Les amants morts. Matthias Grünewald.
« On ne se marie pas pour soy, quoi qu’on
die ; on se marie autant ou plus pour sa postérité, pour sa famille.
L’usage et interest du mariage touche nostre race bien loing par delà nous.
Pourtant me plait cette façon, qu’on le conduise plutost par mains tierces que
par les propres, et par le sens d’autruy que par le sien. Tout cecy, combien à
l’opposite des conventions amoureuses ! Aussi est ce une espece d’inceste
d’aller employer à ce parentage venerable et sacré les efforts et les
extravagances de la licence amoureuse, comme il me semble avoir dict
ailleurs. » (III, V, p. 850)
« Il n’est plus temps de regimber quand on
s’est laissé entraver. Il faut prudemment mesnager sa liberté ; mais
dépuis qu’on s’est soumis à l’obligation, il s’y faut tenir soubs les loix du
debvoir commun, aumoins s’en efforcer. Ceux qui entreprennent ce marché pour
s’y porter avec haine et mespris, font injustement et incommodément ; et
cette belle reigle que je voy passer de main en main entre elles, comme un
sainct oracle,
Sers ton mary comme ton
maistre,
Et t’en guarde comme d’un
traistre,
qui est à dire : Porte toy envers luy d’une
reverence contrainte, ennemie et deffiante, cry de guerre et deffi, est
pareillement injurieuse et difficile. Je suis trop mol pour desseins si espineux.
A dire vray, je ne suis pas encore arrivé à cette perfection d’habilité et
galantise d’esprit, que de confondre la raison avec l’injustice, et mettre en
risée tout ordre et reigle qui n’accorde à mon appetit : pour hayr la
superstition, je ne me jette pas incontinent à l’irreligion. Si on ne fait
tousjours son debvoir, aumoins le faut il tousjours aymer et recognoistre.
C’est trahison de se marier sans s’espouser. Passons outre. » (III, V, p.
852-853)
« Une femme se peut rendre à tel
personnage, que nullement elle ne voudroit avoir espousé ; je ne dy pas
pour les conditions de la fortune, mais pour celles mesmes de la personne. Peu
de gens ont espousé des amies qui ne s’en soyent repentis. Et jusques en
l’autre monde. Quel mauvais mesnage a faict Jupiter avec sa femme qu’il avoit
premierement pratiquée et jouye par amourettes ? C’est ce qu’on
dict : Chier dans le panier pour apres le mettre sur sa teste. »
(III, V, p. 853)
Michel de Montaigne. Essais. Livre III. Chapitre V. "Sur des vers de Virgile."
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire