La semaine dernière l'actualité est
devenue dadaïste. En cause? "La ténébreuse affaire de Tree, le plug
anal de la place Vendôme", comme le titrait le Monde le 19 octobre.
L'affaire a débuté il y a quelques jours avec la mise en place d'une
installation d'art contemporain sur la très chic place Vendôme et elle a pris
en un peu plus de vingt-quatre heures un tour fascinant en rassemblant tous les
ingrédients qui font les bons thrillers politiques : subversion,
mystérieux attentat, campagne de presse passionnée et liberté d'expression
menacée. "Un plug anal géant place Vendôme? La
structure gonflable de Paul McCarthy déclenche des débats passionnés." le
lecteur un peu abasourdi hésitait à conclure qu'il venait de pénétrer dans la
4e dimension en découvrant cette information capitale. Au dire de son concepteur, l'artiste américain Paul
Mc Carthy, Tree avait à la fois la forme d'un sapin de Noël stylisé, un peu comme ceux
qu'on accroche au rétroviseur pour que ça sente bon dans la voiture, et celle
d'un plug anal, un jouet sexuel que l'on a moins l'habitude d'accrocher à son
rétroviseur et encore moins de voir exposé dans une version monumentale, faisant de l'ombre à Napoléon sur la colonne
Vendôme. Pour le concepteur de l'oeuvre, le godemichet pharaonique avait pour
fonction de questionner, dans son verdoyant gigantisme, "les failles de
notre société". Quelles que soient les fissures douloureuses que l'objet
ait eu pour fonction d'évoquer, ce dispositif introspectif à grande échelle n'a
pas suscité l'adhésion du grand public, une fois de plus peu décidé à suivre
les maîtres de l'avant-garde sur le sentier tortueux de la conception
contemporaine, de "merda d'artista" au buttplug géant. Peu après
l'inauguration de l'oeuvre, Paul Mc Carthy a été agressé par un buttplugophobe qui lui a collé son poing dans la figure.
Le fâcheux, peu sensible à la poésie
fondementale du gratte-derrière de Noël, n’a pas eu
le
sens de l'à-propos: un vigoureux coup de pied au cul aurait constitué un
hommage plus vibrant à l'oeuvre de Mc Carthy et un clin d'oeil espiègle à la
merveilleuse punchline du groupe Cypress Hill: "When
my boot stuck in that ass like a dildo".
L'affaire du plug anal de la discorde a pris à partir de ce
moment des proportions en rapport avec la démesure de l'installation. Dans la
nuit du 18 au 19 octobre, une troupe de vandales, sans doute fâchés que l'on
ait préféré les courbes rondes et sensuelles du sapin fessier aux lignes droites et épurées du pal pour célébrer la tradition
occulte d'insertion d'objets dans le derrière, ont dégonflé le plug anal géant
de Paul Mc Carthy qui s'est affaissé sur le sol plus lamentablement qu'une
statue de Saddam Hussein déboulonnée par un char américain à Bagdad.
Immédiatement, les leaders politiques ont réagi et les téléscripteurs du monde entier ont vrombi. "Paris ne cédera
pas aux menaces de ceux qui, en s'en prenant a un artiste ou a une oeuvre, s'en
prennent a la liberté artistique", a déclaré Anne Hidalgo, avec des
trémolos gaulliens dans la voix. "C'est une atteinte insupportable à la
liberté de création", a renchéri Fleur Pellerin, tandis que François Hollande affirmait soutenir l'artiste et son plug anal, « restant aux côtés de Paul Mc Carthy qui a finalement été
souillé dans son œuvre », sans
que l’on sache trop ce qu’il sous-entendait exactement là. Arnaud de
Montebourg est resté muet pour le moment. L'ancien ministre
du Redressement Productif aura sans doute été trop déprimé par les images désolantes
du dégonflement criminel pour réagir.
Les auteurs du pluganalicide sont aujourd'hui activement recherchés mais les indices sont
plutôt maigres, comme dirait le commissaire Bougret. Interpol et tous les services de renseignements sont sur
les dents et Barack Obama, choqué lui aussi par cet acte barbare, aurait
proposé au président français de bombarder préventivement les locaux du
Printemps Français, dont les représentants se sont réjouis mesquinement du coup
de main contre le plug anal, mais il se serait lui aussi dégonflé à la dernière
minute. Une piste a toutefois été négligée par les services de police. En
effet, d'après le journal 20Minutes,
Valérie Trierweiler, au cours d’une soirée un peu trop arrosée au Banana
Café, aurait agressée violemment l'une des
convives en s'adressant à elle dans les termes suivants : «Je vais te détruire,
toi et ton gros porc de Sapin! » La déclaration pourrait bien mettre les
enquêteurs sur la piste d'une conspiration occulte qui aurait l'envergure d'un
buttplugate menaçant les fondements de l'Etat français. On serre les fesses en
attendant d'en savoir plus.
