samedi 22 septembre 2018

La mélancolie d'Alain Delon




En apercevant la couverture de La mélancolie d’Alain Delon sur l’étal d’un bouquiniste, je me suis laissé aller à une impression rapide, vaguement négative : « Avec une telle photo, cela doit encore être un essai bon marché qui cultive l’image du mauvais garçon, bourreau des cœurs et amis des renégats ». Décidément, les apparences sont trompeuses : l’éditeur, Pierre-Guillaume de Roux, n’a pas pour habitude de publier des livres jetables (même si, avouons-le, les couvertures sont rarement à la hauteur des contenus) et l’auteur, Stéphane Guibourgé, nous rappelle à la mémoire son si beau titre Les fils de rien, les princes, les humiliés (publié en 2014). En le feuilletant, nous remarquons l’indélicatesse du destinataire de la dédicace qui, à l’évidence, ne s’est pas donné la peine de feuilleter le livre avant de s’en débarrasser auprès d’un bouquiniste. Tant mieux, le livre est quasiment donné et, dès les premières pages, nous sentons qu’il s’agit d’une belle évocation de l’une des figures les plus mythiques du cinéma français.

En effet, Stéphane Guibourgé ne réalise pas une énième biographie d’Alain Delon mais propose un tableau délicat, aux teintes personnelles, qui croise certains éléments de la vie de l’acteur, la description de ses plus grands films et l’ambiance finissante des années 1960 et 1970. On ne trouvera pas, non plus, dans cet ouvrage de longues exégèses cinématographiques au style abscons et aux formules prétentieuses. L’auteur nous invite plutôt à une promenade inspirée, parfois désabusée, dans les œuvres de René Clément (Plein Soleil), de Luchino Visconti (Rocco et ses frères, Le Guépard), de Jean-Pierre Melville (Un flic, Le Samouraï, Le Cercle rouge), de Jacques Deray (La Piscine), etc. Il en propose une interprétation que l’on pourrait qualifier d’existentielle au sens où la figure d’Alain Delon incarne à la perfection un style de vie et, disons-le, un état d’esprit qui parvient à combiner une forme de détachement altier, une violence sourde et omniprésente et une acceptation tragique de l’existence. Les grands réalisateurs qui l’ont fait tourner ne s’y sont pas trompés : ils voyaient en lui une représentation à l’état pur de la jeunesse malheureuse, frondeuse et volontiers orgueilleuse des années 1960. Une image également de la jeunesse des bas quartiers, celle qui sentait bien que sous l’exubérance clinquante des Trente Glorieuses s’agrégeaient les courants puissants de la société de consommation, la toile bientôt déployée de la servitude volontaire. En vérité, Alain Delon épouse l’époque de la bourgeoisie triomphante comme l’un de ses enfants maudits, un écorché vif qui cherche la vie sous les apparences trompeuses de la comédie sociale. 



Sans tomber dans l’autofiction, Stéphane Guibourgé distille par petites touches des éléments de sa propre enfance pour les mettre en correspondance avec ceux d’Alain Delon. Enfants mal aimés et en partie abandonnés, ils traversent le monde avec la mélancolie de ceux qui n’ont pas connu l’amour, le premier, l’amour maternel qui donne la tonalité à tous les autres. Ils se réservent alors des moments de violence, comme pour se venger, qui finiront toujours par les pousser sur le bas côté de l’existence, avec les réprouvés. Ainsi, l’immense succès d’Alain Delon laisse toujours planer une part d’ombre, que l’on entrevoit avec une force inouïe dans les traits de son visage, comme une beauté rageuse, incandescente. Cette petite ligne existentielle, cette fréquence destinale, on la perçoit dans tous les grands rôles tenus par Delon, aussi différents soient-ils. Dans L’Insoumis d’Alain Cavalier, par exemple, il est un ancien légionnaire qui met en jeu son code d’honneur pour la protection puis  l’amour d’une femme ; une femme qui le ramènera chez lui, dans son foyer, au moment où la mort tombe sur l’horizon. Que dire de cet extraordinaire tueur à gage, froid, solitaire, détaché, qui s’abandonne à lui-même dans un geste chevaleresque (Le Samouraï). C’est encore un homme absent de lui-même, cette fois-ci affairiste sans scrupule qui, dans Monsieur Klein, est pris dans l’engrenage fatal de l’épuration. 

L’acteur Delon est toujours un héros tragique que la destinée prend dans ses rets pour le mettre à l’épreuve, et le rendre à lui-même : soufflé, brûlé, envolé. En cela, il est un mythe ou plus exactement un daïmon qui se situe entre deux mondes, dans le reflet de nos peurs et de nos désirs. Avec Jean Gabin, Romy Schneider, Maurice Ronet, Burt Lancaster, Claudia Cardinale, etc., il a donné ces lettres de noblesse au septième art avant que celui-ci ne retombe dans la plèbe commerciale, avec son lot d’acteurs-cabotins qui n’ont de jeu et de présence que le reflet monochrome de l’époque. On se dispensera de les citer. 











3 commentaires:

  1. Attention : /récipiendaire/ ne signifie nullement « celui qui reçoit », ou « celui à qui on fait don de quelque chose »n mais « celui qui doit ÊTRE REÇU (dans une assemblée) ».
    Vous devriez parler dans votre texte du DESTINATAIRE de la dédicace inscrite dans l'exemplaire que vous avez trouvé.
    (Le mot /dédicataire/ existe aussi, mais il ne correspondrait pas à ce que vous vouliez dire.)
    Bien sincèrement vôtre.

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