Avec la signature éclair du
contrat égyptien portant sur l’acquisition de 24 avions de combat Rafale, le
gouvernement français et l’avionneur Dassault ont poussé un grand soupir de
soulagement. L’avion de combat français n’avait connu depuis vingt ans que des
échecs à l’export, le dernier en date au Brésil, au terme d’un véritable
feuilleton à suspense qui s’était conclu sur une nouvelle rebuffade et
l’annonce du choix du suédois Gripen par le gouvernement de Dilma Roussef. Un
mois à peine après l’Egypte, l’Inde a annoncé à son tour son intention
d’acquérir 36 Rafale, afin de moderniser sa flotte de combat vieillissante et
la série en or s’est poursuivie quinze jours plus tard quand le cheikh Tamim
Ben Hamad Al-Thani a confirmé son souhait de voir le Qatar acquérir 24 avions
de combat Rafale.
Pour le ministère de la
défense, le soudain du Rafale à l’étranger après des années de vaches maigres
est une bénédiction mais aussi le fruit d’une stratégie diplomatique patiente.
Le contrat indien n’est certes pas encore signé et celui avec le Qatar doit
être finalisé le 4 mai à Doha mais les trois annonces marquent l’aboutissement
d’un très long travail pour enfin placer le fleuron de l’aéronautique française
à l’étranger. Cela permet aussi à Dassault de respirer enfin puisque son
poulain n’était maintenu en vie artificiellement que par les commandes du
ministère de la Défense, dont le grand patron Jean-Yves Le Drian peut se
réjouir aujourd’hui d’avoir décroché non seulement les premiers succès à
l’export du Rafale mais également une
rallonge de 3,8 milliards d’euros concédé avec peine par Bercy pour
boucler son prochain budget, une bonne nouvelle n’arrivant décidément jamais
seule.
Le contexte politique et
économique a largement contribué à faire tourner la roue dans le bon sens pour
la France et pour Dassault, notamment au Moyen-Orient. Le Maréchal Abdel Fatah
al-Sissi, nouvel homme fort de l’Egypte, avait grand besoin de s’assurer du
soutien diplomatique des occidentaux à sa politique intérieure et à sa croisade
contre les Frères Musulmans. Et sur le plan extérieur, l’Egypte apparaît comme
le nouveau fer de lance de la guerre contre l’Etat Islamique. L’achat de Rafale
à la France, en même temps qu’un contrat nucléaire civil signé avec Moscou,
permet à Sissi de diversifier ses alliances et de se distancier très
subtilement d’un allié américain qui n’avait pas hésité à engager le dialogue
avec les Frères Musulmans et qui négocie aujourd’hui une alliance de
circonstance avec l’Iran, ce qui n’est pas pour inspirer confiance aux pays
arabes. Des raisons similaires semblent pouvoir expliquer le succès du Rafale
au Qatar qui souhaite non seulement pouvoir moderniser rapidement sa flotte de
combat dans un contexte très tendu mais également pouvoir continuer à compter
sur le soutien fidèle de son allié français. La série pourrait d’ailleurs se
poursuivre. « Jamais deux sans trois » avait prophétisé Laurent
Fabius après le contrat indien, « jamais trois sans quatre », affirme-t-il
aujourd’hui au site L’Usine
Nouvelle. Les Emirats Arabes Unis cherchent en effet également à
renouveler leur flotte vieillissante de Mirage 2000 et le contexte géopolitique
de la région pourrait jouer là encore en faveur de la France.
L’annonce du contrat avec
l’Inde (pas encore signé cependant) trouve peut-être une explication plus technologique.
Le Dassault Rafale est un avion dit de génération « 4++ », c’est-à
dire une génération d’avions de combat qui succède aux F-15, F-16 et F-18
américains (respectivement mis en service en 1976, 78 et 83), aux Mig-29 et
Su-27 russes (1983 et 84) et au Mirage 2000 (1983). A ce titre, le Rafale, dont
le premier prototype a volé en 1991, se glisse aujourd’hui, après sa longue
traversée du désert, dans un interstice technologique favorable. En effet, il
faudra attendre encore quelques années avant la véritable arrivée sur le marché
des avions de cinquième génération comme le T-50 ou PAK FA (développé par la
firme russe Sukhoi pour le marché indien, dont le premier prototype s’est
élancé dans les airs en 2009) ou de l’avion chinois Shenyang J-31 (premier vol
d’un prototype en 2012). Seul le F-35 Lightning américain, véritable multirôle,
contrairement au F-22 dédié uniquement à la supériorité aérienne, a vraiment
fait son apparition, mais sur un marché pour le moment limité à l’OTAN
(Royaume-Uni, Canada, Pays-Bas, Norvège, Turquie, Italie et Danemark) ou aux alliés
historiques des Etats-Unis (Australie, Israël et Japon).
