jeudi 7 mars 2013

Fifty shades of DSK (épilogue)


« Me voici donc seul sur la terre, n'ayant plus de frère, de prochain, d'ami, de société que moi-même. »
Jean-Jacques Rousseau. Les rêveries du promeneur solitaire. Première promenade.

(Petit épilogue des idiots à l'article en trois parties de Xavier Méra sur "le service public sexuel" de Marcela Iacub)

            La pathétique épopée de Dominique Strauss-Kahn, débutée dans la suite 2806 du Sofitel de New-York le 14 mai 2011, aurait pu prendre des airs de tragédie shakespearienne, mêlant pouvoir, sexe et déchéance, s’il se trouvait bien sûr encore un Shakespeare pour lui prêter une forme littéraire. Mais nous n’avons plus de Shakespeare pour cela. En France en 2013, il ne nous reste que des Marcela Iacub pour s’employer à transformer cette triste fable en une autre fable, tout aussi dérisoire : celle d’une opportuniste rusée qui a su au bon moment employer et monnayer son talent pour l’intrigue afin de retranscrire le sordide fait divers en une prétendue autofiction dont les morceaux de bravoure sont tenus ensemble par les grosses ficelles du racolage.

Marcela Iacub a, nous dit-on, fort habilement transformé DSK en « cochon » et nous a révélé que ce cochon, qui cohabitait avec le politique, froid et calculateur, dans le costume du président du FMI, représente la part maudite mais aussi la vraie part de créativité et d’humanité de DSK. Nous sommes reconnaissants à Marcela Iacub d’une part de nous révéler cet aspect du personnage que nous ignorions certainement, après des mois de battage médiatique intense autour de l’affaire du Sofitel, et nous pouvons la remercier par ailleurs de nous dévoiler cette vérité incroyablement neuve que l’humanité tire de sa propre fange le sublime comme le dégoût. Il est toujours intéressant de voir des auteurs, réputés sulfureux bien sûr, ressortir le malheureux marquis de Sade ou le pauvre Georges Bataille de leur placard et faire semblant, pour les besoins de leur petit commerce, de redécouvrir la désacralisation du mal et la laïcisation de la perversion. En bonne épicière de la subversion institutionnalisée, Marcela Iacub tire de tout cela un brillant panégyrique en faveur de la partie fine, parangon de la créativité pour cette juriste habituée à naviguer dans les hautes sphères entre jet lag et Jet 27. 


            Pauvre Fourier également que Marcela Iacub sort de son caveau utopiste pour nous vendre sa version mondaine du phalanstère des plaisirs dans une tribune complaisamment prêtée par Libération ! On peut toujours être pris d’une certaine tendresse à la lecture des élucubrations du commis voyageur qui voulait transformer les océans en limonade et les requins en animaux de compagnie, on l’est moins en découvrant l’utopie grisâtre que nous propose Iacub avec son « Service public sexuel », une sorte de meilleur des mondes de la partie fine qui mélange allègrement communisme sexuel et arrivisme salingue et sent le champagne frelaté et le foutre rance.


            Pourtant – mais comment s’en étonner ? – « l’œuvre » de Marcela Iacub a bénéficié du fervent soutien du Nouvel Observateur et de Libération, dont la rédaction, vexée sans doute d’avoir laissé filer le scoop après que L’Obs ait publié en exclusivité le 21 février interview et « bonnes feuilles » de Marcela Iacub, a renchéri avec une tribune dithyrambique de trois pleines pages sur l’auteur de Belle et bête. On n’y est pas allé de main-morte par ailleurs à L’Obs pour faire la promo de la belle, de la bête et du cochon. « Elle a vécu une histoire intime qui a représenté pour elle une expérience intellectuelle », confie, avec beaucoup d’humour sans doute, Eric Aeschimann, chef des ventes au rayon lingerie fine du Nouvel Observateur. « Marcela Iacub s’inscrit dans une tradition littéraire de métaphore animalière qui va de Kafka à Truisme. » Le malheureux Kafka qui aurait sans doute admis tous les procès plutôt que  de se voir rattaché de force à une tradition qui est plutôt celle du déballage et de l’exhibitionnisme mercantile. Mais au Nouvel Obs, quand on sert la soupe on prend garde à ce qu’elle ait du goût et à ce que les invités l’apprécient. Ce que ne manque pas de faire Marcela Iacub d’ailleurs qui n’hésite pas à se présenter comme « une nonne qui tombe amoureuse d’un cochon. Une nonne qui se détourne de la grandeur de l’amour divin pour se vautrer dans les ordures. » Comme c’est beau ! Voilà Marcela Iacub transformée par la grâce de la littérature en héroïne de Palladius de Galatie[1] ou en Lydwine de Schiedam[2] ! La différence étant que contrairement à ces dernières, Marcela Iacub n’a pas entrepris de faire de son corps un tas d’immondice pour racheter l’humanité pécheresse mais simplement de faire de l’ordure un commerce afin de faire du fric. Chaque époque a ses priorités non ?

