Le combat pour l’égalité ne connaît ni repos ni limite. Quand il
s’agit de traquer les stéréotypes sexués et autres marques de discrimination,
nul ne peut se prétendre au-dessus de tout soupçon, pas même les auteurs de
manuels scolaires. Surtout pas eux, devrait-on dire, car l’école, de tous les
champs de bataille de l’égalitarisme, est bien le plus crucial. C’est ce
qu’observaient en 2011 les auteurs d’un livret de quarante-huit pages, intitulé
La représentation des femmes dans les manuels d’histoire, destiné aux
proviseurs et professeurs d’Île-de-France : « Le manuel scolaire constitue
un instrument d’influence s’adressant à des esprits jeunes et dont
l’utilisation par les écoliers est fréquente. Alors qu’ils pourraient être des
outils de transmission d’une culture de l’égalité, les manuels scolaires
semblent échouer dans cette entreprise. »
Pauvres profs ! Déjà tenus pour responsables par une partie de
l’opinion publique de toutes les dérives de l’Éducation nationale, il faut
encore qu’ils subissent jusque dans leur casier les rappels à l’ordre doucereux
des prédicateurs infatigables de la religion sociétalo-progressiste. La
tonalité employée par les croisés de la lutte contre le sexisme dans les
manuels ne prête pas franchement à rire : « Toutes les disciplines seront
passées au crible car les livres dans lesquels nos élèves étudient devraient
être un vecteur fondamental de transmission d’une culture de l’égalité. »
La chasse aux stéréotypes sexués est donc ouverte, et la traque sera, qu’on se
le dise, impitoyable, car c’est « dès le plus jeune âge que les stéréotypes
doivent être déconstruits et appréhendés ». Les premiers concernés sont
bien sûr les historiens, objets de l’étude de 2011. Ces gens-là s’intéressent
trop au passé pour ne pas être suspects de dérives réactionnaires. Les
détestables intitulés au masculin dont ils parsèment encore les manuels de
classe de seconde démontrent leur mauvaise volonté et le goût pour la violence
symbolique de ces phallocrates passéistes, restés coincés entre Alain Decaux et
Malet-Isaac. « La participation du citoyen à la vie de la cité »,
« Les hommes de la Renaissance » ou « Être ouvrier en
France » : si l’on ne peut malheureusement pas encore faire table rase des
cours d’histoire, il est au moins urgent d’expurger les livres de l’idéologie
ouvertement sexiste cautionnée en toute impunité, par leurs auteurs.
Créé en 2009 à l’initiative du conseil régional d’Île-de-France,
le Centre Hubertine Auclert, dont le nom rend hommage à Hubertine Auclert,
fameuse militante féministe française, est mentionné dans une enquête de
l’iFRAP , publiée dans Le Point le 13 septembre 2012, qui affirme que le
centre a perçu, depuis sa création, quelques 1,795 millions d’euros, afin de
financer des associations « qui ressemblent à des coquilles vides ». À
ces accusations, le Centre Hubertine Auclert a répondu le 17 septembre 2012
qu’il « n’avait pas à rougir des 543 000 euros annuels qui lui sont alloués
» et pouvait s’enorgueillir de soutenir 67 organisations tout en organisant des
actions cruciales, dont l’enquête sur les manuels scolaires (d’histoire en
2011, de mathématiques en 2012 et de français en 2013) est un exemple éclatant.
Cette étude fait elle-même suite à une tordante enquête diligentée en 2009 par
la HALDE, intitulée Place des stéréotypes et des discriminations dans les
manuels scolaires, emblématique des préoccupations de l’époque. N’étant pas
victime de réductions de moyens, avec un budget de 862 000 € en 2013, le Centre
Hubertine Auclert a poursuivi le travail de la HALDE en publiant, sous la forme de fascicules de
48 à 56 pages destinés aux personnels de direction et au corps enseignant, le
résultat de savants travaux de recherche sur les stéréotypes sexués.
Après avoir fait un sort à l’histoire et conclu à l’indécrottable
machisme des historiens, les auteur(e)s et chercheu(r)(se)s ont consacré leurs
efforts à une forteresse du sexisme plus inexpugnable encore : les mathématiques.
