Dimanche 24 mars, 14h45, métro Sablons. On est accueilli dès la sortie
par les cris de ralliement de trois membres du service d’ordre de la
manifestation qui s’égosillent afin de faire emprunter aux voyageurs et
manifestants la sortie « Jardin d’acclimatation ». Le ton est
donné et l’atmosphère bien différente de celle du 13 janvier dernier. Si les
petits drapeaux et les T-shirts colorés sont toujours là, les chars et les
ballons roses se font plus discrets et la techno laisse place à une
marseillaise furibarde qui ne se prolonge cependant pas jusqu’au couplet fatal -
« Qu’un sang impur abreuve nos sillons… » - mais le cœur y est. L’ambiance
de kermesse festive n’est plus de mise, c’est la colère et la rancœur qui s’expriment
cette fois plus franchement.
Cette rancœur n’est toujours pas tournée
contre les homosexuels, quoiqu’en pense Jean-Pierre Michel (PS), rapporteur du
projet de loi Taubira au sénat, qui a refusé d’auditionner le collectif « Manif
pour tous » et accuse ses responsables d’être dans le « déni d’homophobie ». Non. La colère qui se manifeste plus visiblement ici vise justement les
Jean-Pierre Michel, leur morgue et leur crispation idéologique. Elle vise une
classe politique et médiatique psychorigide qui depuis quelques mois s’évertue
à faire passer bourrage de crâne et lobbying pour un « débat démocratique ». Les gens qui défilent ce 24 mars semblent afficher plus durement la lassitude
de se voir constamment méprisés, insultés et traités à la moindre occasion d’homophobes
et de haineux rétrogrades par une intelligentsia bien plus représentative
de la ploutocratie festive que de la moindre intelligence. Et surtout, bien plus qu'il y a deux mois, la colère des manifestants vise François Hollande, pour des motifs qu'on imagine sans peine plus nombreux que la simple opposition au mariage gay.
Les sourires sont encore sur les visages mais
une tension plane qui n’était certainement pas aussi présente lors de la
manifestation précédente. Les orateurs s’égosillent au micro et reprennent, la
voix déjà éraillée, des slogans qu’il est bien difficile de déchiffrer. Peu
importe d’ailleurs, la colère qu’ils expriment est, elle, parfaitement audible.
A presque 15h, un cortège impressionnant s’est déjà massé sur l’avenue Charles
de Gaulle et le service d’ordre peine à éviter que la manifestation ne déborde
sur les trottoirs. De minute en minute, la foule se fait plus compacte et
arrivé à la porte Maillot, le cortège n’avance plus, bloqué par l’engorgement. Au
micro, les organisateurs appellent, déjà avec un peu d’anxiété, au calme et au
respect de l’itinéraire du cortège. « Conservez votre enthousiasme mais
respectez scrupuleusement les consignes. Ne tentez pas de franchir les barrages,
c’est dangereux et illégal », répètent inlassablement les mégaphones. L’extrémité
de l’avenue Charles de Gaulle est devenue un goulet d’étranglement et si la
foule reste calme, quelques vieilles dames commencent à afficher un visage
plus anxieux à mesure que la densité humaine augmente et avec elle les risques
de bousculade. Certaines, et certains, jugent déjà plus prudent de rebrousser chemin.
Il vaut mieux dès lors s’éloigner un peu de la manifestation et rejoindre l’avenue
Malakoff par le square Parodi.
Le petit tertre qui domine le périphérique
permet aussi d’avoir une vue d’ensemble du cortège. Elle est
impressionnante. La porte Maillot est noire de monde et les manifestants
commencent à très largement déborder sur les rues adjacentes, formant autant
de cortèges secondaires qui empruntent l’avenue Malakoff et l’avenue Foch en criant des slogans et poussant des coups de sifflets stridents. La
manifestation semble bien difficile à contrôler dans ces conditions et la
stratégie dissimulée derrière le refus de la préfecture de police de laisser
les manifestants défiler sur l’avenue des Champs-Elysées apparaît plus
clairement. Puisqu’il n’est pas encore possible de purement et simplement
interdire ce type de démonstration du mécontentement populaire, les pouvoirs publics, en signifiant le plus
tardivement possible l'impossibilité d'emprunter l'avenue des Champs-Elysées aux organisateurs de la « manif
pour tous », ont sciemment cherché à compromettre le plus possible son organisation, sachant qu’il serait très difficile pour les organisateurs
qui attendaient une foule conséquente – et elle l’est – de réorganiser le
trajet dans un si court délai et dans de bonnes conditions. A vue d’œil, le
plan semble fonctionner. La méthode favorise déjà un comptage peu avantageux
pour les opposants au mariage pour tous, compte tenu de la dispersion d’une
partie des manifestants. Ce faisant néanmoins, la préfecture de police et le
ministère de l’intérieur ont créé des conditions de sécurité bien aléatoires pour un évènement d’une telle ampleur, au risque de créer de sérieux incidents.
