Umberto Boccioni, Les États d’Âme . Ceux qui restent, 1911. Moma
Une révolution, mentale, sentimentale, politique, sociale, et
toutes autres, que ce soit une révolution religieuse et totale dans l’âme d’un
Polyeucte ou une révolution politique, sociale ou religieuse dans l’âme de tout
un peuple, une révolution ne consiste point essentiellement à penser, à sentir,
à être politiquement, socialement, intérieurement, le lendemain le contraire de
ce qu’on était la veille, l’instant d’après le contraire de ce que l’on était l’instant
d’avant. Cette opposition, qui est fréquente, moins qu’on ne le croit, cette
contrariété, qui est historiquement fréquente, qui est fréquente, moins qu’on
ne le croit, dans l’événement, loin d’être essentielle à la réalité de cette
révolution, ne lui est presque jamais qu’accidentelle, n’en fait qu’un
accident, moins fréquent qu’on ne le croit, et presque toujours un accident
grossier. Accident grossier, d’autant plus frappant, d’autant plus saisissable,
d’autant plus rapidement saisi, bien entendu, par tous les grossiers observateurs.
Mais ce qui fait une révolution, de tout ordre, intérieure ou
extérieure, et aussi bien religieuse que civile, et fût-elle apparemment
laïcisée, ce n’est point la contrariété de l’instant lendemain à l’instant
veille, de l’instant instantanément ultérieur à l’instant instantanément
antérieur : c’est l’étrangeté, c’est la nouveauté, la totale nouveauté de
l’instant qui est venu à l’instant qui l’avait imprudemment précédé. C’est
cette totale nouveauté, qui fait la révolution, non la contrariété. Qu’il y ait
ou non contrariété, c’est un accident, grossier, secondaire, le seul qu’on ait
communément saisi, le seul qu’on voie, le seul qu’on veuille voir, à tort.
Passer par une révolution, ce n’est point nécessairement, ce n’est point
essentiellement changer d’avis. Passer par la crise d’une Révolution, ce n’est
point nécessairement, ce n’est point essentiellement penser, sentir, être le
contraire de ce que l’on était dans l’instant qui précédait immédiatement le
commencement de cette crise.
Et même et plus généralement ce n’est point penser, sentir, être
autre. Mais c’est être, mentalement, sentimentalement, essentiellement
transféré dans un monde nouveau. Ainsi entendue la révolution, comme on le
doit, ou, pour parler exactement, ainsi constatée, on peut parfaitement, du
jour au lendemain, penser le contraire de ce que l’on pensait et n’avoir point
passé par l’espace d’une révolution ; comme au contraire on peut
parfaitement, du jour au lendemain, penser identiquement le même que l’on
pensait et tout de même avoir passé par l’espace d’une révolution.
Charles Péguy. "Par ce demi-clair matin". Publié à titre posthume dans la Nouvelle Revue Française en juillet 1939.
Umberto Boccioni, Les États d’Âme . Ceux qui partent, 1911. Moma
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