Nous avons cru trop longtemps que cette discipline était un royaume
d’abstraction à l’abri des caractères sexués et que seuls Stephen Hawking ou
Albert Einstein pouvaient être sensibles au sex-appeal d’une équation au
quatrième degré. C’est un cliché sexiste, nous expliquent les auteur(e)s des Représentations
sexuées dans les manuels de mathématiques de terminale, sous-titré avec une
grosse malice Égalité femmes-hommes dans les manuels de mathématiques : une
équation irrésolue ? Le fait de posséder un y en plus interdirait-il donc
de s’intéresser aux x ? « Le constat est accablant », nous avertit
Djeneba Keita, présidente du Centre Hubertine Auclert. Après avoir passé au
crible 29 manuels de terminale, les enquê(teurs)/trices de l’étude aboutissent
à l’effroyable révélation que la trompeuse « apparence de neutralité
attachée traditionnellement à la discipline mathématique entraîne une moindre
vigilance quant aux stéréotypes sexués susceptibles d’y être véhiculés et
légitime d’autant plus une telle étude. » Le machisme se terre encore à
l’ombre des droites perpendiculaires et des théorèmes. Si les mathématiques se
croyaient à l’abri de la grande œuvre de rénovation du langage entamée au nom
de l’indifférenciation égalitaire, elles se fourraient le doigt dans la sphère
oculaire. Comment pouvait-on faire confiance à des sociopathes qui passent leur
temps à essayer de diviser par zéro mais prennent la tangente dès qu’on parle
d’égalité des sexes ? Le scandale est en effet de taille : « Sur 3 345
personnages sexués comptabilisés, on trouve 2 676 hommes pour 672 femmes. »
Les femmes ne représentant que 3,2 % des personnages historiques cités et 28 %
des personnages de fiction utilisés dans les énoncés. Quant à l’iconographie,
elle ne vaut guère mieux : on apprend ainsi que, « dans un manuel de
terminale scientifique de tronc commun, on trouve 8 illustrations avec des
femmes contre 53 images représentant des hommes ». Mais il y a plus
révoltant encore : la lecture de l’étude nous apprend en effet que « beaucoup
d’énoncés d’exercices ne mentionnent pas le nom du personnage et l’associent
plutôt à sa fonction socioprofessionnelle (le joueur, le professeur,
l’élève...) ». Cela laisse penser, nous dit-on, « que les auteur(e)s
ignorent les règles de féminisation de la langue et n’utilisent pas les outils
existants pour aboutir à une véritable “indétermination sexuée dans la langue”.
» Un énoncé impose ainsi aux lycéen(ne)s, potentiellement discriminé(e)s, de
calculer « la probabilité que l’élève choisi parmi tous les garçons du lycée
soit un élève de terminale ». On plonge dans l’horreur réactionnaire quand
un autre manuel ordonne de « calculer la probabilité pour Madame X d’avoir
un garçon, sachant qu’elle a déjà eu trois garçons ».
Qui peut mesurer aujourd’hui l’impact d’intitulés si
effroyablement rétrogrades sur de jeunes et naïves cervelles ? Non content(e)s
de faire triompher les stéréotypes sexistes, les auteur(e)s font appel à des
méthodes pédagogiques que l’on espérait révolues : dans un exercice intitulé « Pour
aller plus loin ? », on demande en effet « Qui était Sophie Germain ?
», « sans en fournir la réponse à l’élève » ! Quand le sexisme se double
d’un insupportable élitisme, rien ne va plus, décidément, au pays de Jules
Ferry.
Le 2 juillet 2014, un colloque était organisé par le Centre
Hubertine Auclert et la région Île-de-France pour faire le point, après trois
années de recherche, sur les stéréotypes sexués dans les manuels scolaires. Ce
devait être l’occasion de se demander si « policière est vraiment le féminin
de policier », d’en apprendre plus sur « les biais sexistes dans les
manuels de SVT » et de déterminer « quels sont les leviers pour faire
évoluer les manuels du point de vue du genre ? » Nul doute que tous les
professeurs de France sauront profiter de toutes les glorieuses innovations qui
auront été proposées. Et on peut gager qu’après les manuels de français de
seconde, qui étaient dans le collimateur cette année, ce sera le tour des
manuels de langues : le cosmopolitisme n’excluant pas l’insupportable
domination masculine. Tremble donc Brian dans ta cuisine et vous aussi, Ivan,
José et Carlo ! Votre tour viendra !
Cet article a été publié initialement dans le numéro de septembre 2014 du magazine Causeur
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