Lydwine de Schiedam


Un peu interloqué tout de même, un chroniqueur de leplus.nouvelobs.com s’interroge d’ailleurs : « A quoi bon ce livre ? A quoi bon ce récit ? A quoi bon s'en prendre encore au corps privé d'un roi qui n'a jamais été roi et ne le sera jamais ? »[3] On se félicite et on s’amuse en même temps de la naïveté du chroniqueur qui a encore le courage de se poser cette question. Marcela Iacub y a elle-même très clairement répondu dans le fameux « mail » au cours de l’audience du procès intenté par DSK à Marcela Iacub afin d’empêcher, vainement, la sortie du livre :

Cher Dominique,
Après tant de mensonges et d'esclandres, je me sens obligée maintenant de te dire la vérité. Je sais que tout ceci n'est pas très beau à entendre mais ma conscience me tourmente depuis presque un an. Je suis une personne honnête et je me suis laissée entraîner d'une manière un peu légère dans un projet te concernant auquel je n'aurais pas dû participer. Les gens avec lesquels j'ai travaillé m'ont un peu dégoûtée après coup parce qu'ils se sont servis de moi comme d'un instrument pour te nuire. Et ce n'est pas cela que je cherchais. Je te jure. Je ne voulais pas te nuire mais essayer de comprendre ce phénomène étrange que tu es. Mon livre sur ton affaire américaine, je l'ai écrit parce que ce sont eux qui me l'ont demandé. Le fait de chercher à te rencontrer était parti du même projet. Sans te dire tout le reste. Il m'a fallu te faire croire que j'étais éprise de toi, que j'étais folle de toi. Et puis que j'avais mon coeur meurtri, que j'étais jalouse et tout ce que tu sais.[4] 


Après avoir essuyé nos larmes, émus par tant de repentance, nous pouvons comprendre assez facilement ce qui a pu se passer dans la tête des Renaud Dély, Eric Aeschimann et consorts quand ils ont vu arriver la poule aux œufs d’or en la personne de la juriste argentine, ce qui a immédiatement donné lieu à l’équation suivante :

Soit,
x = un ex-présidentiable érotomane et égocentrique qui se prend pour le dieu de l’Olympe dès qu’un jupon est à proximité
y = une rusée intrigante qui a l’art de remaquiller une pauvre coucherie en une formidable histoire d’amour et de pouvoir, une rencontre entre Tristan et Iseult, Dallas et Catherine Millet
z = un magazine ringardisé et en perte de vitesse qui a diablement besoin de quelques ventes en plus et de remettre un peu de soufre dans le moteur.

Ce qui nous donne xy + z = scandale garanti et argent facile.




