mercredi 1 août 2012

Les petits chevaux de bois


Guy Maddin’s My Winnipeg 
Photograph © Jody Shapiro

« A l'entrée du terrible hiver de 1942, par un froid de loup, des soldats finlandais, dans l'isthme de Carélie, mirent le feu à la forêt de Raikkola, où s'était concentrée l'artillerie soviétique --hommes, bêtes et canons . Réveillés en sursaut, entourés de clameurs, pris de panique, un millier de chevaux, derrière leur chef de file, coururent se jeter dans le lac Ladoga pour échapper à la fournaise. Ils essayèrent de nager vers l'autre rive, la tête tendue hors de l'eau, farouchement cabrés, grelottant de froid et de peur. Soudain, avec le bruit sec d'une vitre qu'on brise, l'eau qui les protégeait gela, les saisit, les emprisonna.
A l'aube, à travers la forêt calcinée, les Finlandais découvrirent, émergeant d'une plaque d'albâtre qui s'étendait à perte de vue, des centaines et des centaines de têtes de chevaux. Le givre les avait recouvertes d'un manteau de blanc bleuté. Dans les yeux dilatés, la terreur brillait encore comme une flamme. Tout le long de l'hiver, elles demeurèrent ainsi, ces têtes mortes à la crinière glaciale, dures comme du bois, les lèvres contractées par un hennissement désespéré. »


Curzio Malaparte. Kaputt. 1944








2 commentaires:

  1. La formule "Aucun commentaire" m'a d'abord semblé la plus appropriée sous un document aussi accablant. Après un moment de réflexion, j'ai toutefois pensé que le silence pouvait aussi ressembler à la lâcheté du témoin silencieux d'Auschwitz et d'ailleurs. J'ai donc cherché un texte capable au moins d'ensemencer ce silence et susceptible d'y faire germer une action décisive pour le bien-être des animaux.
    Je propose celui-ci : http://www.cahiers-antispecistes.org/spip.php?article38

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  2. Tenez, celui-ci est du même, comme ça cela rétablira la balance: « (...) Les bombes au phosphore avaient mis le feu à des quartiers entiers de cette ville, faisant un grand nombre de victimes. Jusque là, rien d’extraordinaire, même les Allemands sont mortels. Mais des milliers et des milliers de malheureux, ruisselant de phosphore ardent, dans l’espoir d’éteindre le feu qui les dévorait, s’étaient jetés dans les canaux qui traversent Hambourg en tous sens, dans le port, le fleuve, les étangs, dans les bassins des jardins publics ou s’étaient faits recouvrir de terre dans les tranchées creusées ça et là sur les places et dans les rues pour servir d’abri aux passants en cas de bombardement. Agrippés à la rive et aux barques, plongés dans l’eau jusqu’à la bouche, ou ensevelis dans la terre jusqu’au cou, ils attendaient que les autorités trouvassent un remède quelconque contre ce feu perfide. Car le phosphore est tel qu’il se colle à la peau tel une lèpre gluante, et ne brûle qu’au contact de l’air. Dès que ces malheureux sortaient un bras de la terre ou de l’eau, le bras s’enflammait comme une torche. Pour échapper au fléau, ces malheureux étaient contraints de rester immergés dans l’eau ou ensevelis dans la terre comme les damnés de Dante. Des équipes d’infirmiers allaient d’un damné à l’autre, distribuant boisson et nourriture, attachant avec des cordes les plus faibles au rivage, afin qu’ils ne s’abandonnent pas vaincus par la fatigue, et se noient ; ils essayaient tantôt un onguent, tantôt un autre, mais en vain, car tandis qu’ils enduisaient un bras, une jambe ou une épaule, tirés un instant hors de l’eau ou de la terre, les flammes, semblables à des serpents de feu se réveillaient aussitôt et rien ne parvenait à arrêter la morsure de cette lèpre ardente. » (La peau, Malaparte)

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