Le mariage homosexuel
provoque davantage de remous que ne l’escomptaient le président Hollande et son
Premier ministre Ayrault. Ne s’agissait-il pas d’envelopper le tournant
néo-libéral de la gauche dans une réforme sociétale en phase avec les progrès
de l’histoire ? Et de montrer une fois de plus, s’il n’était besoin, que
le diagnostic de Jean-Claude Michéa est entièrement vérifié : l’ouverture
culturelle (libertaire) comme alibi et complément de l’ouverture économique
(libéral), le tout se résolvant dans une marchandisation de tous les segments
de la société et de l’être.
La
réforme dite du mariage homosexuel appartient, bien sûr, à ce logiciel
libéral-libertaire : promouvoir l’égalité de tous – comprendre l’arasement
de tout ce qui dépasse de l’homo consumans – au nom d’une
marchandisation généralisée de la société. Mais nous voudrions mettre l’accent
sur un autre aspect de cette réforme : l’aspect strictement juridique.
L’on sait que le Droit, depuis une dizaine d’années, a quasiment remplacé la
Loi, puisqu’il vient souffler au législateur – faut-il rappeler que celui-ci
est l’émanation du Peuple – les normes dont il doit se saisir. Et ce, en
raison, des poussées sociétales qui contraignent l’organisation sociale et qui
finissent par bousculer l’ordre étatique. L’Etat n’est plus ce « gros
animal » ou ce « monstre froid », autrefois décrié par les
philosophes, mais une machinerie informe dont les rouages s’étendent partout,
sans âme directrice.
Revenons-en
aux faits : quelle est la situation, aujourd’hui, en France ? Il
existe déjà plusieurs couples homosexuels qui ont pratiqué des inséminations
artificielles pour les femmes et des gestations pour autrui pour les hommes à
l’étranger. Ils donneront, donc, naissance à un enfant ou le ramèneront en
France pour l’adopter. Autrement dit, ces couples se mettent sciemment dans
l’illégalité et produisent une situation de droit intenable : avoir un
« enfant douteux » dont on ne sait pas si la filiation peut être
prouvée ou non[1]. De deux
choses l’une : ou l’Etat sanctionne une situation manifestement
délictueuse et se voit dans l’obligation de retirer l’enfant aux dits couples
en infraction, ou bien il modifie sa législation afin de mettre en conformité
le droit avec la réalité sociale. Le problème est que la loi sur le mariage
homosexuel ne règle rien : elle accorde un nouveau droit-créance à une
catégorie de la population sans prévoir les conséquences de ce droit –
situation inepte.
On
l’aura compris, l’enjeu d’importance n’est pas le mariage, mais la modification
du droit de la famille pour ce qui concerne la filiation : doit-elle
rester attachée au couple biologique (avec l’exception consentie à l’adoption)
ou doit-elle devenir l’effet d’une volonté ? Le débat pourra peut-être
avoir lieu, mais sa conclusion semble déjà écrite : comment imaginer, en
effet, que l’Etat retire aux couples homosexuels des enfants illégalement
conçus ? Et si tel était le cas, la Cour européenne des droits de l’homme
mettrait en demeure les autorités concernées de mettre fin à ce qui serait
perçu comme une intolérable atteinte au bonheur personnel.
Ce qui entraîne deux séries
de conséquences. D’un point de vue juridique, il sera désormais permis à des
individus de contrevenir aux règles sociales (bien commun) pour satisfaire
leurs désirs personnels, justifiés ou non. Autrement dit, le droit aura pour
mission de consacrer, avec l’appui du législateur, des situations de fait. D’un
point de vue politique, cela signifie que la chère volonté générale n’est plus
de mise dans nos sociétés démocratiques sectorisées. Il n’appartient plus, en
effet, aux représentants du peuple de dessiner les contours de l’organisation
sociale à travers l’adoption de lois. C’est au contraire les multiples segments
de la société, plus ou moins organisés en groupes d’intérêt, qui imposent à
l’Etat son calendrier politique. Cela s’appelle tout simplement du
management : le gouvernement répond à la loi de l’offre et de la demande
en optimisant, au maximum, son retour sur investissement politique. Mais de
démocratie, « le pouvoir du peuple, par le peuple et pour le
peuple », il n’en est plus question. Mariage homosexuel ou pas.
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