant
précisément dans cette scène. Même si les Instants Chavirés par exemple étaient
déjà une référence à cette époque, et depuis quelques années, il s’agissait de
quelque chose de différent. Pour assouvir cette soif, je me suis donc mis à
voyager pour voir les projets qui m’intéressaient. Au cours des festivals
auxquels j’ai pu assister en 2005, j’ai eu deux coups de cœur : Sanctum et
Job Karma. C’est ce qui m’a décidé à franchir le pas, d’autant plus sereinement
que j’avais eu l’occasion de voir une partie de l’envers du décor avec Thérapie
Auditive ou Les Sons Paranormaux, et que la tâche ne me semblait pas
insurmontable ! C’est ainsi que l’association est née aux premiers jours
de 2006, avec une date programmée le 1er juillet : Mago,Kom-Intern et Sanctum.
Quand
est né « Au-delà du silence » et quelle est la raison d'être de l'association ?
Quel éventail de musique est aujourd'hui concerné par les activités de
l'asso ?
La
création de l’association a été motivée par quelques raisons bien définies,
liées à la rareté des concerts de musiques post-industrielles au sens large, et
ce sont les groupes cités ci-dessus qui ont été le réel déclencheur
transformant le projet en réalité. La première motivation, et qui reste
l’essence d’Au-delà du Silence, c’est de permettre à des groupes ou artistes
que j’affectionne et qui n’ont jamais eu l’occasion de jouer à Paris, ou trop
rarement, de se produire ici. Vient ensuite l’idée de partager des coups de
cœur musicaux ou de faire découvrir sur scène des projets intéressants, de mon
point de vue, aux amateurs de ces musiques. Enfin, c’est tout simplement, et
très égoïstement, le moyen pour moi de voir ces performances, de voir ces
projets sur scène, parfois de les découvrir en live pour la première
fois : un moyen de me faire plaisir ! Le panel de styles programmés
s’est légèrement élargi dernièrement, mais globalement, il s’agit de musiques
assimilables aux scènes industrielles et post-industrielles au sens
large : ambient, dark ambient, noise, power electronics, neofolk, dark
folk…
Les premières années de l’association étaient clairement orientées sur
des musiques post-industrielles avec une prédominance du dark ambient d’une
part, avec les labels Loki Foundation ou
Cyclic Law notamment, et sur des projets représentant plus la branche
neofolk ou dark folk d’autre part. En 2013 s’est tenue la première date avec
des projets plus noise ou power electronics (La NomenKlaTur, Thorofon et
Control), qui a marqué une ouverture vers ces styles, et il y a deux raisons à
cela : d’abord l’opportunité de faire jouer Control, projet américain qui
m’avait fortement marqué quelques années plus tôt lors d’un festival allemand,
et ensuite le fait que Les Sons Paranormaux aient diminué leur activité. En
effet, autour de 2010, cette association a programmé quelques dates mémorables
dans le genre, tandis qu’Au-delà du Silence s’intéressait plus au dark ambient.
Il y avait un manque à combler, peut-être. 2018 est indiscutablement l’année où
la diversité est la plus marquée, avec le post punk de Crisis et Frustration ou
le metal de Throane : tout cela reste dans des sphères musicales et
esthétiques étroitement liées à ce qui a motivé la création d’Au-delà du
Silence, mais surtout, ce sont des groupes qui comptent énormément pour
moi ! Aujourd’hui, je dirais qu’on retrouve principalement l’essence des
origines de l’association dans les concerts Kosmo Kino Plaza, soirées
thématiques où tous les projets sont unis autour d’un point commun de nature
variable (label, origine, sujets abordés…). Les groupes programmés dans les
concerts KKP sont clairement assimilés aux scènes industrielles actuelles, du
dark ambient au power electronics en passant par le neofolk.
Comment
décrirais-tu aujourd'hui la scène musicale européenne, française et parisienne,
en particulier en ce qui concerne les « musiques extrêmes » (si le
terme te semble bien choisi) ? Un
groupe (ou plusieurs) a-t-il retenu récemment ton attention dans la scène rock,
électronique, industrielle ou dark folk ?
