Pour la rentrée 2015, l’université d’Avignon, fondée en 1303 par
le pape Boniface VIII a choisi de se placer sous le patronage d'Albus
Dumbledore, directeur de l'école de Poudlard dans Harry Potter, pour vanter auprès de ses futurs
étudiants, la qualité de ses enseignements. "C'est ce que nous
faisons qui détermine ce que nous sommes", proclamait une grande affiche
dans le métro, indiquant bien que la citation n'a pas été puisée dans les
oeuvres complètes de Jean-Paul Sartre mais bien empruntée au personnage de JK
Rowling. Confrontée elle aussi à une explosion du nombre d’inscrits en 2015,
l’Université d’Avignon a donc fait appel à l’expertise du magicien de JK
Rowling pour rassurer ses futurs étudiants sur leur avenir. Avec 65 000
étudiants en plus en septembre et François Hollande annonçant l’objectif de 60
% d’une classe d’âge en master, il faudra en effet un bon coup de baguette
magique pour gérer un afflux qui ira en augmentant en 2016 et 2017. En
attendant de trouver la formule magique, le ministère recase les candidats où
il peut, bien souvent au dépend des projets d’orientation. Vous déterminerez
qui vous êtes quand on vous aura casé où on peut…
Ce n’est pas la politique adoptée au lycée qui devrait rassurer
les présidents d’université. Les résultats du baccalauréat ont été aussi bons
que l’année précédente : 87,8 % d’admis, soit 617 000 nouveaux
bacheliers, dont 350 000 ont choisi l’université en septembre, où ils
tenteront de s’accrocher malgré les amphis surchargés. Et la vague n’a pas fini
de déferler puisque le ministère prévoit encore 27 000 élèves de plus en
lycée cette année, et peut-être 29 000 en 2016. Parmi les nombreuses
causes, notamment démographiques, on peut aussi souligner la quasi-disparition
du redoublement en collège qui contribue à gonfler plus encore les
effectifs d’entrée en lycée. Une
quasi-disparition désormais officiellement actée par le décret du 20 novembre
2014 qui rend la mesure désormais « exceptionnelle ». Un redoublement
ne pourra donc intervenir qu’en cas d’absence prolongée de l’élève, pour des
raisons familiales ou médicales, ou à la demande des parents eux-mêmes, ou de
l’élève majeur si ce dernier n’est pas satisfait de l’orientation proposée par
le conseil de classe. Les professeurs d’université pourront donc continuer à se
plaindre que le niveau baisse continuellement et que les effectifs sont
pléthoriques, mais il s'agit, après tout, d'un marché assez équitable : les
universitaires participent à la conception des réformes éducatives, les
professeurs du secondaire confient en retour le produit de ces réformes aux
bons soins de leurs collègues du supérieur.
L’autre jour, l’émission Répliques, d’Alain Finkielkraut,
recevait, à l'occasion de la rentrée des classes, François-Xavier Bellamy,
auteur des Déshérités, ou l’urgence de transmettre (publié en 2014),
Marie-Duru Bella, sociologue spécialiste de l’école et François Dubet,
également sociologue et spécialiste de l’école, tous deux auteurs de Dixpropositions pour changer l’école, publié au Seuil en août 2015. Les trois
intervenants étaient d’accord pour reconnaître qu’aujourd’hui plus personne ne
nie la dégringolade générale du niveau des élèves, question encore presque
taboue il y a vingt ans. C’est déjà un premier pas. Après cela cependant, la
discussion opposait des arguments assez classiques dans : pour Bellamy, la
nécessité de transmettre au centre de l’enseignement contre l'obligation, pour
Duru-Bellat et Dubet, de partir « de ce dont l’élève a besoin ». Inutile
de revenir ici sur ces arguments, on commence à être habitué aux conséquences
de discours comme celui de François Dubet, qui préconise de « ralentir
l’allure pour obtenir l’égalité de résultats plutôt que l’égalité des
chances": cette sorte divinisation de la statistique achève elle aussi de
tuer l’enseignement secondaire à petit feu. Ce qui frappait beaucoup plus en
écoutant cet échange, c’est l’impression très vive que François Dubet ou Marie
Duru-Bellat, auteurs de nombreux rapports et membres de commissions d’experts
pour la refonte des programmes, ne semblaient finalement pas avoir une idée
très exacte de la réalité du métier de professeur: entendre François Dubet
affirmer que « les enseignants ne corrigent pas les fautes de français
dans les copies quand ils ne sont pas profs de français » ou Marie Duru-Bellat
se demander pourquoi on ne s’intéresse pas à des matières nouvelles comme
l’astronomie à l’école laissait un peu pantois. Les profs sont invités
constamment à réfléchir sur leur pratique – à se demander « d’où ils
parlent », comme dirait Bourdieu -, mais qui donc demandera à ces experts
de l’école de se demander à leur tour « d’où ils parlent », eux qui
semblent se situer dans un espace-temps
si éloigné des enseignants comme des élèves ?
C’est une perspective inquiétante en cette première rentrée de
« l’après-Charlie » qui voit également l’arrivée des premiers profs
titulaires issus des nouveaux ESPE, les nouvelles « Ecoles Supérieures du
Professorat et de l’Education », remplaçant les anciens IUFM, Instituts
Universitaires de Formation des Maîtres, pardon pour ces acronymes ésotériques.
Ces nouveaux professeurs seront chargés, comme leurs collègues plus
expérimentés, d’assurer et d’encadrer le nouvel Enseignement Moral et Civique
prévu par la réforme Belkacem. Le Bulletin Officiel du 25 juin 2015 précise que
cet enseignement, qui s’adresse aux élèves et apprentis des lycées, CAP et
centres de formation, a pour objectif de « renforcer le sentiment
d’appartenance à la communauté des citoyens » et la « volonté de participer
à la vie démocratique » et de sensibiliser les élèves à leur « responsabilité
morale et collective ». Face au rôle de plus en plus préoccupant joué par
les réseaux sociaux dans la société actuelle et à l’école, on ne peut
qu’adhérer à ces objectifs. Le philosophe Michel Serres avait beau s’extasier
sur la « petite poucette » (l’ado qui pianote plus vite que son
ombre sur un smartphone) et sur la merveilleuse possibilité offerte par
internet d’ « externaliser notre mémoire » et « de poser
notre tête sur la table » - sous forme d’ordinateur -, le docte savant a
peut-être été un peu refroidi dans ses ardeurs technophiles en découvrant
qu’internet pouvait aussi servir à externaliser ses délires antisémites où à
poser la tête des autres sur la table pour faire un selfie avec. Du coup, oui, il
y a certainement urgence à ce que l’école se saisisse vite et bien de ces
nouvelles problématiques et à ce que la communauté pédagogique réagisse.
Najat Vallaud-Belkacem pourrait cependant invoquer elle aussi le
patronage de Dumbledore pour aider les personnels de direction et les
professeurs à comprendre comment et avec quels moyens ce nouvel enseignement
miracle va être mis en place. Car si l’idée est bonne sur le papier, elle
paraît se réduire de manière inquiétante à un pur effet d’annonce dans la réalité.
Préparé dans l’urgence, réalisé dans la précipitation, le lancement de l’EMC a
laissé à plus d’un enseignant l’impression que la nouvelle innovation, doté
d’objectifs aussi généreux que vagues, se réduisait finalement à un
décalque de l’ancien programme d’Education Civique,: quel est le
programme ? Qui fait quoi ? Comment ? L’impression qui domine à
la rentrée est celle, comme souvent, de l’improvisation et du bricolage. Les
nouvelles troupes, les professeurs tout justes sortis des ESPE, ne paraissent
pas forcément plus convaincus que leurs collègues: « On nous explique
en résumé que l’on compte sur nous pour sauver l’école, c’est assez hypocrite »,
rapporte, dubitatif, l'un d'entre-eux.
Najat Vallaud-Belkacem a dû elle-même aborder sa grande réunion de
rentrée avec en tête le mauvais souvenir de sondages estivaux donnant les
trois-quarts des Français hostiles à sa réforme et un autre montrant que 21 %
seulement des enseignants se disent prêts à voter pour le PS à trois mois des
régionales. La ministre a donc répété les mantras d’usage qui ont descendu tous
les échelons hiérarchiques pour rappeler que le ministère avait à cœur de
continuer à faire de l'école républicaine un ascenseur social et un lieu de
formation des futurs citoyens. Le politique est en cela assez semblable au
prof, en ce que son métier consiste pour une bonne part à répéter
inlassablement les principes qui doivent rentrer dans les crânes des électeurs,
des administrés ou à plus forte raison de ses fonctionnaires. Et tant qu’ils n’ont
pas compris, on recommence, comme avec les élèves. Les pédagogues et
spécialistes de l’éducation gagneraient certainement à observer les politiques
qu’ils côtoient : cela leur permettrait certainement d’avoir une meilleure
idée du métier. A la radio, face à un Xavier Bellamy qui démontrait que nous
nous obstinons à persévérer, de réforme en réforme, dans une logique qui a fait
depuis trente ans la preuve de son échec, François Dubet répondait qu’on vit
désormais dans un monde d’images et qu’il faut faire avec, qu’il convient aussi
de « briser le carcan disciplinaire » et qu’évidemment de nombreux
enseignants, encore dans l’Antiquité, n’ont pas encore bien compris la valeur
des nouveaux projets pédagogiques…Répéter, on vous dit. Il faut toujours
répéter.
Publié dans Causeur.fr
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