La réflexion sur le pouvoir a bien sûr été
symboliquement placée au centre des premiers gestes et des premières réflexions
proposées par le nouveau pape. Le choix même de son patronyme l’illustre même
au-delà de tout. François, défenseur de la pauvreté évangélique bien sûr, qui
vaut à ce nouveau pontife des villas miseras de Buenos Aires le surnom
médiatique de « pape des pauvres ». Mais aussi François, celui qui a
choisi de renoncer, au XIIIe siècle, tout d’abord à ses rêves d’aventures
militaires puis à ses biens matériels afin de fonder l’ordre des franciscains, qu’il
abandonnera ensuite à son compagnon Pierre de Catane pour pouvoir entrer
dans le recueillement. Quel plus bel hommage à son prédécesseur aurait pu
choisir de formuler François le nouvel arrivé à Benoit XVI, celui qui a décidé
de renoncer au pouvoir et aux responsabilités qu’il impose pour laisser la
place à un autre ?
L’élection du nouveau pape a donné lieu bien sûr aux manifestations
habituelles d’anticléricalisme primaire couronnées par les stupides, une fois de plus,
frasques des Femen, spécialistes de la provocation calibrée et topless. Cette élection cependant a donné lieu
également, a un déluge, encore plus important encore, de niaiserie médiatique,
elle aussi très calibrée. Dans un monde livré au règne constant du spectacle,
il est évident que toute autorité devient elle-même un objet de spectacle. Celui-ci n’a
cependant pas grand-chose à voir avec la grandeur d’apparat et l’illusion nécessaire entretenue par tout
pouvoir dont parle Blaise Pascal. Le pape François a été intronisé immédiatement
par le cirque médiatique « pape des pauvres », « prélat des
bidonvilles », chantre de la tolérance universelle et grand bisounours ecclésiastique.
Il importe pour beaucoup que le nouveau pape François soit un progressiste, ou
du moins le devienne, s’il ne l’était pas avant. L’ère Ratzinger et le discours
de Ratisbonne sont encore, on le sent, douloureusement présents dans les
mémoires et le grand cirque exige désormais un pape qui rassemble, un pape qui
bouscule la hiérarchie du Vatican mais un pape consensuel aux yeux de l’autre
hiérarchie: la Très Sainte Eglise d’Ilfautvivreavecsontemps et de la
Modernité libérée. Le choix du patronyme du fondateur de l’ordre des Frères
Mineurs par José Mario Bergoglio devrait pourtant inciter à la prudence ceux
qui se réjouiraient d’avoir trouvé un deuxième François le Normal dans le
nouveau pontife. Saint-François d’Assise a en effet abandonné ses biens et
vendu le commerce de son père pour « réparer son Eglise en ruine. »
Assigné en justice par son propre géniteur, il s’est dépouillé de tous ses
biens, jusqu’à ses vêtements, forçant l’évêque d’Assise a venir recouvrir sa
nudité de sa cape.
Ainsi,
le choix de François est-il un hommage à celui qui a su abandonner le pouvoir
pour revenir à la simplicité du recueillement mais c’est aussi la
reconnaissance d’une lourde responsabilité, « réparer l’Eglise en ruine. »
En se revêtant de la cape du pontife, José Bergoglio devenu François a
peut-être eu soin de mettre en avant un idéal de simplicité évangélique mais il
endosse aussi la lourde responsabilité de bâtisseur – ou de rebâtisseur - qui est celle de l’apôtre Pierre. La tradition
jésuitique, son exigence spirituelle tout autant que sa finesse politique,
semble déjà à l’œuvre en ce début de pontificat à travers le choix de la seule citation qui
illumine l’homélie de François qui est un simple mais très clair rappel de la réalité du
mal :
« Celui qui ne prie pas le
Seigneur, prie le diable. »
Une telle phrase à elle
seule dénonce l’irresponsabilité goguenarde, la neutralité bienveillante et le
matérialisme nonchalant qui forment le pain quotidien de nos sociétés jouisseuses, dans
lesquelles la satisfaction de tous les désirs est une religion et le cynisme
une liturgie. Cette petite phrase dit très simplement, aux chrétiens comme à
tous les autres, qu’il n’y a pas d’entre-deux, que l’on ne peut prétendre se
prémunir du mal en ne servant que soi et que la neutralité, une sorte de zone
grise entre le bien et le mal protégée par le mirage de notre liberté absolue,
n’existe pas. Par cette simple phrase, François a peut-être déjà répondu aux
accusations portées contre José Bergoglio. Nos actes ont toujours des
conséquences potentiellement terrifiantes et imprévues et si les sociétés dans
lequel nous vivons, du moins de ce côté-ci de la planète, s’efforcent le plus possible
de nous maintenir dans l’assurance réconfortante que nous sommes simples spectateurs, l’existence
se charge toujours de nous rappeler à un moment ou à un autre le rôle insignifiant et terrible qui nous est réservé.
[1]
Jacques MARITAIN. « De la guerre sainte. » N.R.F. Juillet 1937. p.21. Maritain réutilise ici une citation de Paul Claudel, tirée du Soulier de Satin, pour dénoncer le soutien accordé par l’Eglise et des catholiques aux franquistes. En réaction aux exactions perpétrées contre des religieux par des groupes anarchistes (les fameux « déterreurs de Carmélites ») proche du Frente Popular, Claudel avait applaudi la tentative de coup d’Etat et la rébellion franquiste et avait rendu hommage « Aux martyrs d’Espagne » dans le poème du même nom oublié dans L’Aube en 1937. Maritain retourne en citant Claudel l’argument que l’auteur du Soulier de Satin avançait pour justifier la « Guerre Sainte » des franquistes. Pour Maritain, le Christ ne grandit pas à l’ombre de l’épée. Prenant connaissance de la réponse de Maritain, Claudel concluera : « Depuis longtemps, le doux Maritain me galope sur le système. Voilà où conduit le snobisme, le goût de la réclame, le mauvais français et les sympathies surréalistes. » [Gérald Antoine. Paul Claudel ou l’enfer du génie. Paris Robert Laffont. 1988. p. 284]
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