Entre notre
terrasse et le sentier de Loire, j'ai planté une haie de thuyas. Mur de verdure
disent les catalogues d'horticulteurs. C'est cela et c'est beaucoup mieux.
Protection contre le vent, contre le regard des passants, ce mur est un monde
vivant, hanté de frémissements, de frôlements, peuplé de nids, bourdonnant
d'insectes, exultant de chants d'oiseaux. Par-delà, dans les acacias du talus,
la fauvette babillarde égrène sa sautillante ariette. En-deça, dans les lilas
et les spirées, les rossignols se défient sans attendre la tombée du jour. Et,
bien après que le soleil s'est levé, le sang brulant, la gorge palpitante, ils
chantent encore et ne peuvent plus se taire. Mais à chaque pôle de la nuit, la haie
appartient toute aux merles. Et à leurs vocalises sonores. La puissance de
leurs voix n'a d'égale que sa pureté. C'est une coulée jaillissante et limpide,
d'une souplesse et d'une transparence qui ravissent. Quelle bénédiction de
retrouver la lumière matinale au chant des merles de la haie ! A travers les
lames de persiennes, le jeune soleil glisse ses premiers rayons. Le dormeur en
perçoit la coulée, comme d'une lame d'eau venue lécher une marche, au seuil
d'un embarcadère : et déjà se soulève la barque. C'est un sommeil suspendu,
balancé, où s'éveillent des feuillages, où fusent soudain des traits sonores
plus joyeux que toute musique humaine. Et soudain la conscience revient : les
merles chantent. Quarante printemps, dans ma mémoire, s'accompagnent du chant des
merles. Pas une allée de notre petit bois où mes yeux ne puissent revoir, filant
du soleil à l'ombre, le vol rasant d'un merle en quête. Chaque fois alors mon cœur
s'émeut au souvenir de la merlette meusienne qui filait ainsi devant moi, un
lointain matin de septembre.
Maurice Genevoix. Tendre Bestiaire. Plon. 1969
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