Il
a eu le nez creux, Gérard Collomb. On voyait bien qu’il enfumait
gentiment son monde en prétendant vouloir abandonner ses fonctions
de Ministre de l’Intérieur pour retrouver ses chers Lyonnais. Tu
parles Charles ! Elle n’est pas née de la dernière conférence
pour le climat, la vieille colombe rusée, elle avait bien senti qu’il
y avait quelque chose de vraiment pourri en Macronie, à tel point
que les relents putrides d’un système en décomposition après
seulement dix-huit mois de quinquennat refluaient à tous les étages
de la maison mère et jusqu’à la place Beauvau. Le vieux briscard
voyait bien que la « start-up nation » qu’il avait
soutenue dès les premiers jours menaçait de déposer prochainement
le bilan. Collomb avait déjà dû subir le cirque de l’affaire
Benalla et des audiences parlementaires, il n’était pas question
qu’on le prenne jusqu’au bout pour un pigeon. Vu la tournure
prise par les événements, il était plus que temps de tirer sa révérence.
Aujourd’hui
Gérard Collomb doit pousser un grand soupir de soulagement, dans son
bel hôtel de ville de la place de la Comédie, en observant le chaos
de ce week-end sur l’avenue des Champs-Elysées, en regardant son
successeur se débattre dans la pire crise qui se soit abattue sur
l’exécutif depuis mai 68. Avec sa tête de second couteau d’une
série de gangsters des années 80, la mâchoire carrée assénant des
avis définitifs (« on a merdé sur la com’ ») tandis
qu'il roule des yeux affolés en cherchant la
solution qui ne vient pas, Castaner incarne à lui seul l’impuissance
et la désorientation du pouvoir. A côté, Edouard Philippe semble un
roc, c’est dire, tandis qu’Emmanuel Macron répond à la crise
de la même manière qu’il avait géré l’affaire Benalla : par
l’absence. Seules les piques de François Hollande, venu faire la
roue auprès des Gilets Jaunes, ont pu tirer une réaction du
président en déplacement au G20 de Buenos Aires. Depuis son retour
en France, Emmanuel Macron s’est contenté d’une nouvelle petite
boucle mémorielle sur les Champs-Elysées et d’un « Merci »
twitté à la va-vite à destination des forces de l’ordre avant de
se replier dans son palais pour y convoquer ses lieutenants. A peine
le doux monarque au sourire radieux comme une centrale
photoélectrique a-t-il condescendu à envoyer Benjamin Griveaux,
sous-fifre parmi les sous-fifres, lâcher dédaigneusement qu’on
n’allait pas changer de cap pour quelques ploucs énervés et deux
ou trois vitrines cassées. Depuis que la crise des Gilets Jaunes a
commencé à prendre des proportions vraiment inquiétantes, le plus
inquiétant se révèle être le mutisme présidentiel face à la
contestation montante. Peut-être Macron se rêve-t-il en De Gaulle
disparaissant le 29 mai 1968 pour réapparaître et sonner la fin de
la récré le 30 : « Français, Françaises, étant
détenteur de la légitimité nationale et républicaine, j'ai
envisagé depuis 24 heures toutes les éventualités... »
N'est
pas De Gaulle qui veut. En attendant qu'on sache si Emmanuel Macron
joue la montre ou est simplement en train de sucer son pouce en
position foetale derrière son bureau, le gouvernement d'Edouard
Philippe gère l'insurrection qui vient au doigt mouillé. Après
avoir tenté d’assimiler purement et simplement le mouvement des
protestations des Gilets Jaunes à « l’ultra-droite » après les manifestations du 24 novembre, la tactique adoptée après les ravages du 1er
décembre et les images de l'Arc de Triomphe portant les stigmates des tags et des exploits des antifas et autres Black Blocs fut plus classique : distinguer manifestants et
casseurs, de nouveau largement indifférenciés, et laisser monter
l'angoisse dans l'opinion en promettant le chaos pour dissuader au
maximum les gens d'aller manifester le 8 décembre. Les grands médias
ont aussi changé de braquet. L'inénarrable Sylvain Boulouque,
« spécialiste des mouvements sociaux », à peu près
aussi compétent que Christophe Castaner au Ministère de l'Intérieur, n'a plus été invité sur les plateaux de BFMTV pour expliquer
qu'une manif où l'on trouvait des drapeaux français était
d'extrême-droite (à ce compte-là, la manif du 11 janvier 2015 est
donc la plus importante manif d'extrême-droite de l'histoire de
France).
