« Me voici donc seul sur la terre, n'ayant plus de frère, de
prochain, d'ami, de société que moi-même. »
Jean-Jacques Rousseau. Les rêveries du promeneur solitaire.
Première promenade.
(Petit épilogue des idiots à l'article en trois parties de Xavier Méra sur "le service public sexuel" de Marcela Iacub)
La
pathétique épopée de Dominique Strauss-Kahn, débutée dans la suite 2806 du
Sofitel de New-York le 14 mai 2011, aurait pu prendre des airs de tragédie
shakespearienne, mêlant pouvoir, sexe et déchéance, s’il se trouvait bien sûr
encore un Shakespeare pour lui prêter une forme littéraire. Mais nous n’avons
plus de Shakespeare pour cela. En France en 2013, il ne nous reste que des
Marcela Iacub pour s’employer à transformer cette triste fable en une autre
fable, tout aussi dérisoire : celle d’une opportuniste rusée qui a su au
bon moment employer et monnayer son talent pour l’intrigue afin de retranscrire
le sordide fait divers en une prétendue autofiction dont les morceaux de
bravoure sont tenus ensemble par les grosses ficelles du racolage.
Marcela Iacub a, nous dit-on, fort habilement transformé DSK en « cochon » et nous a révélé que ce cochon, qui cohabitait avec le politique, froid et calculateur, dans le costume du président du FMI, représente la part maudite mais aussi la vraie part de créativité et d’humanité de DSK. Nous sommes reconnaissants à Marcela Iacub d’une part de nous révéler cet aspect du personnage que nous ignorions certainement, après des mois de battage médiatique intense autour de l’affaire du Sofitel, et nous pouvons la remercier par ailleurs de nous dévoiler cette vérité incroyablement neuve que l’humanité tire de sa propre fange le sublime comme le dégoût. Il est toujours intéressant de voir des auteurs, réputés sulfureux bien sûr, ressortir le malheureux marquis de Sade ou le pauvre Georges Bataille de leur placard et faire semblant, pour les besoins de leur petit commerce, de redécouvrir la désacralisation du mal et la laïcisation de la perversion. En bonne épicière de la subversion institutionnalisée, Marcela Iacub tire de tout cela un brillant panégyrique en faveur de la partie fine, parangon de la créativité pour cette juriste habituée à naviguer dans les hautes sphères entre jet lag et Jet 27.
Pauvre Fourier
également que Marcela Iacub sort de son caveau utopiste pour nous vendre sa
version mondaine du phalanstère des plaisirs dans une tribune complaisamment
prêtée par Libération ! On peut toujours être pris d’une certaine
tendresse à la lecture des élucubrations du commis voyageur qui voulait
transformer les océans en limonade et les requins en animaux de compagnie, on
l’est moins en découvrant l’utopie grisâtre que nous propose Iacub avec son
« Service public sexuel », une sorte de meilleur des mondes de la
partie fine qui mélange allègrement communisme sexuel et arrivisme salingue et
sent le champagne frelaté et le foutre rance.
Pourtant – mais
comment s’en étonner ? – « l’œuvre » de Marcela Iacub a
bénéficié du fervent soutien du Nouvel Observateur et de Libération,
dont la rédaction, vexée sans doute d’avoir laissé filer le scoop après que L’Obs
ait publié en exclusivité le 21 février interview et « bonnes
feuilles » de Marcela Iacub, a renchéri avec une tribune dithyrambique de
trois pleines pages sur l’auteur de Belle et bête. On n’y est pas allé
de main-morte par ailleurs à L’Obs pour faire la promo de la belle, de la
bête et du cochon. « Elle a vécu une histoire intime qui a représenté pour
elle une expérience intellectuelle », confie, avec beaucoup d’humour sans
doute, Eric Aeschimann, chef des ventes au rayon lingerie fine du Nouvel
Observateur. « Marcela Iacub s’inscrit dans une tradition littéraire
de métaphore animalière qui va de Kafka à Truisme. » Le malheureux
Kafka qui aurait sans doute admis tous les procès plutôt que de se voir rattaché de force à une tradition
qui est plutôt celle du déballage et de l’exhibitionnisme mercantile. Mais au Nouvel
Obs, quand on sert la soupe on prend garde à ce qu’elle ait du goût et à ce
que les invités l’apprécient. Ce que ne manque pas de faire Marcela Iacub
d’ailleurs qui n’hésite pas à se présenter comme « une nonne qui tombe
amoureuse d’un cochon. Une nonne qui se détourne de la grandeur de l’amour
divin pour se vautrer dans les ordures. » Comme c’est beau ! Voilà
Marcela Iacub transformée par la grâce de la littérature en héroïne de
Palladius de Galatie[1]
ou en Lydwine de Schiedam[2] !
