En
apercevant la couverture de La mélancolie
d’Alain Delon sur l’étal d’un bouquiniste, je me suis laissé aller à une impression
rapide, vaguement négative : « Avec une telle photo, cela doit encore
être un essai bon marché qui cultive l’image du mauvais garçon, bourreau des
cœurs et amis des renégats ». Décidément, les apparences sont
trompeuses : l’éditeur, Pierre-Guillaume de Roux, n’a pas pour habitude de
publier des livres jetables (même si, avouons-le, les couvertures sont rarement
à la hauteur des contenus) et l’auteur, Stéphane Guibourgé, nous rappelle à la
mémoire son si beau titre Les fils de
rien, les princes, les humiliés (publié en 2014). En le feuilletant, nous
remarquons l’indélicatesse du destinataire de la dédicace qui, à l’évidence,
ne s’est pas donné la peine de feuilleter le livre avant de s’en débarrasser
auprès d’un bouquiniste. Tant mieux, le livre est quasiment donné et, dès les
premières pages, nous sentons qu’il s’agit d’une belle évocation de l’une des figures
les plus mythiques du cinéma français.
En
effet, Stéphane Guibourgé ne réalise pas une énième biographie d’Alain Delon
mais propose un tableau délicat, aux teintes personnelles, qui croise certains
éléments de la vie de l’acteur, la description de ses plus grands films et
l’ambiance finissante des années 1960 et 1970. On ne trouvera pas, non plus,
dans cet ouvrage de longues exégèses cinématographiques au style abscons et aux
formules prétentieuses. L’auteur nous invite plutôt à une promenade inspirée,
parfois désabusée, dans les œuvres de René Clément (Plein Soleil), de Luchino Visconti (Rocco et ses frères, Le
Guépard), de Jean-Pierre Melville (Un
flic, Le Samouraï, Le Cercle rouge), de Jacques Deray (La Piscine), etc. Il en propose une interprétation
que l’on pourrait qualifier d’existentielle au sens où la figure d’Alain Delon
incarne à la perfection un style de vie et, disons-le, un état d’esprit qui
parvient à combiner une forme de détachement altier, une violence sourde et
omniprésente et une acceptation tragique de l’existence. Les grands
réalisateurs qui l’ont fait tourner ne s’y sont pas trompés : ils voyaient
en lui une représentation à l’état pur de la jeunesse malheureuse, frondeuse et
volontiers orgueilleuse des années 1960. Une image également de la jeunesse des
bas quartiers, celle qui sentait bien que sous l’exubérance clinquante des
Trente Glorieuses s’agrégeaient les courants puissants de la société de
consommation, la toile bientôt déployée de la servitude volontaire. En vérité,
Alain Delon épouse l’époque de la bourgeoisie triomphante comme l’un de ses
enfants maudits, un écorché vif qui cherche la vie sous les apparences
trompeuses de la comédie sociale.
Sans
tomber dans l’autofiction, Stéphane Guibourgé distille par petites touches des
éléments de sa propre enfance pour les mettre en correspondance avec ceux
d’Alain Delon. Enfants mal aimés et en partie abandonnés, ils traversent le
monde avec la mélancolie de ceux qui n’ont pas connu l’amour, le premier,
l’amour maternel qui donne la tonalité à tous les autres. Ils se réservent
alors des moments de violence, comme pour se venger, qui finiront toujours par
les pousser sur le bas côté de l’existence, avec les réprouvés. Ainsi,
l’immense succès d’Alain Delon laisse toujours planer une part d’ombre, que
l’on entrevoit avec une force inouïe dans les traits de son visage, comme une
beauté rageuse, incandescente. Cette petite ligne existentielle, cette
fréquence destinale, on la perçoit dans tous les grands rôles tenus par Delon,
aussi différents soient-ils. Dans L’Insoumis
d’Alain Cavalier, par exemple, il est un ancien légionnaire qui met en jeu son
code d’honneur pour la protection puis
l’amour d’une femme ; une femme qui le ramènera chez lui, dans son
foyer, au moment où la mort tombe sur l’horizon. Que dire de cet extraordinaire
tueur à gage, froid, solitaire, détaché, qui s’abandonne à lui-même dans un
geste chevaleresque (Le Samouraï).
C’est encore un homme absent de lui-même, cette fois-ci affairiste sans
scrupule qui, dans Monsieur Klein,
est pris dans l’engrenage fatal de l’épuration.
L’acteur
Delon est toujours un héros tragique que la destinée prend dans ses rets pour
le mettre à l’épreuve, et le rendre à lui-même : soufflé, brûlé, envolé.
En cela, il est un mythe ou plus exactement un daïmon qui se situe entre deux mondes, dans le reflet de nos peurs
et de nos désirs. Avec Jean Gabin, Romy Schneider, Maurice Ronet, Burt
Lancaster, Claudia Cardinale, etc., il a donné ces lettres de noblesse au septième
art avant que celui-ci ne retombe dans la plèbe commerciale, avec son lot d’acteurs-cabotins
qui n’ont de jeu et de présence que le reflet monochrome de l’époque. On se
dispensera de les citer.
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RépondreSupprimerAttention : /récipiendaire/ ne signifie nullement « celui qui reçoit », ou « celui à qui on fait don de quelque chose »n mais « celui qui doit ÊTRE REÇU (dans une assemblée) ».
RépondreSupprimerVous devriez parler dans votre texte du DESTINATAIRE de la dédicace inscrite dans l'exemplaire que vous avez trouvé.
(Le mot /dédicataire/ existe aussi, mais il ne correspondrait pas à ce que vous vouliez dire.)
Bien sincèrement vôtre.
Bien vu. Corrigé. Merci.
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