Les
antifas ont certes été rejoints samedi dernier, comme celui d’avant,
par les cohortes hétéroclites de « l’ultradroite ».
Face aux black blocs et autres ultragauchistes énervés, les
groupuscules les plus divers se réclamant du GUD, de l’Action
Française ou plus fréquemment du compte ou du groupe Facebook sur
lesquels leurs membres paradent et se mettent en scène à loisir,
étaient effectivement là pour aller cogner de l’antifa de la même
manière que leur indispensable Nemesis se mobilisait pour casser du
facho. Un camp ne saurait survivre sans l’autre. Chacun a besoin de
l’autre pour alimenter son romantisme de la guerre civile et sa
rhétorique de meute… aux dépens bien sûr de la cause qu’ils
croient servir, qu’elle soit nationale ou au service d’une
internationale fantasmée. Les deux servent ainsi utilement le
pouvoir qu'ils croient contester. Les Black Blocs en décrédibilisant
les mouvements sociaux dans lesquels ils s'invitent – au plus grand
bonheur du gouvernement en place jusqu'à ce que les choses
dégénèrent vraiment comme samedi dernier – et les excités
d'ultra-droite en servant d'épouvantail politique bien commode,
vieille recette qui fait toujours ses preuves. Après tout,
Jean-Marie le père ne fut-il pas pendant des décennies le parfait
instrument permettant à la pensée dominante d’asseoir
médiatiquement son emprise et de passer outre tous les
questionnements sur l’immigration de masse ou la validité du
projet européen en brandissant à chaque fois l’épouvantail
rêvé de ce Front National à la fois clownesque et infréquentable ?
Un dangereux chef de l'ultradroite à la manoeuvre
Les
« quartiers », bien sûr, étaient aussi de la fête,
pour participer au grand défouloir festif et à la distribution
d'accessoires de téléphonie, Hi-fi et produits de luxe sur les
Champs et au théâtre de Guignol ne manquaient plus que les
apprentis révolutionnaires des facs et des lycées qui se sont bien
rattrapés depuis. A l'université de Tolbiac, on s'est dit que ce
serait une belle occasion d'achever de détruire ce qui ne l'avait
pas encore été à l'occasion de Nuit Debout, et partout en France,
des lycéens se sont sentis obligés de sécher les cours et
accessoirement de tenter de cramer leur lycée. Dans tel lycée
parisien, on brûlait sous les vivats la porte en bois, dont
l'original, datant du début du XIXe siècle, avait déjà été endommagée
et réparée à grands frais durant Nuit Debout. Dans d'autres
établissements, on balançait dans la joie et la bonne humeur des
bonbonnes d'acide ou des cocktails Molotov sur les flics. On notera
d'ailleurs que ceux-ci sont bons à plaindre à la rigueur quand ils
prennent les coups pour le compte du gouvernement qui les emploie
pour protéger l'Arc de Triomphe mais qu'on leur tombe sur le rable
dès qu'ils s'avisent d'arrêter 150 « jeunes » qui se
baladaient, barre de fer ou bidon d'essence à la main en quête de
quelque chose de plus à cramer pour se réchauffer le cœur. Face
aux insoutenables images de ces casseurs en herbe agenouillés ou
menottés contre un mur, un concert de pleureuses – journalistes ou
politiques en mal de reconnaissance dégainant le tweet ou le statut
Facebook larmoyant - s'est élevé pour dénoncer les « traitements
inhumains » et se lamenter en choeur des malheurs faits par la
police aux pôvres jeunes. Etrangement, pas une de ses bonnes âmes
ne s'est émue plus que cela du fait qu'à Marseille, à Saint
Exupéry, le lycée des quartiers nord, ce sont les dealers qui sont intervenus pour calmer tout le monde à coups de paint-ball en
demandant aux profs de faire rentrer leurs élèves qui foutaient le bordel
et dérangeaient le trafic de shit. « La prochaine fois qu'on
revient, c'est pas avec des paintballs », ont prévenu ces
honnêtes commerçants, eux aussi dérangés par la police aux
méthodes inhumaines.
Inutile
ici de verser plus dans le pathos revanchard. D'autres s'en chargent
déjà très bien. Rappelons seulement aux différents trous du cul
qui hurlent comme des puceaux excités à la vue des flammes ou
taguent « Vive le vent, vive le vent, vive le vandalisme »
sur l'Arc de Triomphe qu’une des dernières manifestations sur les
Champs-Elysées avait eu lieu le 11 novembre 1940. Ce jour-là, des
étudiants, des lycéens, avaient décidé de braver l’occupant
allemand pour aller honorer la tombe du soldat inconnu, rappeler la
mémoire des morts de Verdun et protester contre l’invasion de leur
pays. Ils furent arrêtés, torturés et pour beaucoup envoyés dans des camps dont la plupart ne revinrent pas. En souillant le monument, car
le mot « souiller » est on ne peut plus juste, les
pauvres types – et les pauvres filles, soyons égalitaires – qui
s’en sont donnés à cœur joie samedi n’ont pas seulement
insulté la mémoire de ceux qui crevaient dans les tranchées en
14-18, ils ont également insulté la mémoire de tous ceux qui ont
payé le 11 novembre 1940 le prix du courage. Vive le vent, vive le
vandalisme hein ?
Le
mouvement des Gilets Jaunes ne se limite pas à ces opportunistes de
la révolution, il traduit un ressentiment bien plus profond que les
journalistes ou les politiques si habitués à servir la
lacrymocratie semblent bien en peine de comprendre. Le génial
Sylvain Boulouque, chercheur en sciences sociales qui est à la
recherche ce que Stephen Hawkins fut à la course à l’aviron,
avait raison sur un point : la France des Gilets Jaunes, c’est
aussi en partie celle qui a dit non en 2005 au traité européen. En
partie parce que les revendications des Gilets Jaunes, c’est aussi
un peu tout et n’importe quoi, allant du salarié qui fait valoir à
raison qu’à 1200 euros par mois on s’excuse de ne pas arriver à
survivre en jetant 400 balles d’essence par la fenêtre par mois,
jusqu’au retraité un peu plus aisé qui a du mal à comprendre que
oui les Trente Glorieuses et la consommation effrénée, oui c’est
bien fini. Mais le combustible le plus efficace de ce mouvement
hétéroclite, dont un représentant apostrophait un Jean-Jacques
Bourdin atterré pour lui hurler aux oreilles qu’ils reviendraient
samedi prochain pour tout péter, c’est l’inertie, le cynisme et
l’inanité des gouvernements qui se succèdent depuis trente ans.
Après le machiavélisme et le clientélisme mitterrandien,
l’attentisme et l’immobilisme chiraquien, la vulgarité
sarkozienne et le pathétique hollandien ont tellement traîné la
fonction politique et présidentielle dans la boue que le mouvement
de révolte qui a pris corps ces derniers jours affirme avant tout un
dégoût absolument radical de la classe politique dans son ensemble,
ce que n’ont pas saisi les responsables politiques toujours prêts à
revenir à la mangeoire, à l'image du très misérable François
Hollande prêt à entamer une danse du ventre sur un rond-point
devant trois Gilets Jaunes et un barrage filtrant pour revenir encore
un peu sur le devant de la scène.
Le
politique d’aujourd’hui se rapproche plus du junkie que de l’homme
d’Etat. Inlassablement, il veut retrouver la sensation du premier
shoot mais s’il déploie une fantastique activité et est prêt à
toutes les bassesses pour retrouver le goût du pouvoir, il ne sait
qu’en faire quand il le possède vraiment. On n’exonérera pas
Emmanuel Macron de toute responsabilité, lui qui est arrivé au
pouvoir par le miracle du dégagisme, d’une enquête du Canard
Enchaîné et du goût malheureux de François Fillon pour les
costumes de prix, et qui ne paraît lui non plus pas savoir quoi
faire de la France maintenant qu'il est censé la diriger. Cette
attitude présidentielle et l’incurie ministérielle ne peuvent qu'alimentent le nihilisme radical des Gilets Jaunes qui hurlent la
détestation du politique, des syndicats et des médias tout
ensemble. La fracture entre la « France périphérique »
et ses élites est devenue une béance que rien ne semble pouvoir
combler, et réunir les dirigeants des principaux partis d’opposition
ou convoquer un débat à l’Assemblée nationale ne calmera pas la
colère qui s'enracine profondément dans le malaise français dont
parlait déjà Paul Yonnet en 1993.1
Et même si la révolution se fait encore attendre samedi 8 décembre
et que les blindés de la gendarmerie circulant sur les
Champs-Elysées dissuadent les « factieux » de pousser
plus loin leur avantage, les nuages qui s'accumulent à l'horizon
laissent présager d'autres tempêtes. Alors que l’Europe panse à
peine les blessures de la crise de 2008, celle qui couve s’annonce
plus terrible encore que la précédente, à en croire les
économistes qui tirent sans succès la sonnette d’alarme. Parce
que, conduits par un progressisme et un technocratisme aveugle, sourd et écervelé, les chefs d’Etat répètent inlassablement les erreurs du passé le plus récent sans prêter la
moindre attention aux signes avant-coureurs d’un effondrement que
personne ne peut raisonnablement souhaiter, sauf les
« révolutionnistes » professionnels, tout à leur haine
du flic et leur fantasme de guerre civile dont ils s'imaginent bien
entendu qu'ils seront les héros. Nous pouvons bien sentir que nous
venons d’entrer dans une nouvelle séquence qui n’est pas le
« retour de la bête immonde » ou des « années
sombres », comme nous l’ont répété jusqu’à
l’écoeurement tous les Sylvain Boulouque que l’abêtissement et
la pensée consensuelle ont produits depuis vingt ans. L’histoire ne
repasse jamais les plats car elle a trop faim d’hommes et de
peuples nouveaux. « D’autres civilisations sont mortes. Cette
civilisation moderne, le peu qu’il y a de culture dans le monde
moderne, est elle-même essentiellement mortelle. » Voilà de
quoi nous avertissait Péguy, mort aux premiers jours du conflit de
1914-1918, et les imbéciles qui ont aussi insulté la mémoire
sous l’Arc de Triomphe confirment de manière funeste sa prophétie.
1Paul
Yonnet. Voyage au centre du malaise français. Gallimard.
1993
L'Etat-Providence mis en cause pour la première fois depuis l'après-guerre, les institutions européennes clairement vomies par les Européens, le succès du trumpisme aux USA, celui de politiques que l'euro-intelligentsia qualifierait volontiers de "populistes" en Australie et en Nouvelle-Zélande si celle-ci en avait quoi que ce soit à foutre de ces pays, et j'en oublie... L'Occidental a maintenant soif de subsidiarité, le temps des bureaucraties kafkaïeno-marxistes est clairement révolu.
RépondreSupprimerVers un Roi en Gilet Jaune ;-) ?
Les Gilets jaunes ont l'air tout de même assez attachés à l'Etat-providence pour qu'ils réclament le retour des services publics en milieu rural alors que l'Etat est de moins en moins providentialiste depuis Giscard et plus encore Fabius. Pour ce qui est de la subsidiarité, je vous renvoie à un article publié plus récemment https://idiocratie2012.blogspot.com/2018/12/des-peuples-une-nation.html
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