A l’heure d’une
littérature exténuée, particulièrement en période de rentrée littéraire, quand
il n’est d’autre choix qu’entre les machines rôdées à l’exercice spectaculaire
tel Houellebecq et celles, rôdées elles aussi au tourniquet médiatique, qui en
prime nous surprennent encore par leur nullité ubuesque[1],
quelques ouvrages relèvent notre intérêt pour la raison qu’ils sont encore
écrits dans un français intéressant et qu’ils tentent de dire quelque chose qui
ne se réduise pas à la logorrhée insane débitée par la majorité des maisons
d’éditions, au kilo comme le fumier. La
Contre-heure de Sébastien Hoët figure parmi ses ouvrages qui nous rassurent
et qui, humblement, laisse sourdre une voix originale au milieu de ces ordures
à l’uniforme bariolé qu’on nous présente en guise d’art.
Ironiquement,
le sujet de La Contre-heure ressemble
de prime abord à ces romans post houellebecquiens à destination des lectrices
de Elle, montés en série, et qui oeuvrent dans le genre de la sociologie
de bazar, aussi ce ne sont pas les pérégrinations dépressives de Gilles,
professeur de philosophie dans un lycée de Lille à la quarantaine bien
consommée, qui brillent par leur originalité. En revanche, les considérations
de l’anti-héros de La Contre-heure,
elles, dénotent avec le politiquement correct systématique et distillent un air
salutaire susceptible de nous distraire un peu de ce psychologisme ambiant qui
empuantit tout aujourd’hui. Car Gilles ici règle ses comptes avec, dans le
désordre : l’éducation nationale, la littérature contemporaine, les femmes
et le monde sans chercher la demi-mesure ni les accommodements raisonnables.
Revenu de tout, du moins le croit-il, il démonte de son regard désabusé les
clichés qui régissent la culture actuelle ; des « artistes »
ignares aux écrivains illettrés peu de chose en terre de modernité semble
trouver grâce à ses yeux fatigués. Mais il serait faux de lire ce roman sous
l’angle unique d’un ressentiment vomi par une espèce de loser réactionnaire
puisque ce que dénonce Gilles, il le dénonce parce que cela existe, hélas, et
quiconque enseigne aujourd’hui, fréquente les expositions d’artistes
contemporains en tous genres, à condition qu’il se débarrasse du dogmatisme
contemporain, sait la réalité de cette nullité érigée en excellence… Au travers
du pamphlet masqué, Sébastien Hoët touche quelque chose de la vérité déprimée
de notre époque, cette époque qui semble le révolter plus encore qu’elle ne
l’accable et dont Gilles se fait l’hérétique autant que l’inquisiteur. Pour une
part désespéré, Sébastien Hoët néanmoins envisage la littérature sous une forme
propitiatoire et se sert de chaque chapitre de La Contre-heure pour nommer le mal comme si le nommer équivalait à
le détruire. La langue ici joue un rôle essentiel dans cette entreprise de
démolition massive puisque Sébastien Hoët l’utilise afin de prouver par
l’exemple que la nullité n’est pas tout aujourd’hui et qu’il demeure encore
possible d’écrire. Ainsi, l’histoire que Sébastien Hoët
nous conte, finalement, vaut d’abord pour l’esthétique qu’elle lui permet de
déployer en guise de pharmakon au néant en marche.
Certes,
si ce premier roman comporte quelques maladresses narratives, secondaires en
regard d’une langue poétique et élégante qui donne à la Contre-heure une aura particulière et un ton singulier,
Sébastien Hoët demeure assurément un auteur à suivre et son livre un ouvrage
singulier dont certaines pages tendent vers le poème en prose et dépassent la
cadre romanesque stricto sensu pour trancher avec éclat sur la platitude
généralisée.
[1] On ne
parlera jamais assez des abîmes apocalyptiques que l’ont côtoie terrifié à la
sortie de chaque nouvel opus de Christine Angot.
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