La différence étant que contrairement à ces dernières, Marcela Iacub n’a pas
entrepris de faire de son corps un tas d’immondice pour racheter l’humanité
pécheresse mais simplement de faire de l’ordure un commerce afin de faire du
fric. Chaque époque a ses priorités non ?
Lydwine de Schiedam
Un peu interloqué tout de même, un
chroniqueur de leplus.nouvelobs.com s’interroge d’ailleurs :
« A quoi bon ce livre ? A quoi bon ce récit ? A quoi bon s'en prendre
encore au corps privé d'un roi qui n'a jamais été roi et ne le sera jamais ? »[3]
On se félicite et on s’amuse en même temps de la naïveté du chroniqueur qui a
encore le courage de se poser cette question. Marcela Iacub y a elle-même très
clairement répondu dans le fameux « mail » au cours de l’audience du
procès intenté par DSK à Marcela Iacub afin d’empêcher, vainement, la sortie du
livre :
Cher Dominique,
Après tant de mensonges et d'esclandres, je me sens obligée
maintenant de te dire la vérité. Je sais que tout ceci n'est pas très beau à
entendre mais ma conscience me tourmente depuis presque un an. Je suis une
personne honnête et je me suis laissée entraîner d'une manière un peu légère
dans un projet te concernant auquel je n'aurais pas dû participer. Les gens
avec lesquels j'ai travaillé m'ont un peu dégoûtée après coup parce qu'ils se
sont servis de moi comme d'un instrument pour te nuire. Et ce n'est pas cela
que je cherchais. Je te jure. Je ne voulais pas te nuire mais essayer de comprendre
ce phénomène étrange que tu es. Mon
livre sur ton affaire américaine, je l'ai écrit parce que ce sont eux qui me
l'ont demandé. Le fait de chercher à te rencontrer était parti du même projet.
Sans te dire tout le reste. Il m'a fallu te faire croire que j'étais éprise de
toi, que j'étais folle de toi. Et puis que j'avais mon coeur meurtri, que
j'étais jalouse et tout ce que tu sais.[4]
Après avoir essuyé nos larmes, émus par tant de repentance, nous
pouvons comprendre assez facilement ce qui a pu se passer dans la tête des
Renaud Dély, Eric Aeschimann et consorts quand ils ont vu arriver la poule aux
œufs d’or en la personne de la juriste argentine, ce qui a immédiatement donné
lieu à l’équation suivante :
Soit,
x = un ex-présidentiable érotomane et égocentrique qui se prend pour
le dieu de l’Olympe dès qu’un jupon est à proximité
y = une rusée intrigante qui a l’art de remaquiller une pauvre
coucherie en une formidable histoire d’amour et de pouvoir, une rencontre entre
Tristan et Iseult, Dallas et Catherine Millet
z = un magazine ringardisé et en perte de vitesse qui a diablement
besoin de quelques ventes en plus et de remettre un peu de soufre dans le
moteur.
Comme dit la fable : « Maître Renard
par l’odeur alléché… ». On pensera aussi à la superbe phrase de Léon Bloy
dans Le désespéré : « Il voyait dans la littérature une
appétissante glandée dont son âme de porc pouvait se réjouir. » En parlant
de cochon… En fait de littérature, le livre pondu par Marcela Iacub ressemble
plus à une version un peu plus politiquement sulfureuse du Fifty shades of
Grey qui encombre encore à l’heure actuelle les devantures des libraires.
