Manifestation du 5 octobre. Site de LMPT
Et pourtant tout un chacun
devrait savoir que quand un ministre déclare solennellement son attachement ou
son opposition à tel ou tel principe la main sur le cœur, c’est à ce moment
qu’il faut se méfier le plus. Surtout
si l’on considère que la loi Taubira sur le « mariage pour tous »
consistait avant tout en un replâtrage juridique dont la condamnation de la
France par la Cour Européenne des Droits de l’Homme, le 26 juin dernier, a
représenté une nouvelle étape. Le mariage pour tous n’a jamais complètement
réglé la question qui est depuis le début au centre des débats: la filiation doit-elle
rester attachée au couple biologique ou doit-elle devenir l’effet d’une volonté ?
La France n’a en rien
cherché à contester la condamnation
de la CEDH alors qu’elle avait jusqu’au 26 septembre pour le faire. Elle
s’est contentée d’avaliser la décision et a consenti à reconnaître la filiation
de l’enfant conçu par GPA en Californie. Il faut dire que la pression s’accroît
sur la France qui est loin d’être le seul Etat à faire face à cette situation.
Après quelques pas de valse hésitants, l’Espagne, dont les tribunaux avaient
déjà accédé à la requête d’un couple d’hommes souhaitant adopter un enfant
conçu grâce à la GPA en Californie, a finalement admis la possibilité d’inscrire
à nouveau des enfants nés sous GPA à l’Etat civil. La question se pose
également sérieusement aujourd’hui en Suisse
et montre que la condamnation de la France par la CEDH a des répercutions très
rapides sur le plan international et que les groupes de pression et la logique
économique forcent aujourd’hui aisément la main au législateur.
Cela fait longtemps en
effet que les tribunaux californiens ont légiféré sur la question, avec
l’affaire de Bébé M
en 1987, qui ouvrait la voie à un vaste ensemble d’évolutions juridiques et
sociales parmi lesquelles la possibilité d’admettre que la filiation peut
désormais découler d’un simple accord contractuel assorti aux possibilités
techniques de procréation artificielle. Dans les faits, un tribunal californien
peut aujourd’hui autoriser la reconnaissance de filiation dans le cas d’un
couple ayant eu recours à la GPA pour concevoir un enfant. Si ce couple revient
aujourd’hui en France, l’enfant, dans l’éventualité où il est né d’un parent
français, se verra reconnaître la nationalité française. La mère qui n’a pas
porté l’enfant, ou l’un des conjoints dans le cas d’un couple homosexuel, devra
produire le jugement du tribunal américain afin de prouver la filiation établie
juridiquement. Si toutefois le père biologique de l’enfant vient à décéder, le
lien naturel ne sera plus reconnu, puisqu’il n’existe pas biologiquement. La
CEDH a donc statué « en faveur du droit de l’enfant », c’est-à dire
de l’intérêt de celui-ci à se voir reconnaître cette filiation, au détriment toutefois
des principes généraux du droit. La décision constitue également une victoire
de l’intérêt privé sur l’intérêt général et s’apparente à une uniformisation progressive des
normes juridiques sur le plan international en faveur du régime de la common
law anglo-saxonne au détriment de la tradition romano-civiliste.
Il suffit désormais pour un couple de se rendre au Royaume-Uni ou en Californie
afin de concevoir un enfant par le biais de la GPA ou de la PMA pour ensuite
faire reconnaître la filiation sur le sol français en sollicitant
éventuellement l’intervention de la CEDH et en insistant médiatiquement sur la
valeur symbolique de ce combat.
Dans ce domaine, les
associations et lobbies de défense des droits des couples homosexuels ont
acquis un professionnalisme certain.