Valérie Trierweiler au Banana Café, deux jours avant la tragédie du plug.
Malgré tout,
les défenseurs de l'art et de la subversion ont tort de se lamenter. Car
l'affaire du sapin anal a repoussé les limites de l'absurde et ressuscité les
grandes heures du dadaïsme. Les vandales responsables de la destruction de
Tree sont, tout autant que Paul Mc
Carthy, les auteurs
de cette magnifique oeuvre d'agitprop virale qui s'est déployée dans tous les
médias à la vitesse d'un transit intestinal facilité par une ingestion massive
de céréales aux fibres. Le plug était banal jusqu'à ce qu'il soit détruit, c’est en s’affaissant, victime du coup de canif fatal, qu’il est devenu
une véritable œuvre d’art, suscitant l’empilement absurde et réjouissant
d’analyses, de réactions, de commentaires, de reportages auxquels cet article
apporte sa modeste contribution. Jusqu’à présent, on pouvait dire que Paul Mc
Carthy avait mené la terne carrière d’un artiste adoubé par le marché de l’art
après avoir pris en marche le train de la transgression pipicaca en se peignant
le corps de mayonnaise et de ketchup et en concevant des étrons gonflables.
Rien de bien nouveau en somme sous le soleil pâlissant de l’art contemporain.
Son Tree-plug de la place Vendôme correspondait parfaitement aux
critères établis par l’institutionnalisation du ready-made, sacralisant
le geste original de l’avant-garde qui détournait ironiquement l’entreprise de
muséification de l’art. Tree, avant sa chute finale, incarnait
parfaitement cette contradiction de l’avant-gardisme contemporain qui définit
la démarche subversive comme une sorte de pédagogie d’intérêt général purement
institutionnelle.
On peut s’insurger contre le démontage sauvage de « l’œuvre » de
Paul Mc Carthy. Celle-ci, obligatoirement « dérangeante », était
surtout d’une pauvreté conceptuelle désolante, empruntant des sentiers mille
fois rebattus. Son démontage lui a donné une autre dimension dont l’artiste
devrait aujourd’hui se réjouir. Après tout, c’est à travers le petit scandale
provoqué par ce dégonflage que Paul Mc Carthy atteint le but que sa pochade
anale avait manqué : « montrer les failles de la société »,
slogan tellement ressassé par bien d’autres avant lui qu’il avait perdu la
signification que les réactions imprévisibles du public lui ont rendue. Il est
difficile après tout d’imposer dans l’espace public une sorte d’art de la
provocation instituée et de s’étonner ensuite que ce même public mis devant le
fait accompli fasse preuve de mauvais esprit, de même qu’il y a un certain
ridicule à vouloir choquer l’opinion en lui mettant sous les yeux le produit
des cogitations de provocateurs qui sont restés bloqués au stade anal depuis
trente ans, pour se lamenter ensuite d’avoir enfin réussi à provoquer.
Un chroniqueur commentant l’affaire s’étonnait avec humour que les
« réactionnaires » se réjouissant de l’abattage de Tree soient
majoritairement au courant de ce qu’est un plug anal. Grande découverte !
Le monde de l’art contemporain se rendrait-il soudain compte qu’internet existe
et qu’il a contribué à tristement ringardiser les saillies faussement audacieuses
de Paul Mc Carthy et des multiples
clones qui œuvrent dans le même registre ? Tree échappe aujourd’hui
à son créateur et quitte le pauvre domaine de la provocation de service public.
L’œuvre a accédé au statut de running joke qui fait le tour du monde,
répliquée et détournée à l’infini. Dans son ouvrage sur L’œuvre d’art à
l’époque de sa reproductibilité technique, Walter Benjamin constatait que
la possibilité de reproduire l’œuvre d’art à l’infini la prive de son statut
sacré en la sérialisant. La performance artistique lui a conféré une nouvelle
forme de sacralité, puissamment légitimée aujourd’hui par
l’institutionnalisation du marché de l’art. Contre-performance aussi grotesque
que l’installation de Mc Carthy elle-même, l’acte de vandalisme perpétré sur Tree
lui permet d’échapper à la triste fétichisation marchande et à dépasser les
limites étroites et consensuelles de la provocation institutionnelle grâce à ce
détournement sauvage et involontaire. Grâce au miroir déformant des médias de
masse, Tree connaît un destin nouveau et inattendu. Paul Mc Carthy
devrait se réjouir : pour la première fois dans sa carrière, il a réussi à
dépasser le stade anal.
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