Et les incidents, n’ont pas manqué. Une heure
à peine après le début du rassemblement, des manifestants ont tenté d’envahir
la place de l’Etoile qui leur était interdite par le dispositif policier. Des
échauffourées ont vite éclatées, suivies de tirs de gaz lacrymogène pour
disperser la foule. Quoiqu'en dise le directeur du cabinet du
préfet de Paris qui a évoqué « le comportement agressif des manifestants »,
faire tirer des gaz lacrymogène sur une foule composée en majorité de familles
avec un certain nombre d’enfants en bas âge ce n’est pas très bon pour les
sondages. Il aurait mieux valu renvoyer les Femen gazer tout ce petit monde à l’extincteur,
cela passe beaucoup mieux dans les médias…
Trois conclusions s’imposent
en tout cas à chaud après cette deuxième « Manif pour tous. » La
première, c’est que même en dépit d’une couverture médiatique très défavorable
(et c’est un euphémisme !), le rassemblement a peut-être, et contre toute
attente, été plus important que celui du 13 janvier. La deuxième c’est que la « manif
pour tous » s’est transformée ce 24 mars en véritable manif anti-Hollande.
Car les slogans spontanément repris, les conversations et l’amertume palpable
visaient cette fois bien plus directement le chef de l’Etat et dépassaient
largement le cadre du mariage gay. La troisième conclusion c’est que si l’on
considère la rigidité dogmatique et l’irresponsabilité des pouvoirs publics
dans la prise en charge d’une manifestation dont l’ampleur a systématiquement
été minimisée pour des raisons idéologiques, il est heureux que les « débordements »
n’aient pas été plus sévères. Cette fois, le dérapage est venu du gouvernement. Les vidéos de gosses en larmes et la photographie de Christine Boutin allongée par terre après avoir été
vraisemblablement malmenée dans la manifestation risquent de faire encore plus mal qu’une charge de CRS…
S'agit-il bien de Christine Boutin qui aurait été "gazée" par les CRS?
Un article pour tous également sur Causeur.fr
Un article pour tous également sur Causeur.fr
1 million et demi de manifestants, ça ne fait pas une majorité. Je pense que si d'un coup, le gouvernement faisait marche arrière et retirait sa loi pour le mariage, ce ne serait pas 1 million et demi mais 5 millions qui déambuleraient sur les Champs ...
RépondreSupprimerEt je suis pas sûr que le gazage aux lacrymos de Christine Boutin soulève de violentes indignations chez le peuple français ...
"intelligentsia bien plus représentative de la ploutocratie festive que de la moindre intelligence"
RépondreSupprimer=> Qui sont ces ploutocrates festifs selon vous ? Les gays qui défilent à la gay pride (ça y ressemble non ?) ?
Le pire c'est que dans votre article, vous essayez de ne pas mettre en avant le coté homophobe de la manifestation .. par contre pour vous c'est raté (mais j'imagine que c'est le but).
Je vous renvoie la mandale ...
Oulala mais ça fait très très mal ça comme mandale dites donc! Me voilà bien attrapé et l'on ne m'y reprendra plus!
RépondreSupprimerVous avez peut-être raison pour Christine Boutin mais à l'inverse 5 millions de manifestants sur les champs si la loi est retirée je suis assez sceptique. A moins que Zidane ne fasse son coming out ça me semble être un pari ambitieux...
A part ça pour la ploutocratie festive, qu'est-ce qui me vient en tête? Jetez un oeil là-dessus ça vous mettra sur la voie:
http://www.lepoint.fr/ces-gens-la/laurence-ferrari-animera-la-soiree-pro-mariage-pour-tous-de-pierre-berge-25-01-2013-1620152_264.php
Et puis la vie est trop courte pour discuter avec des gens qui n'ont pour tout argumentaire que le suffixe -phobe à la bouche. Ne perdons donc pas plus notre temps et l'un et l'autre.
Au revoir.
Pierre Bergé n'est qu'un porte voix des pro mariage pour tous parmi tant d'autres.
RépondreSupprimerTout comme l'est la chroniqueuse mondaine Frigide Barjot pour les anti,
qui d'ailleurs aurait toute sa place dans votre ploutocratie festive, vous ne croyez pas ?
Pour en savoir plus sur Frigide, défenseuse du bénitier, du dance floor et de l’extrême droite :
http://adieufrigidebarjot.blogspot.fr/2012/11/lesetranges-organisateurs-de-la-manif.html
Et je pense comme vous lorsque vous dîtes qu'« il est heureux que les « débordements » n’aient pas été plus sévères » quand on sait que la manif des anti mariage pour tous comptait dans ses rangs des groupuscules d’extrême droite du type GUD, Bloc Identitaire (on en parle pas dans votre article ?).