Comme dit la fable : « Maître Renard par l’odeur alléché… ». On pensera aussi à la superbe phrase de Léon Bloy dans Le désespéré : « Il voyait dans la littérature une appétissante glandée dont son âme de porc pouvait se réjouir. » En parlant de cochon… En fait de littérature, le livre pondu par Marcela Iacub ressemble plus à une version un peu plus politiquement sulfureuse du Fifty shades of Grey qui encombre encore à l’heure actuelle les devantures des libraires. Du porno soft vaguement teinté de scandale qui a de quoi faire délicieusement frémir le lectorat féminin du Nouvel Obs…L’excellent Eric Aeschimann a, sans le vouloir, d’ailleurs très bien résumé l’entreprise de Belle et bête 

 « Iacub est allée au bout de la tristesse du monde et nous en a rapporté un trésor : un éclat de réel. » Outrée que l’on puisse marcher sur ses plates-bandes, Christine Angot, papesse de l’autofiction, a amèrement regretté dans Le Monde que l’on puisse comparer son travail aux écrits de M. Iacub. Pour une fois, nous lui donnons raison. Marcela Iacub a tout simplement accouché d’un nouveau genre qui a déjà son pendant télévisuel et que nous baptiserons, non plus « autofiction », mais « littérature-réalité », un nouveau produit culturel certainement promis à un bel avenir.

       Pourtant Renaud Dély s’est défendu, sur l’antenne d’Europe 1, d’avoir voulu mêler scandale facile et exécution sommaire en publiant le livre de Iacub. Il plaide pour le respect de « la liberté d’expression », dénonce la « curée » et défend la valeur de « l’œuvre littéraire ». Voilà qui est amusant pour un directeur de rédaction qui avait fait du procès d’intention et de l’amalgame idéologique un fonds de commerce et qui s’inquiétait quelques mois auparavant de ce que la liberté d’expression pouvait permettre à tous ceux qui ne pensent pas juste de s’exprimer. Peut-être d’ailleurs qu’à force de traquer les néo-fachos et de se passionner pour l’extrême-droite, Renaud Dély a fini par reprendre quelques-uns de ses travers historiques en redonnant quelques couleurs à la tradition du lynchage médiatique qui avaient eu de plus tragiques résultats au cours des années trente. Hormis les moyens employés qui sont quelque peu similaires, on ne se hasardera pas évidemment à comparer DSK, personnage fort peu défendable, à l’infortuné Roger Salengro[5] qui avait fait tragiquement les frais d’une campagne de dénigrement lancée par le journal Gringoire dans les années 1930. Ce qui semble certain en revanche, c’est que le choix du Nouvel Obs de remuer une nouvelle fois la fange du scandale du Sofitel afin d’en tirer quelques substantiels bénéfices ravale en tout cas ce magazine au rang d’une minable feuille de choux à scandale. L’affaire a été certainement très profitable pour Renaud Dély et ses collaborateurs mais après ce brillant coup d’éclat, il semblera plus difficile de recevoir des leçons de morale et de démocratie de la part du Nouvel Obs ou de Libération, qui assument désormais sans complexe leur rôle de tabloïd. « Ce n’est pas du tout notre intention et ce n’est l’intérêt de personne de placer le débat sur le terrain de la morale », expliquait Renaud Dély à l’antenne d’Europe 1 le 27 février dernier. On ne contestera pas cette évidence au patron du Nouvel Obs. La seule chose qui manque encore au journal pour achever de devenir The Sun, ce sont les pin-ups. On est certain que Renaud Dély s’y emploie, toujours dans le respect de la liberté d’expression et de la littérature.

Encore un effort Renaud! Tu peux le faire!






[1] Cf. Histoire lausiaque. Palladius de Galatie et La fable mystique, de Michel de Certeau, Paris, Gallimard, 1982.
[2] Cf. JK Huysmans. Sainte Lydwine de Schiedam. Stock. Paris. 1901. http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k3718862 
[3] http://leplus.nouvelobs.com/contribution/787069-dsk-quand-marcela-iacub-poignarde-anne-sinclair-dans-le-dos-en-marge-de-son-livre.html
[4] http://www.slate.fr/france/68787/mail-marcela-iacub-dsk-belle-bete-livre-pas-interdit
[5] Après la publication, par l'Action française d'un article accusant Roger Salengro d'avoir déserté pendant la Première Guerre mondiale, le journal Gringoire avait lancé une véritable campagne de diffamation contre le ministre de l'Intérieur du Front populaire en 1936, l’acculant littéralement au suicide.

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