dimanche 12 avril 2020

La fête foraine


-Attention, souffla t-il, c'est maintenant que ça devient intéressant. Ouvrez grands vos oreilles !


Les mâchoires de l'homme s'écartèrent avec un claquement sec de piège à loup, dévoilant le trou noir de la bouche.

-Et alors ? fit David sans comprendre.

-Alors ? Approchez votre oreille de sa bouche... et écoutez !

David s'exécuta. Dès qu'il fut au dessus du visage d l'homme, il perçut comme une rumeur lointaine, un écho qui montait de la poitrine du portier. ce n'était pas le bruit d'une respiration, ni même le grasseyement d'un arbre bronchique encrassé par le tabac, non, c'était... autre chose. Une rumeur de réunion publique. De marché. On entendait des voix, des rires... et même de la musique comme si une fête foraine minuscule avait élu domicile dans les poumons du surveillant. Une fête foraine ! Et soudain, terrible, une voix nasillarde et métallique jaillit du fond de ce corps immobile. Une voix ténue, lointaine, déformée par le pavillon d'un mauvais haut-parleur. Et cette voix disait: Tu es mon sandwich de pain blanc, et quand je te serre entre mes doigts... Kraki-Krac, Kraki-Krac...
David bondit en arrière.

-Surprenant, n'est-ce pas ? ricana Losfred. C'est la rumeur d'une fête foraine qui lui tient lieu de respiration. C'est comme s'il avait avalé un magnétophone qui passerait et repasserait un enregistrement vieux de quarante ans.

Serge BRUSSOLO La nuit du bombardier



Christine Jacquel. Manège des chevaux de bois.


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