Le Rafale se trouve donc,
dans la catégorie « multirôle », en compétition avec l’Eurofighter
Typhoon (premier vol en 1994), le Gripen du suédois Saab (premier vol en 1988),
le Su-30 (1989), le Su-35 (première version en 1992, réactualisé en 2008) et
avec le F/A-18 Hornet… qui vola lui pour la première fois en 1978. Le Rafale
est un avion extrêmement coûteux (suivant les estimations, son prix se situe
entre 90 et 100 millions d’euros l’unité) mais bien moins cependant que le F-35
dont le programme de développement est l’un des plus pharaoniques de
l’industrie aéronautique américaine, avec un retard de 7 ans et un dépassement
de budget astronomique. A l’opposé en termes de coût, le Gripen suédois coûte
peut-être deux fois moins cher que le Rafale, ce qui lui a permis de rafler la
mise en Suisse et au Brésil, mais il s’avère aussi bien moins performant,
l’avion français bénéficiant des tout derniers développements technologiques,
du missile air-air METEOR (premier tir effectué le 28 avril dernier) jusqu’au radar RBE2
AESA capable de poursuivre 40 avions et d'en engager 8 en même
temps tout en assurant simultanément la détection de cibles terrestres ou
navales.
Cet équipement renforce
encore l’aspect multirôle d’un appareil qui avait été capable de tenir en
combat aérien la dragée haute aux F-22 américains et à l’Eurofighter Typhoon
lors d’exercices internationaux à Doha en 2009. Si le Rafale remporte aujourd’hui
en Egypte, en Inde et au Qatar le succès qui lui a été dénié au Brésil et en
Suisse, c’est que ces deux pays représentaient peut-être tout simplement une
erreur de casting : ils ont très logiquement fait le choix du Gripen,
moins performant et moins cher en l’absence d’un voisinage réellement menaçant.
Ce n’est en revanche pas le cas des pays du Moyen-Orient, relancés dans une
véritable course aux armements, ou de l’Inde voisine de la Chine et du
Pakistan, équipés des récents J-10 « Vigorious Dragon » et du JF-17
« Brave Dragon », développés en 1998 et 2003 par la firme chinoise
Chengdu. On comprend donc que les trois récents clients qui ont permis à
l’industrie aéronautique française de pousser de vigoureux cocoricos aient
choisi de mettre le prix pour se remettre rapidement à niveau.
Enfin la baisse
de l’euro, tombé à son plus bas niveau en douze
ans (1 euro = 1,06 dollar contre 1,40 en mars 2014, son cours est même
inférieur au cours d’introduction de 1999) n’a pas seulement pour effet de
soulager les dettes des pays européens mais elle favorise également les
exportations en rendant plus compétitifs les produits
français, surtout quand il s’agit de produits
aussi chers qu’un avion de combat. Cette baisse, décidée par la BCE de Mario
Draghi qui a inondé de devises les marchés européens depuis mars dernier, est
clairement destinée à favoriser les exportations européennes tout en profitant
du niveau toujours bas des cours du pétrole. La France s’impose déjà, avec la Grèce
ou l’Italie, comme l’un des bénéficiaires de cette politique.
Le succès de Rafale sert donc
aujourd’hui de vitrine (de luxe) à cette nouvelle embellie commerciale et
profite de la nouvelle donne géopolitique au Moyen-Orient et des patients
développements technologiques qui en font aujourd’hui (enfin) un avion compétitif.
Tout vient à point à qui sait attendre. Les bénéfices dégagés par cette série
de super-contrats permettront peut-être à François Hollande de se consoler de
devoir rembourser la somme déjà payée par la Russie pour les porte-hélicoptères Mistral. Autant de vents contraires pour l’industrie française mais en attendant de savoir ce que la
France pourra faire des deux navires géants conçus pour un environnement
arctique, ils pourront peut-être temporairement servir à héberger la fameuse « structure chargée d'accueillir en charge
les jeunes de retour de
zones de conflit » (ceux, du moins, ne faisant pas l'objet de poursuites
judiciaires) que Manuel Valls souhaite créer d’ici la fin de l’année. On ne
pourrait rêver après tout meilleur cadre pour refroidir les ardeurs
djihadistes qu’un porte-hélicoptère construit pour affronter les milieux
polaires…
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