Le
terme de « musiques extrêmes » renvoie plus pour moi à des
sous-genres du metal, du moins c’est le sens que j’ai tendance à lui donner
spontanément, mais je ne pense pas que ce soit le sujet ici, même s’il est
riche et diablement intéressant ! Pour les musiques post-industrielles
autour desquelles gravite Au-delà du Silence, je pense que la scène, ou les
scènes, suit des tendances similaires de l’échelle parisienne à l’échelle
européenne. Ces musiques ont un public passionné et fidèle, prêt à se déplacer
pour assister aux trop rares événements du genre. Mais c’est un public
vieillissant et qui peine à se renouveler, du moins avec la même dévotion. Ce
qui est intéressant cependant, c’est l’impression que les frontières entre les
chapelles des musiques expérimentales ou industrielles semblent s’amenuiser
chez les plus jeunes, alors qu’elles sont toujours aussi fortes chez, disons,
les plus de 30 ans : amateurs de power electronics et de musiques
expérimentales ou bruitistes plus académiques se mélangent peu passé cet
âge ! De même, il me semble que les codes évoluent, et si aujourd’hui on
assiste à un concert d’artistes du label Posh Isolation par exemple, on y verra
un public très jeune, très looké, très « fashion ». Cependant, sur
scène, les performances de projets comme Damien Dubrovnik sont une évolution
modernisée du power electronics classique, l’esthétique diffère radicalement
mais la musique très peu. Cela montre que ces musiques soi-disant extrêmes
peuvent finalement toucher un public très large, avec le bon conditionnement.
Concernant
les festivals et concerts, malgré l’arrêt, temporaire ou non, de quelques
rendez-vous marquants, les agendas peuvent se noircir rapidement, surtout pour
qui aime voyager : le Wroclaw Industrial Festival en Pologne, TowerTransmissions à Dresde, Der Tag der Befreiung ist nah ! et EpicureanEscapism à Berlin, le festival Runes & Men à Dresde puis Leipzig, les
concerts de l’Affaire Fatale et Tesco à Mannheim, Phobos à Wuppertal, Zug Zwang
à Darmstadt, United Forces of Industrial à Londres, les concerts Sonorités
Obscures en Suisse, quelques festivals neofolk en Italie… et tant
d’autres !
Malheureusement, nous sommes moins chanceux en France que nos
voisins allemands, mais il faut aussi reconnaître que l’importance du public
est sans commune mesure des deux côtés de la frontière. Cependant, n’oublions
pas que les festivals Deadly Actions du nord de la France font office de
pionniers du genre !
Si
l’on se penche maintenant plus sur les artistes et sorties du moment, que
dire ? La découverte de nouvelles perles n’est vraiment pas mon point
fort, mais je vais me prêter au jeu ! Le constat peut sembler sévère, mais cela
fait bien longtemps que je n’ai pas été touché par un nouveau projet dark folk
ou neofolk. A mon sens, les projets récents les plus intéressants sont à
dénicher chez le label américain Brave Mysteries. La qualité y est de rigueur,
même si l’originalité fait parfois défaut. Le projet qui a le plus retenu mon
attention dans le style en Europe, et plus précisément en Pologne, est By The Spirits, digne héritier des débuts de :Of The Wand And The Moon: avec des morceaux très épurés, et une reprise de
Coil de toute beauté.
Les
musiques dark ambient et rituelles ont le bon goût d’avoir plus de choses à
offrir, à mon avis. Plus vraiment récent mais toujours intéressant, Phurpa, de
Russie, est un projet qu’il me tarde de découvrir sur scène. Holotrop, de
Berlin, est également un artiste à suivre : la qualité de ses sorties va
crescendo. Impossible enfin de ne pas mentionner Cities Last Broadcast, qui a
été un véritable coup de cœur : il s’agit d’un des nombreux projets du
musicien derrière Kammarheit, c’est inquiétant, immersif, profond, angoissant… A
propos de projets parallèles, Tesco nous a gratifiés récemment de 2 excellents
albums, celui de Deathpanel au printemps et celui de Salford Electronics l’an
dernier. Concluons avec le power electronics. Unrest Productions sait trouver
les talents du genre et sort régulièrement des disques ou cassettes de qualité.
