Je constate
d’après l’avis que vous m’avez envoyé le 10 octobre dernier que vous persistez
contre toute logique à vouloir me faire payer la redevance tévé. De même que
l’an dernier, vous paraissez soudainement être frappé de cécité au moment de
consulter ma déclaration, en particulier quand votre regard, que je devine
torve et vos petits yeux que je sais globuleux et cruels, inspectent avec
gourmandise la case « Je ne possède pas de récepteur TV ».
En effet, il semble
bien que je m’évertue chaque année en pure perte à apposer la biffure
libératrice sur le funeste document afin de prouver, sinon au monde du moins à
l’administration obtuse au sein de laquelle vous avez le malheur de servir, que
je ne possède, ni ne posséderai jamais, de récepteur tévélisuel. Afin que les
choses soient bien claires entre nous et pour vous épargner la peine de
m’adresser à chaque rentrée la supplique réglementaire dont je m’épargnerais
également avec joie la lecture, laissez-moi vous expliquer en quelques mots
l’essentiel de mes relations avec l’univers cathodique.
Dans la lointaine
contrée où je suis né et où mes aïeux se sont évertués pendant des générations
à faire sortir des artichauts d’une terre ingrate qui se nourrissait de la sueur
et des larmes des hommes, je me souviens qu’il y avait un petit hameau ne
comptant tout au plus qu’une dizaine d’habitants, en sus de quelques poulets et
deux ou trois chiens de chasse. Parmi ses villageois, en général fort peu amènes
avec les touristes et les Parisiens, se trouvait une petite vieille acariâtre,
dont le visage renfrogné ne s’illuminait qu’à l’évocation des derniers potins
de la rubrique nécrologique et au nom de Jean-Pierre Foucault. La pauvre
vieille, qui ne quittait en effet guère plus son salon, passait l’essentiel de
ses interminables journées rivée devant le poste de tévé dont l’influence
démoniaque avait eu raison de sa santé mentale et pulvérisé les derniers restes
de lucidité qui habitaient encore son cerveau ravagé. Elle était persuadée
notamment que Jean-Pierre Foucault, dont elle ne ratait pas une émission,
s’adressait à elle, personnellement, tous les mercredi soir à l’occasion
de Sacrée Soirée. L’émission prit fin le 29 juin 1994, après 264 numéros
et 7 saisons et la petite vieille trépassa le mercredi suivant.
Depuis lors, ayant
constaté les irréparables ravages que la fréquentation trop assidue d’un poste
de tévé peut infliger au psychisme humain, je me tiens soigneusement à distance
de tout récepteur, tuner, cable, TNT…et autres gadgets susceptibles de
soumettre mon cortex au chant des sirènes cathodiques qui ont réussi à envoûter
une partie du monde, pour le plus grand malheur de notre civilisation. Dans les
rares occasions où je me trouve involontairement exposé au flot d’insanités
monstrueux continuellement vomi par ce Léviathan ignoble, qu’il soit
rectangulaire, à plasma ou écran plat, je demeure plus convaincu encore que le
seul moyen pour l’humanité d’échapper à l’effroyable processus
d’autodestruction dans lequel elle se trouve engagée est de mettre fin à
l’odieux règne de ce Moloch des temps modernes en détruisant systématiquement
tous les postes récepteurs, les antennes, les relais et en supprimant sans
aucune pitié tous les animateurs, producteurs, journalistes ou techniciens qui
participent au triomphe quotidien de la terrifiante machine à broyer les âmes.
Voilà pourquoi, Madame la redevancière, Monsieur le redevancier, si je me garde bien désormais d’approcher tout ce qui
peut ressembler de près ou de loin à un récepteur de tévé, j’ai gardé en
revanche, à l’instar de la petite vieille dont j’évoquais un peu plus haut le
souvenir, l’habitude de consulter chaque jour avec application la rubrique
nécrologique et les premières pages des journaux, dans l’espoir d’y découvrir
que le ciel nous a fait la grâce d’enlever au monde un des bouffons pathétiques
qui participent quotidiennement à l’abrutissement généralisé. Bien évidemment,
la crainte d’un procès intenté par les parents dégénérés de l’un de ces
richissimes malfaisants m’empêche ici de citer des noms mais vous devez savoir que
pas un jour ne se passe sans que je n’adresse une fervente prière aux forces
qui président à notre destinée pour qu’elles consentent enfin à précipiter dans
les feux de la Géhenne toute cette cohorte de crétins repus d’eux-mêmes,
d’exhibitionnistes mégalomanes et de nuisibles infatués qui célèbrent
bruyamment, jour après jour, le triomphe de l’abjection qu’ils servent avec
zèle.
Je vous prie
donc, Monsieur le Redevancier, de bien vouloir me laisser tranquille et d’aller
plutôt trouver un vrai travail au lieu de m’enquiquiner avec vos manigances de
voleur de poules et de bateleur à l’air chafouin. En conséquence, je vous
invite très vivement à vous rouler votre redevance en cornet et à vous
l’insérer là où le soleil ne brille jamais. Je laisse le choix des orifices à
votre discrétion, parce que, allez, je ne suis pas méchant quand même.
La bonne journée,
Je vois que vous faites mention des artichauts et de l'animosité des gens du coin vis-à-vis des Parisiens.
RépondreSupprimerSeriez pas du Pays de Léon par hasard?
Moi non plus je n'ai pas de télé, n'en ai jamais fait l'acquisition et en convaincre la bureaucratie n'est pas une mince affaire et votre lettre est hilarante, d'ailleurs je la relis à l'occasion.
Bien à vous,
Nathalie
Bien vu en effet, je ne suis pas tout à fait du Léon cependant et j'ai vu le jour un peu plus en contrebas, au pays du Gallo et de la galette-saucisse. Merci pour votre commentaire et bonne chance à vous aussi dans votre juste combat contre la télé et la bureaucratie.
RépondreSupprimerCordialement
Un idiot des bords de la Vilaine,