dimanche 30 décembre 2012

Le chant du monde (3)



          
           Entre notre terrasse et le sentier de Loire, j'ai planté une haie de thuyas. Mur de verdure disent les catalogues d'horticulteurs. C'est cela et c'est beaucoup mieux. Protection contre le vent, contre le regard des passants, ce mur est un monde vivant, hanté de frémissements, de frôlements, peuplé de nids, bourdonnant d'insectes, exultant de chants d'oiseaux. Par-delà, dans les acacias du talus, la fauvette babillarde égrène sa sautillante ariette. En-deça, dans les lilas et les spirées, les rossignols se défient sans attendre la tombée du jour. Et, bien après que le soleil s'est levé, le sang brulant, la gorge palpitante, ils chantent encore et ne peuvent plus se taire. Mais à chaque pôle de la nuit, la haie appartient toute aux merles. Et à leurs vocalises sonores. La puissance de leurs voix n'a d'égale que sa pureté. C'est une coulée jaillissante et limpide, d'une souplesse et d'une transparence qui ravissent. Quelle bénédiction de retrouver la lumière matinale au chant des merles de la haie ! A travers les lames de persiennes, le jeune soleil glisse ses premiers rayons. Le dormeur en perçoit la coulée, comme d'une lame d'eau venue lécher une marche, au seuil d'un embarcadère : et déjà se soulève la barque. C'est un sommeil suspendu, balancé, où s'éveillent des feuillages, où fusent soudain des traits sonores plus joyeux que toute musique humaine. Et soudain la conscience revient : les merles chantent. Quarante printemps, dans ma mémoire, s'accompagnent du chant des merles. Pas une allée de notre petit bois où mes yeux ne puissent revoir, filant du soleil à l'ombre, le vol rasant d'un merle en quête. Chaque fois alors mon cœur s'émeut au souvenir de la merlette meusienne qui filait ainsi devant moi, un lointain matin de septembre.

Maurice Genevoix. Tendre Bestiaire. Plon. 1969

1 commentaire: