mardi 28 avril 2020

Neurotica sexualis : La Demeure des lémures (II)



Alors que le prolongement dure, que l’ennui s’étire et que les désirs s’étiolent, les idiots reprennent les choses en main pour vous proposer une série d’évocations érotiques à partir d’œuvres diverses plus ou moins connues : films, livres, albums, performances, etc. Loin de l’offre capitalistique en la matière, proprement obscène, il s’agit plutôt de se promener sur les sentiers escarpés du plaisir, parfois enjoué souvent cruel, pour se perdre et s’oublier dans l’Eros primordial. Nous poursuivons avec un conte érotique : La Demeure des lémures de Léo Barthe.


         Sous le pseudonyme de Léo Barthe, l’écrivain Jacques Abeille s’amuse et nous amuse avec des livres délicatement érotiques qui font un petit pas de côté par rapport à son œuvre magistrale Les Jardins statuairesque nous avions chroniqué par ailleurs. L’un de ses derniers titres, La Demeure des lémures, poursuit dans une veine érotique teintée de fantastique. L’histoire ne brille pas par son originalité : une jeune bonne est embauchée dans une vaste demeure où déambule un maître absent qui finira par devenir son initiateur. En vérité, le charme est ailleurs, dans cette langue chaloupée et voluptueuse que l’auteur enroule autour de ses personnages avec maestria, dans ce rapport aux espaces et tout particulièrement aux pièces du château qui sont toutes chargées d’électricité sensuelle et, bien sûr, dans les scènes érotiques que l’écriture ciselée parvient à élever au rang d’œuvre d’art, avec la montée et la descente des flux jusqu’à ce que s’apaise le sang « en rumeur océane dans le crépuscule ».

         A travers cette langue luxuriante, Léo Barthe rappelle que les élans charnels nécessitent de faire danser les mots pour que s’éveillent les désirs et s’entrechoquent les pulsions dans la chambre secrète de l’âme. A une époque où l’industrie de la pornographie a progressivement arasé, nivelé et bétonné, un à un, tous les paysages chamarrés de l’Eros, l’écrivain nous ramène au jardin des voluptés et nous promène dans ses allées avec à la bouche le nom de toutes les plantes qui, semée dans la terre chaude et enveloppante, s’élèvent au soleil de la vie. Le lexique brutal du marketing de l’obscénité laisse alors la place au rythme des évocations, selon les lois délicates de l’imaginaire, qui dessine la cartographie sans fin des désirs. 

        

Laissons la parole à Léo Barthe :

« Sans lui laisser le temps de fuir encore, d’une brève reptation elle amène la bouche à hauteur de cette tige hésitante et en gobe le fruit. Elle le tient et le savoure avec d’autant plus de joie que jusque sur sa langue se propage le grand frisson qui le secoue tout entier et lui arrache un gémissement semblable à celui d’un enfant que saisit un sanglot. Elle se rassemble tout entière dans sa bouche, affolée du bonheur de le contenir si bien, d’en sentir le poids de fièvre sur la langue, la poussée aveugle contre le palais et la rigueur nerveuse entre ses lèvres qu’elle fait aller et venir, souples et gonflées, refoulant suave l’ourlet de peau pour mieux se délecter de la pulpe plus que nue. A chaque avance elle plonge comme en un bain d’ombre chaleureuse dans la nuée de sa senteur intime qui est brusque avec une nuance de musc printanier et de miel sombre. Le maître est pétrifié, enserré dans le réseau de ses nerfs qui convergent et se nouent dans la tige de chair. Parfois, comme soulevé par le moyeu de son corps, il se dresse sur la pointe des pieds, s’élance sur place vers le but qui le happe (…) ». p. 88.

« Il se lève du siège où elle pose la tête dans ses bras repliés, et il vient s’agenouiller à son tour derrière elle. Encore une fois il s’émerveille de tant de soumission énamourée et de cet épanouissement obscène et princier. Débarrassé de son peignoir, il lui caresse les fesses de son boute-joie et en laisse le gland gonflé dodeliner de ci delà, glisser dans la longue entaille qui sépare ses fesses. Le bulbe se pose par mégarde sur le creux froncé de l’entrée interdite. La petite bonne se cambre et frémit d’une crainte avide. Elle lâche un murmure :
« Fait de moi ce qu’il te plaît. Fais-le ! »
Il saisit sa tige et, en toute lenteur, insiste dans l’attouchement panique. L’anneau apeuré cède comme à regret sous la troublante caresse et peu à peu absorbe le fruit brûlant qui soudain bascule par-delà cette margelle dont il se sent aussitôt étranglé à la base. Le maître suspend tout mouvement pour écouter les soupirs de sa servante, elle aussi se rassemblant au seuil du mystère, entre angoisse et espérance, tandis que la bague de chair, plus vite qu’elle peut-être, se rassure et relâche son spasme. Le maître, précautionneux, s’enfonce dans la douceur. Etrange monde interdit, bien défendu dans la réserve de sa combe, qui se révèle désarmé et comme privé de ressort dans ses lointains par la promesse d’une extase incongrue. Monde de profonde enfance aux plaisirs troubles, enfouis dans le souvenir pudique de larcins entr’aperçus, monde sans relief, fluide, abandonné à l’occupant qui le comble. (…) Ils chavirent lentement jusqu’au sol où ils restent mêlés et bercés par le ressac de leur sang dont le flux s’apaise en rumeur océane dans le crépuscule ». p.152-154.




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