Aujourd’hui, dans le Nouvel Obs, on joue à se faire peur avec la droite américaine. C’est un exercice assez commun en réalité. La
plupart du temps, quand les médias français s’intéressent aux Etats-Unis, c’est
pour coller un type devant un agrandissement de carte postale de Manhattan qui
clame fièrement : « Ici, en direct de Niouillorque !!! »,
ou alors pour dévoiler au public français les accointances idéologiques
répugnantes de la droite américaine (non pas celle-là, l’autre droite). Donc
aujourd’hui, c’est Ayn Rand qui prend la relève de Samuel Huttington
(rappelez-vous, Le choc des civilisations, le discours de G.W. Bush sur
les Rogue-states, que de souvenirs…) et c’est Nicole Morgan qui se
charge de lui tirer le portrait.
Première question : qui est Nicole Morgan ? Réponse :
c’est une philosophe et sociologue qui a notamment publié Le
manuel de recrutement d’Al Qaïda et Haine froide. A quoi pense la droite
américaine ? aux éditions du Seuil. On ne serait pas surpris de la
trouver aussi derrière le scénario de Alien vs. Predator mais bon on ne
va pas commencer à être mauvaise langue…
Deuxième question : qui est Ayn Rand ? Réponse :
Ayn Rand (1905-1982) est une philosophe et écrivain d’origine russe et
naturalisée américaine. Anticommuniste farouche, athéiste convaincue et
rationaliste indomptable, elle est devenue l’idole littéraire du mouvement
libertarien, un peu comme si Christine Angot s’était mise à lire Stirner et à
se coiffer comme Judith Butler en vénérant Bernard Tapie. Elle professe un « égoïsme
rationnel » qui en fait une théoricienne de l’individualisme et est en
général bien peignée sur les photographies.
Troisième question : faut-il avoir peur d’Ayn Rand ?
Dans son ouvrage La Grève[1],
qui semble être devenu culte. Ayn Rand met en scène des chefs d’entreprises en
pleine crise d’adolescence. Puisque l’Etat leur vole tout, ils décident de bouder
et de ne plus rien faire, comme ça vous verrez bien, vous serez bien contents,
nananère…On ne la faisait pas comme ça à Ayn Rand et elle nous explique notamment
dans son ouvrage phare que l’Etat n’est finalement qu’un moyen de mettre à la
tête de nos sociétés un paquet de voleurs, de menteurs et d’assassins qui ont
pour fonction de nous voler, de nous assassiner et de nous mentir afin de nous
empêcher nous-mêmes de voler, d’assassiner et de mentir. Jusqu’ici tout va
bien, on était au courant. Ce qu’on savait moins c’est que, quand l’Etat
disparaît la concorde et l’harmonie apparaissent naturellement entre les êtres
humains guidés par le consentement mutuel et la recherche de l’intérêt
individuel qui ne peut s’obtenir que par le biais de la collaboration et de l’entente,
concourant ainsi indirectement à l’intérêt général. J’ai déjà lu ça quelque
part…Ah oui, chez Adam Smith ! Et est-ce que ça fonctionne bien dans la
réalité ? Oh, à peu près autant que Karl Marx…
Chez Ayn Rand, les hommes d’élites, les entrepreneurs courageux,
les inventeurs géniaux, les artistes avant-gardistes finissent par en avoir
marre de la mainmise de l’Etat corrompu qui les empêche de créer et d’innover
en rond. Du coup ils plaquent tout et vont boire des coups entre aristoï,
au bar du coin chez Platon qui paye sa tournée à tous les grévistes de l’excellence.
Il faut donc rassurer Nicole Morgan en considérant Ayn Rand pour ce qu’elle
est : un auteur de science-fiction. La lecture de ses textes ne va pas inciter
les républicains à exécuter tous les pauvres en cas de victoire aux
présidentielles pas plus qu’elle ne va amener Paul Ryan ou Mitt Romney à
supprimer l’Etat et à placer les Etats-Unis sous le contrôle des
mégacorporations (que Romney ou Obama soit élu ne change d’ailleurs pas
grand-chose à ce niveau…). Ayn Rand est une manifestation un peu folklorique et
pas vraiment passionnante sur le plan littéraire (c’est à peu près du niveau de
Paulho Coelho quoi) d’un courant intellectuel qui a produit des auteurs bien
plus pertinents et des analyses plus fines que celles qui sont proposées dans La
Grève. L’américain moyen lui n’a pas attendu Ayn Rand ou les libertariens pour
savoir qu’il n’a pas besoin de l’Etat pour défendre son carré de propriété
privée.
[1]
Publié seulement en 2011 en France. Voir la critique du journal Contrepoints :
http://www.contrepoints.org/2011/08/03/37958-atlas-shrugged-en-librairie-le-22-septembre-2011
Très bon :)
RépondreSupprimerMerci Sammy :)
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