Si il n'y a pas eu de débordements importants en marge de la manif c'est parce que le gouvernement (et donc la police) savait qu'il n'y aurait pas que des familles avec serre tête et culotte courtes.
On est effectivement bien loin de l'"ambiance de kermesse festive".
Tout à fait d'accord en ce qui concerne Frigide Barjot. Elle fréquente le même monde que Pierre Bergé. Néanmoins, la soirée de ce dernier a rassemblé tout le gratin des pro-mariage pour tous: c'est à dire le gratin de la société parisianiste que Frigide Barjot connaît bien en effet. Le message envoyé à ce moment était seulement tellement limpide - "tous ceux qui osent questionner le bien fondé de la loi Taubira sont de pauvres ploucs sur lesquels nous crachont allègrement" - qu'on pouvait demander un peu plus de décence. C'est pourquoi d'ailleurs le ton de la manif pour tous du 24 semblait d'emblée si différent. Les pro-mariage ont beau avoir leurs arguments, ils les ont martelés avec un tel mépris et avec le secours d'un tel unanimisme médiatique que la lassitude et l'irritation suscitée était beaucoup plus palpable dans la manifestation du 24. La question que l'on est en droit de poser est la suivante: "en quoi le fait de s'interroger sur les conséquences de l'adoption par les couples homosexuels, sur celles qui suivraient éventuellement la PMA ou la GPA est-elle une manifestation d'homophobie?" Les partisans du mariage pour tous se camouflent derrière la question des droits ce qui leur permet de taxer d'homophobe toute position critique. Le fait que deux personnes de même sexe ne puissent accéder à la procréation n'est pas une discrimination, c'est une impossibilité biologique. Le fait que l'on veuille la modifier juridiquement (adoption), voire biologiquement (PMA, GPA) nous engage sur la voie d'une mutation anthropologique. Dans ce cas il faut envisager réellement et radicalement ses conséquences et arrêter de brandir de façon ridicule cette question du droit pour tous et pour tout comme seul argument (un enfant est donc bien un droit?). Pour ma part j'étais favorable à un aménagement civil du mariage qui offrirait la même protection patrimoniale aux deux époux, homos ou hétéros (c'est le cas aujourd'hui). Cela aurait pu aussi simplement passer par un aménagement du PACS. En revanche, je suis opposé à l'adoption, et plus encore à la pratique de la PMA et GPA dont je sais qu'elles vont s'imposer car elles vont devenir une véritable évidence marchande. Cela peut se discuter, on peut discuter des implications sociales, psychologiques et civilisationnelles de ces changements. Mais hurler à l'homophobie et à l'extrême-droite dès qu'on les évoque, cela révèle que malheureusement la cause homosexuelle est bien fagocitée par le militantisme borné des assos LGBT ce qui ne peut que certainement servir de terreau au développement de l'homophobie.
RépondreSupprimerJe trouve que l'article que vous mettez en lien est caractéristique de méthode d'assimilation et de dénonciation crapoteuses qui caractérisent le fonctionnement d'une frange idéologique de gauche progressiste qui pense être très subversive et qui a bien besoin au final de la droite pour exister et justifier sa propre existence. Frigide Barjot s'est convertie au catholicisme et fréquente des droitards, la belle affaire. Cela permet sans doute de traiter par le mépris toutes les critiques et toutes les interrogations vis-à-vis du mariage pour tous? Quant à la présence de groupes du GUD dans la manif, il y en avait sans doute oui. De la même manière, je me suis trouvé sur le parcours d'une des manifs pro-mariage pour tous organisée dans une grande ville de province. En queue de cortège, un bon paquet de skins rouges levant le poing contre les fachos et scannant la foule d'un air mauvais à la recherche d'un éventuel contradicteur. Chaque mouvement a ses radicaux à gérer...L'écrasante majorité des manifestants du 24 mars ne faisaient pas partie du GUD. L'écrasante majorité étaient certainement remontés contre F. Hollande mais n'étaient pas des gens vraiment politisés. Maintenant considérons le côté amusant de la chose: une mesure sociétale qui devait servir de paravent plus ou moins habile à une absence de volonté politique a cristallisé un mécontentement bien plus large et jeté encore une fois au moins un million de personnes dans la rue (je n'ai pas du tout l'impression d'exagérer en décrivant ce que j'ai vu ce dimanche), par deux fois, au cours de la première année de mandat de F. Hollande. Voilà un épiphénomène devenu le puissant révélateur d'un malaise qui dépasse bien largement le mariage pour tous.
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