Comment un Service Public Sexuel
gratuit fonctionnerait-il réellement si le gouvernement s'inspirait des
« idées si socialistes, si généreuses » -dixit
Marcela Iacub- de
Charles Fourier sur la
« solidarité sexuelle socialement organisée »? Si le
plan Iacub devait être pris au pied de la lettre, on aurait de facto
affaire à une interdiction de la prostitution (c'est-à-dire à l'inverse de ce
qu'elle a prôné par
ailleurs). En effet, non seulement l'exercice de la profession dans le
secteur privé serait interdit mais l'exercice dans le secteur public aussi
puisque les « prostitués » n'y seraient pas payés. Et si les ébats
n'étaient pas tarifés, il ne s'agirait pas à proprement parler de prostitution.
Ce n'est pas qu'une question de sémantique : le service public serait une
coquille vide car seuls quelques nymphomanes statolâtres viendraient offrir
leur service.
En effet, la prohibition revient à
imposer un prix maximum nul aux transactions. S'il est une chose connue en
économie, c'est que des prix maximums fixés en dessous des prix d'équilibre
provoquent des pénuries. A un prix nul, la demande de service est aussi haute
que les désirs insatisfaits le rendent possible et l'offre est au plus bas.
Bref, la pénurie est au plus haut. Iacub ne l'a peut-être pas remarqué mais en
ce qui concerne son service public de référence, le don du sang, on nous
rappelle régulièrement dans les médias
que les donateurs manquent. Sachant d'une part que le « don de soi »
impliqué dans ce cas est certainement perçu par la plupart des gens comme moins
coûteux psychologiquement et plus valorisant que de coucher gratuitement avec
n'importe quel inconnu et, d'autre part, que la demande de sang est normalement
limitée aux cas d'hospitalisations et de traitements médicaux requérant des
transfusions, la pénurie devrait être permanente et bien plus forte dans le
cadre du service public sexuel.
La demande insatisfaite de
services sexuels dont se préoccupe Iacub ne serait donc pas palliée du tout
mais plus frustrée qu'aujourd'hui. Elle ne le serait pas complètement cependant
puisqu'à moins de condamner les contrevenants à la peine de mort et/ou
d'embaucher une grande partie de la population dans une police dédiée, une
offre illégale subsisterait, comme la théorie et l'expérience des prix maximums
légaux le montrent. Mais l'offre serait inférieure, les professionnels
n'acceptant de travailler qu'à la condition de toucher une prime de risque
légal. La rareté serait donc accrue, les prix plus élevés et/ou le service de
moindre qualité. Les conditions de travail des professionnels seraient aussi
sordides que la nécessité de se cacher et de fréquenter les spécialistes des
activités illégales, tenant d'habitude les lieux clandestins de prostitution,
l'exige (il faut se rappeler par exemple que la mainmise des mafias sur
l'industrie de l'alcool aux États-Unis n'est apparue et a disparu qu'avec le
régime prohibitionniste). Cet état de fait existe bien sûr déjà dans une
certaine mesure, du fait des restrictions légales existantes.
Si on devait prendre au
sérieux la proposition du service public sexuel donc, il faudrait reconnaître
les implications du fait que Fourier divaguait et que le service public pas
plus que le phalanstère n'attirerait des travailleurs s'ils ne sont pas payés.
L’État devrait ainsi être proxénète et payer des prostitués pour remplir sa
« mission de service public ». Cependant, à moins de mobiliser une
quantité délirante de ressources, il y aurait toujours pénurie puisque la
demande légale serait gonflée à bloc par la gratuité décrétée. Les citoyens
auraient alors droit à une bonne dose de paperasse administrative et à des
tickets de rationnement ou autres dispositifs équivalents leur permettant occasionnellement
de jouir de leur « acquis social ». La pénurie et le processus
d'attribution des tickets seraient l'occasion pour les administrateurs du
système d'arrondir leurs fins de mois grâce aux usagers prêts à payer pour
passer devant les autres dans la file d'attente.
Les autres usagers n'étant pas
des clients à choyer mais une source d'embarras étant donné l'incapacité du
service public à satisfaire la totalité de la demande, ils seraient traités
comme telle. D'autant que le caractère monopolistique et le financement complet
du service public par les contribuables garantiraient que plus personne parmi
les prestataires ou administrateurs ne serait financièrement affecté s'il
maltraitait les usagers. Sujets comme tout le monde à la désutilité du travail
mais dans la position de facturer les prestations à des tiers sans leur
consentement, il s'agirait d'en faire le moins possible en faveur des
« ayant droits ». Autrement dit, pour une allocation des ressources
données, la qualité et/ou la quantité de la production des
prostitués-fonctionnaires seraient moindres. Étant donné l'absence de sanction
financière de la part de consommateurs (sauf cas de corruption impliquant les
usagers), les compétences requises pour améliorer sa situation et ses revenus
en tant qu'employé du service public seraient plutôt une habileté à écraser ses
collègues dans les intrigues de bureau et à rendre service aux personnes
qui comptent dans la hiérarchie.
Pour en terminer avec notre liste
non exhaustive de conséquences du service sexuel public, si certains
bénéficieraient bien d'effets redistributifs en tant que producteurs ou
consommateurs (la minorité d'usagers qui obtiendraient effectivement ce qu'ils
voulaient à moindre frais), l'allocation des ressources serait de toute façon
arbitraire du point de vue de la plupart des membres de la société en tant que
consommateurs. Car sans l'aiguillon des pertes et profits qu'ils infligent aux
entrepreneurs dans un cadre marchand, ils n’auraient pas moyen de sanctionner
l'allocation des ressources en fonction de ce qu'ils considèrent être leurs
besoins les plus urgents, qu'il s'agisse de logement, de soins de santé, de
services sexuels ou de cours de violons. (cf. Mises, L'action
humaine, pp. 337-342) Même si les gouvernants en charge de décider des
budgets à allouer au service public du sexe -et ses administrateurs en charge
de décider de ce qu'on en fait précisément- n'étaient intéressés que par le
bien-être de leurs administrés, ils n'auraient pas moyen de savoir si, de leur
point de vue, ils produiraient trop ou pas assez dudit service public et
mobiliseraient en conséquence trop ou pas assez de ressources rares pouvant
être employées à la production d'autres biens et services plus ou moins
urgents.
Contrairement à ce que suggère
Marcela Iacub, l'instauration d'une prohibition de la prostitution privée et la
création d'un service public sexuel de substitution ne feraient pas figure
« d'antidépresseur » dans ces temps de crise économique. Elles
constitueraient au contraire un facteur d'appauvrissement et une source de
conflits supplémentaires. Ce que l'analyse économique permet ainsi de prédire
quant à l'instauration d'un tel service public n'est pas simplement son
efficacité pour le moins douteuse à réduire la misère sexuelle qui préoccupe
tant Marcela Iacub (si tant est que la prostitution pourrait la réduire,
hypothèse psychologique pas tout à fait évidente). C'est surtout que
l'organisation de la production en service public elle-même, quels que soient
les biens et services concernés, est un facteur d'appauvrissement relatif des
masses au seul bénéfice d'une minorité de privilégiés.
Xavier Méra
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire