Du
génie. Comment qualifier autrement la vidéo financée par la Mairie
de Paris pour promouvoir la propreté dans les rues de la capitale ?
On savait que les déjections canines étaient devenues un combat
emblématique de la ville de Paris depuis les célèbres motocrottes de Jacques Chirac en 1982. Mais après les chiens, Anne Hidalgo fait
de l'éducation à la propreté des maîtres une nouvelle priorité
de son mandat et l'équipe municipale ne manque pas d'imagination
pour se montrer la plus innovante possible quand il s'agit de faire
de la voie publique parisienne un temple de l'asepsie propre à faire
pleurer de bonheur le plus hygiéniste des touristes scandinaves.
Pourtant, face à la persistante et incontinente incivilité des
parisiens, le défi semble impossible à relever. Entre les sorties
de concert, les sorties de boîtes, les soirées étudiantes, la
bière qui coule à flot, les vécés bouchés dans les bars ou
squattés par les gens qui n'en finissent pas de vomir, les types
bourrés qui pissent sur les murs, les filles pressées qui se
soulagent entre deux bagnoles et les chiens qui profitent du chaos
général pour lancer une nouvelle offensive urinaire, Paris
s'éveille toujours au petit matin avec des airs d'écurie d'Augias
et ça, Jacques Dutronc n'en parle jamais dans sa chanson. Fluctuat
Nec Mergitur s'est
cependant répété Anne Hidalgo en relevant le gant Mapa de la lutte
pour l'assainissement de la voirie. Paris aura beau être battue par
les flots de l'urine, elle ne sombrera pas.
Après
avoir dégainé les uritrottoirs (des pots de fleurs équipés d'une
pissotière et d'un bac à compost installés sur les quais de
Seine), la mairie de Paris se lance dans la com' décalée sur le
pipi citoyen. Enfin, décalée... En faisant appel aux services de la
youtubeuse Swann Larrissé pour réaliser une pastille vidéo
intitulée « Pas pipi dans Paris », la mairie a sans
doute cru miser sur l'humour et le second degré pour appeler ses
administrés à plus de tenue dans les rues de la capitale. Le
résultat est effarant. En compagnie de deux-trois figurants très
bon chic-bon genre, dont on doute fort qu'ils soient en mesure de
personnifier le cœur de cible du clip, Swann Larrissé, vêtue d'une
robe en papier toilette jaune, se trémousse sur une électro
poussive ânonnant un refrain niaiseux :
« Je
dis merci, un grand et sincère merci à ceux qui ne font pas pipi,
pipi dans Paris. » La
cause est noble, certes, mais le message est trouble. Avec cette
comptine sur l'incontinence, la mairie de Paris a expliqué au
journal Libération
vouloir
« sensibiliser
des publics plus jeunes moins touchés par les canaux de
communication traditionnels […] grâce à l’humour ».
Pour
y parvenir, la municipalité a payé quelques humoristes pour faire
caca dans Youtube. Objectif atteint : si
« Pas pipi dans Paris » réussit quelque chose, c'est
illustrer à la perfection l'expression « être à côté de la
plaque ». Le clip coche toutes les cases : c'est si peu
drôle qu'on est gêné pour les interprètes, c'est prétentieux,
faussement décalé, mauvais et interminable. Les auteurs sont
tellement soucieux de démontrer leur maîtrise du second degré que
le clip est une parodie de lui-même qui a d'ores et déjà trouvé
une place de choix au panthéon du ringard et de la branquitude. Itwas acceptable in the eighties chantait
Calvin Harris en 2006 mais même dans les années 80, produire une
chose comme « Pas pipi dans Paris » n'aurait pas
forcément été acceptable, en utilisant l'argent public de
surcroît.
Encore les années 80 avaient-elles à leur crédit une
certaine naïveté et une certaine innocence qui transparaissaient
dans la production alors balbutiante des clips musicaux. Avec cette
vidéo qui heureusement n'aura coûté que 6500 euros, ce qui
est déjà cher payé, la mairie de Paris démontre avec une
étincelante médiocrité qu'elle a perdu depuis longtemps, si elle
l'a jamais eue, la faculté de s'adresser aux habitants de Paris.
Sait-elle d'ailleurs encore à quoi ressemble un habitant de Paris ?
A regarder cette caricature débilitante maladroitement dissimulée
derrière une ironie lourdingue, on prend la mesure du fossé qui
s'est creusé entre la réalité et les « gens dans le coup »
dont l'humour lessivé au politiquement correct est plus triste
qu'une sanisette un lendemain de coupe du monde. Du moins la mairie
de Paris, après avoir emprunté le concept de l'uritrottoir à la
ville de Nantes, peut-elle espérer faire à son tour des émules
dans les autres métropoles de France. On s'attend donc, pourquoi
pas, à voir Alain Juppé s'inspirer de l'initiative en finançant la
réalisation de « Pas popo dans Bordeaux » ou la région
Normandie lancer le futur tube de l'été 2019 avec « Pas caca
à Étretat ».
Epilogue:
Quand on est prolétaire,
Et qu'on a pas de pognon
On va pisser dans l'eau,
Et ça nous fait des ronds,
Egalement publié sur Causeur
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