Du porno soft vaguement teinté de scandale qui a de quoi faire délicieusement
frémir le lectorat féminin du Nouvel Obs…L’excellent Eric Aeschimann a,
sans le vouloir, d’ailleurs très bien résumé l’entreprise de Belle et bête :
« Iacub est allée au bout
de la tristesse du monde et nous en a rapporté un trésor : un éclat de réel. »
Outrée que l’on puisse marcher sur ses plates-bandes, Christine Angot, papesse
de l’autofiction, a amèrement regretté dans Le Monde que l’on puisse
comparer son travail aux écrits de M. Iacub. Pour une fois, nous lui donnons
raison. Marcela Iacub a tout simplement accouché d’un nouveau genre qui a déjà
son pendant télévisuel et que nous baptiserons, non plus « autofiction »,
mais « littérature-réalité », un nouveau produit culturel
certainement promis à un bel avenir.
Pourtant Renaud Dély s’est défendu, sur
l’antenne d’Europe 1, d’avoir voulu mêler scandale facile et exécution sommaire
en publiant le livre de Iacub. Il plaide pour le respect de « la liberté
d’expression », dénonce la « curée » et défend la valeur de
« l’œuvre littéraire ». Voilà qui est amusant pour un directeur de
rédaction qui avait fait du procès d’intention et de l’amalgame idéologique un fonds
de commerce et qui s’inquiétait quelques mois auparavant de ce que la liberté d’expression
pouvait permettre à tous ceux qui ne pensent pas juste de s’exprimer. Peut-être
d’ailleurs qu’à force de traquer les néo-fachos
et de se passionner pour l’extrême-droite, Renaud Dély a fini par
reprendre quelques-uns de ses travers historiques en redonnant quelques
couleurs à la tradition du lynchage médiatique qui avaient eu de plus tragiques
résultats au cours des années trente. Hormis les moyens employés qui sont
quelque peu similaires, on ne se hasardera pas évidemment à comparer DSK, personnage
fort peu défendable, à l’infortuné Roger Salengro[5]
qui avait fait tragiquement les frais d’une campagne de dénigrement lancée par
le journal Gringoire dans les années 1930. Ce qui semble certain en
revanche, c’est que le choix du Nouvel Obs de remuer une nouvelle fois
la fange du scandale du Sofitel afin d’en tirer quelques substantiels bénéfices
ravale en tout cas ce magazine au rang d’une minable feuille de choux à
scandale. L’affaire a été certainement très profitable pour Renaud Dély et ses
collaborateurs mais après ce brillant coup d’éclat, il semblera plus difficile
de recevoir des leçons de morale et de démocratie de la part du Nouvel Obs
ou de Libération, qui assument désormais sans complexe leur rôle de
tabloïd. « Ce n’est pas du tout notre intention et ce n’est l’intérêt de
personne de placer le débat sur le terrain de la morale », expliquait Renaud
Dély à l’antenne d’Europe 1 le 27 février dernier. On ne contestera pas cette évidence
au patron du Nouvel Obs. La seule chose qui manque encore au journal
pour achever de devenir The Sun, ce sont les pin-ups. On est certain que
Renaud Dély s’y emploie, toujours dans le respect de la liberté d’expression et
de la littérature.
[1] Cf. Histoire
lausiaque. Palladius de Galatie et La fable mystique, de Michel de
Certeau, Paris, Gallimard, 1982.
[2] Cf. JK
Huysmans. Sainte Lydwine de Schiedam. Stock. Paris. 1901. http://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k3718862
[3] http://leplus.nouvelobs.com/contribution/787069-dsk-quand-marcela-iacub-poignarde-anne-sinclair-dans-le-dos-en-marge-de-son-livre.html
[4] http://www.slate.fr/france/68787/mail-marcela-iacub-dsk-belle-bete-livre-pas-interdit
[5] Après la publication, par l'Action française d'un article accusant Roger Salengro d'avoir déserté pendant la Première Guerre mondiale, le journal Gringoire avait lancé une véritable campagne de diffamation contre le ministre de l'Intérieur du Front populaire en 1936, l’acculant littéralement au suicide.
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