Am Not et Kevlar ont été des révélations. Ces projets confirment largement sur
scène les promesses de leurs enregistrements, comme ont pu le constater ceux
qui ont assisté au Kosmo Kino Plaza d’avril, dédié au label londonien.
Hormis
les deux noms cités ci-dessus, mon plus gros coup de cœur sur UnrestProductions est Abscheu, projet de power electronics parisien dont les deux
sorties sont imparables : intense, agressif, incisif, massif… et
intelligent. Lingua Ignota, signée sur un label aux sorties majoritairement
metal, parfois hype, a aussi sorti cette année un premier album varié mêlant
noise, power electronics, piano et chant
possédé, osant des mariages étranges mais qui fonctionnent.
En
tant qu'organisateur, quels sont tes souvenirs de concert les plus
marquants ?
Comme
tu t’en doutes, ces douze années ont donné lieu à quelques événements parfois
drôles, parfois touchants, les anecdotes ne manquent pas ! Après la
première date de l’association, les musiciens de Sanctum ont publié sur un blog
une chronique de leur périple (ils venaient de Suède en voiture pour deux
dates, celle de Paris et une en Belgique ou aux Pays-Bas, il me semble). Ils y
ont remercié Marcela, l’amie qui avait géré les repas, en la qualifiant de
meilleure cuisinière d’Europe pour le catering, ce qui nous fait encore sourire
aujourd’hui. Deux ans plus tard, pour notre 2e concert, nous avons
« perdu » un musicien 30 minutes avant l’heure supposée de son concert.
Une fois le personnage retrouvé, il était trop angoissé pour jouer, alors que
200 personnes l’attendaient… C’est un type de situation qui fait apprendre la
zénitude ! Dans le genre moins rocambolesque et plus touchant, lors du
second KKP, nous avions invité Rose McDowall, et Jo Quail jouait dans son
groupe. Jo débutait à peine sa carrière solo et m’a timidement demandé si elle
pouvait jouer un de ses morceaux avant le set du groupe. Elle a conquis la
salle et les jours suivants j’ai reçu des mails demandant qui elle était, si
elle avait sorti des disques… Elle est revenue jouer deux fois par la suite
dans des concerts d’Au-delà du Silence, et j’espère que ce n’est pas
fini ! Dans les événements plus récents, je peux citer la grosse frayeur
de la crue de la Seine qui interdisait l’accès à Petit Bain 10 jours avant le
concert de Frustration et Crisis (archi complet, la première fois que ça
arrivait depuis 8 ans…). Heureusement l’équipe de Petit Bain a géré la
situation merveilleusement bien et le concert a pu avoir lieu au Trabendo.
Qu'en
est-il des prochains concerts prévus ?
Le
prochain cycle KKP se tiendra le vendredi 12 octobre aux Voûtes,
dans le cadre de la nouvelle tournée européenne de Control, qui est
désormais un habitué de nos concerts. La tête d’affiche sera
Thorofon, projet de power electronics allemand, qui nous proposera
cette fois un set old school axé sur leurs compositions de la fin
des années 90. La soirée sera ouverte par Te/DIS, l’un des rares
musiciens du label Galakthorroe à se confronter à l’épreuve du
live. Ce sera sa première date hors d’Allemagne, dans la plus pure
veine Angst Pop.
Enfin,
la dernière date fixée à ce jour sera le Cycle XIII de KKP, le 23
novembre également aux Voûtes, avec un double set de Sutcliffe
Jügend, qui n’ont pas joué à Paris depuis 7 ans ! Ils nous
proposeront pour commencer une performance de spoken word dans la
veine de certains enregistrements récents, et ils termineront la
soirée avec un set de power electronics cataclysmique comme ils
savent si bien le faire. Entre ces deux sets, ce sera She Spread
Sorrow qui occupera la scène, pour la première fois à Paris. Elle
officie dans un style mêlant death industriel, ambient, power
electronics, tout en tension, chuchotements, angoisse…
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