L’association « All out » a fait une apparition médiatique remarquée à
l’occasion d’une contre-manifestation dimanche, qui n’a pourtant rassemblé que quelques
centaines d’opposants place de la République, pour protester contre la Manif
Pour Tous et « célébrer la diversité de toutes les familles ». Ce collectif,
émanation d’une ONG fondée en 2010 à New-York par Jérémy Heimans, créateur de
l’organisation cybermilitante Avaaz,
est en effet bien plus efficace dans le domaine du lobbying médiatique que dans
l’action de rue. Appuyée sur Purpose Action, une ONG qui se définit
comme « une organisation caritative de statut américain 501(c)(3)
consacrée à l’éducation et au changement des mentalités et (…) une organisation
de statut 501(c)(4) consacrée aux campagnes politiques », All Out peut
compter sur des soutiens puissants au niveau européen. Celui du Sigrid Rausing Trust,
association philanthropique et think tank britannique, ou encore de la
fondation Ford ou du Fonds d’Action Gill.
Ces différents groupes de défense des homosexuels participent également avec
beaucoup de succès à l’adaptation sur le plan international les différentes
formes de droits nationaux aux revendications associant progressisme sociétal
et libéralisation économique. Guillaume Bonnet, ancien de l’ESSEC et de Médecin
sans Frontières, qui coordonne les actions de All Out pour la France, ne fait
pas mystère de ses ambitions en ce qui concerne la GPA et la PMA :
« Je ne comprends pas que le Premier ministre exprime le refus d’une
revendication qui participe d’une grande générosité. Si elles sont encadrées
par l’Etat, la GPA et la PMA ne seront pas à la merci d’une
commercialisation. » (20 Minutes. 6 octobre). Comme le rappelle le
magasine Têtu,
le simplisme qui pouvait être reproché à All Out à ses débuts en France « est
devenu une force pédagogique pour expliquer des sujets complexes au grand
public. » Par pédagogie, il faut comprendre la capacité à faciliter un
glissement sémantique assez peu subtil : au moment des manifestations
contre la loi Taubira, l’opposition au « Mariage pour tous » était
systématiquement associée à l’homophobie, aujourd’hui c’est le fait de refuser
la légalisation de la GPA qui expose à cette accusation.
"Une audience du théâtre des folies politiques".
Jean Ignace Isidore Gérard dit J.J. Grandville et Julien.
La Caricature. 21 mars 1833. Lithographie, 23,5x29cm. Traits de justice.
La condamnation de la CEDH
montre au passage que, dans bien d’autres domaines, toutes les décisions prises
en vertu de la loi française sont désormais soumises à l’aval de la puissante
cour de justice européenne comme l’a montré encore très récemment la
validation, du bout des lèvres, par les juges européens, de l’interdiction du
port du voile intégral en France dans les lieux publics. Le pouvoir exorbitant
de la CEDH répond à la tentation d’imposer, au nom des droits de l’homme, une
normativité juridique et culturelle qui fait fi de toutes différences
culturelles au nom du principe d’égalité. Celui-ci devient un dogme
s’appliquant peu à peu à tous les domaines et à tous les aspects de l’existence
et justifie l’impossibilité complète de s’opposer à une logique de
marchandisation qui s’applique aussi à la manufacture du vivant. Comme le
rappelle d’ailleurs, avec une logique impeccable, un collaborateur de Contrepoints¸
les partisans de « la diversité des familles » et de la GPA sont les
avocats de l’application des règles du marché libre au corps humain, une
logique à laquelle les représentants de la « France
rassie », qui « tremble de passer à la moulinette de l’histoire
et de la modernité », n’a plus aucune chance de s’opposer. D’ailleurs, les
écologistes eux-mêmes s’offusquent qu’un José Bové ou un Noël Mamère expriment
leur scepticisme vis-à-vis de toutes ses merveilleuses avancées du progrès.
Après tout, c’est bien un député écolo qui avait dégainé
le premier en proposant de transcrire dans l'état civil français l'acte de
naissance d'un enfant "établi par une autorité étrangère dont le droit
national autorise la gestation ou la maternité pour autrui". Il est vrai
que les Verts et EELV semblent avoir décidément abandonné toute cohérence sur
la question, à l’image de Jean-Vincent Placé qui s’empêtre tout seul dans ses
« connotations de la seconde guerre mondiale » à force de vouloir
faire de la démagogie pour tous à tout propos. C’est toujours plus facile de
ressasser éternellement les heures les plus sombres de notre histoire que
d’essayer d’entrevoir celles que nous prépare l’avenir.
Un article adopté par Causeur
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