L’insurrection
vient-elle ? Pas encore. Les prémisses certainement. Les increvables
rebellocrates de 68 ont toujours le pouvoir mais plus assez d’imagination pour
comprendre qui le leur contestent. Et d’abord, de quelle jeunesse
parle-t-on ? Difficile de cerner entre des « zadistes » qui
revendiquent une terre à défendre, des Identitaires qui font rimer futurisme et
nationalisme, des Veilleurs qui campent devant l’Assemblée, des Blacks blocs
qui démontent des Mac Donald et des jeunes candidats au djihad… Tous
partis à la reconquête d’une identité perdue et désespérément en quête de sens
dans un monde qui en est totalement dépourvu.
À
en croire le philosophe Giambattista Vico,
les
nations
passent
par
trois
âges,
celui
du
divin,
de
l’héroïque
et
de
l’humain
et,
lorsqu’une
nation
entre
en
décadence,
disparaît
ou
est
conquise,
les
peuples
nés
sur
son
sol
la
font
renaître
en
passant
de
nouveau
par
ces
trois
âges. Et la
France
serait
le
pays
qui
illustrerait
le
mieux les thèses du métaphysicien napolitain. « L’histoire
ne
recule
pas,
la
géographie
même
s’émeut,
et
l’Europe
évolue.
Mais
à
l’intérieur
du
pays
et
dans
le
cadre
de
la
nation,
les
générations
qui
se
suivent
et
s’opposent
finissent
par
se
répéter.
Et
s’il
est
un
pays
au
monde
où
Vico
ait
raison,
c’est
le
nôtre,
qui
trouve
l’éternité
dans
la
périodicité
même
de
ses
vieillissements et de
ses
jeunesses
neuves », a écrit Armand Petitjean,
en 1939, en introduction au texte posthume de Charles Péguy « Par ce
demi-clair matin », publié par la Nouvelle Revue Française (1). La France
a
été
occupée
et
a
failli
disparaître
avant
de
connaître
un
renouveau
culturel,
politique,
économique,
industriel
et
surtout
démographique au cours
des
Trente
Glorieuses.
Près
de
soixante-quinze ans se
sont
écoulés.
La
France
de
2014
connaît un antagonisme virulent
opposant la génération des
baby-boomers, dont les
représentants ont vécu
une
période
de
croissance
sans
précédent
et
occupent
encore
très
largement
les
postes-clés
dans
le
monde
professionnel, et une
jeunesse
paralysée
par
la
crainte
du
chômage,
séduite par une sédition plus
radicale.
Sommes-nous
dans une situation pré-revolutionnaire ?
Les jeunes intellectuels des
années trente se dressaient contre ce que le directeur de la revue Esprit,
Emmanuel Mounier, nommait le « désordre établi », symptôme de la
fatigue d'un système politique et économique dénoncé dans un bel ensemble par
la nébuleuse disparate des non-conformistes des années trente ou des jeunes
intellectuels ralliés au communisme ou au fascisme. Si le
parallèle entre les années trente et notre époque est devenu une tarte à la
crème journalistique, on peut cependant hasarder un parallèle entre la crise
politique des années trente et la crise de confiance dont souffrent de nos
jours nos institutions victimes d'une entropie délétère et de la contestation
montante d'une société atomisée
par
l’individualisme et le
communautarisme. Est-il juste pour autant de voir dans cet
état de fait une situation prérévolutionnaire ? C'est à 1789 plutôt qu'aux
années trente que certains observateurs n'hésitent pas à se référer.
« Une révolution,
écrivait Charles Péguy, est
essentiellement de l’ordre
du
Réel
et
ensemble
et
inséparablement de l’ordre
du
nouveau.
C’est
dire
qu’elle
est
de
l’ordre
de
la
jeunesse,
de
l’enfance
même,
et
de
ce
qu’il
y
a
de
plus
rare
et
de
plus
précieux
quand
on
a
le
bonheur
de
pouvoir
en
trouver
dans
ce
monde
moderne : la fraîcheur. » La rupture entre une partie de la
jeunesse et une société française dont elle rejette le système de valeurs a été
exprimée avec beaucoup de véhémence le 10 octobre dernier, par Mathieu Burnel, présenté comme « un ancien membre
du
groupe
de
Tarnac » sur le plateau de
l’émission
Ce
Soir
ou
Jamais
de
Frédéric
Taddéï,
lorsqu’il a pris à partie les autres participants
de l'émission, politiques, universitaires
et écrivains, en leur adressant ce constat
définitif
:
« Vous
ne
comprenez
à
peu
près
rien
de
ce
qui
se
passe
dans
la
jeunesse. » On pourrait
lui
retourner
cette autre question : de quelle jeunesse
parle-t-il exactement ? Qu'y-a-t-il de commun entre les jeunes
candidats
au
djihad,
les « Autonomes » ou les Black Blocs qui
s'attaquent aux vitrines des banques ou des Mac Donald dans les manifestations
en hommage à Clément Méric ou Rémi Fraisse, les Identitaires
qui font rimer futurisme et nationalisme, les Veilleurs
qui campent devant l'assemblée,
les jeunes
soraliens qui mêlent le conspirationnisme à la redécouverte
des textes de Sorel, de Berth, ou de Drumont et la
grande masse ignorée de la jeunesse des banlieues, des campagnes, de Paris ou
de la province ?
L’échec
de
l’antiracisme
d’Etat
Il y
a
sept
ans,
le
premier
manifeste
du
« Comité Invisible »,
L'insurrection
qui vient, s’ouvrait
par
un
constat
d’un
pessimisme
très
debordien : « Sous quelque
angle
qu’on
le
prenne,
le
présent
est
sans
issue. » Le texte du manifeste pêche souvent
par un lyrisme un peu naïf, sacrifiant, pour évoquer la révolte des banlieues
de 2005, au cliché des flibustiers du
bitume révoltés contre l'Etat tout-puissant. Néanmoins,
un
certain
nombre
de
constats
étonnent encore par leur
lucidité
prophétique : « L’inédit
ne
réside
pas
dans
une
“révolte
des
banlieues”
qui
n’était
déjà
pas
nouvelle
en
1980,
mais
dans
la
rupture
avec
ses
formes
établies.
Les
assaillants
n’écoutent
plus
personne,
ni
les
grands-frères ni l’association
locale
qui
devrait
gérer
le
retour
à
la
normale.
Aucun
SOS
Racisme
ne
pourra
plonger
ses
racines
cancéreuses
dans
cet
événement-là, à quoi
seules
la
fatigue,
la
falsification et l’omerta
médiatiques
ont
pu
feindre
de
mettre
un
terme. » Etrange prémonition.
Quelques
années
après
la
flambée
des
banlieues
évoquées
dans
ce
court
passage,
le
phénomène
Dieudonné
enterrait
définitivement l’épopée
SOS
Racisme,
démontrait
l’échec
terrible
de
l’antiracisme
d’Etat
tandis
que
l’essor
du
« djihadisme à la
française » offrait un
épilogue
tragique
aux
années
Mitterrand
et
au
chiraquisme
qui
n’en
était
que
la
molle
continuation. La génération précédente, la
« bof génération », a eu du mal à exister dans l'ombre des rebelles
increvables de 68 et à travers le crépuscule de la Mitterrandie, réduite, dans
les années les plus ternes et les plus ennuyeuses qui soient, à attendre
désespérément qu’il se passe quelque chose. Celle qui lui est immédiatement
consécutive, volontiers dépeinte comme une « génération sacrifiée »,
produit des mouvements de contestation disparates dont le radicalisme effraie
de plus en plus la société française actuelle. Reste à savoir si les multiples
composantes de cette jeunesse-là sont, comme la société française dont elles
offrent l’image rajeunie, vraiment réconciliables.
La jeunesse
qui
a
mis
le
feu
aux
banlieues
et
celle
qui
s’invente
une
épopée
guerrière
en
Syrie
ressemble
bien
à
ce
peuple
que
Debord
décrit
dans
In
girum
imus
nocte
et
consumimur igni :
« Une
armée
d’anonymes
transplantés
loin
de
leurs
provinces
ou
de
leurs
quartiers,
dans
un
paysage
nouveau
et
hostile,
suivant
les
convenances
concentrationnaires de l'industrie
présente.
»
Le
recrutement
élargi
du
djihadisme
européen,
incluant
fils
d’immigrés
musulmans
et
convertis
venus
du
fin
fond
du
bocage
normand,
montre
que
les
« anonymes » transplantés ont
désormais
de
multiples
visages.
D’après
une
étude
publiée
très
récemment
par
le
Centre
de
Prévention
contre
les
Dérives
Sectaires
liées
à
l’Islam,
63%
des
djihadistes
signalés
par
leurs
familles
ont
moins
de
21
ans,
80%
viennent
de
foyers
sans
religion
et
84%
de
classes
sociales
moyennes
ou
supérieures.
Dans
le
discours
relayé
par
ces
jeunes
recrues,
notamment
sur
les
comptes
Facebook
qu’ils
ouvrent,
l’Aquida, « la
vraie
croyance », celle qui
distingue
la
communauté
des
élus,
est
un
concept
récurrent.
Comme
le
souligne
Olivier
Roy
dans
La
Sainte Ignorance :
« La
déculturation du religieux
a
des
conséquences
fondamentales : d’abord
elle
transforme
en
barrière
l’espace
entre
le
croyant
et
le
non-croyant,
qui
ne
partagent
plus
ni
orthopraxie,
ni
valeurs
communes. » (2) L’Aquida embrassée par
ces
équivalents
musulmans
des
« born
again »
évangélistes
représente
une
communauté
de
substitution
virtuelle
au
sein
de
laquelle
ils
s’intègrent
par
la
fraternité
de
la
croyance
et
celle
du
fantasme
en
attendant,
peut-être,
celle
du
combat.
Une jeunesse à mille lieux du « retour
des
années
30 »
« Les insurrections, finalement, sont
venues. » C'est à nouveau par un constat
définitif, et encore une fois péremptoire, que s’ouvre
A
nos
Amis, deuxième
opus
du
Comité
Invisible,
publié
en
2014, qui prend pour exemple les expériences
zadistes,
celles
des
« Zones
A
Défendre » de Notre-Dame
des
Landes
ou
de
Sivens,
lointaines
héritières
de
la
Zone
Autonome
Temporaire
de
l’anarchiste
américain
Hakim
Bey.
Sur place, dans ces quelques foyers de contestation bigarrés, force est de constater que « réenracinement » et « réappropriation du
territoire » sont les maîtres-mots du discours
des
jeunes
zadistes
de
Sivens
retranchés
sur
les
38
hectares
destinés
à
être
recouvert
par
la retenue
d’eau du barrage contesté. Face à
la
déprise
dramatique
d’un
monde
rural
qui
a
pratiquement
cessé
d’exister
à
cause
des
progrès
de
la
péri-urbanisation, de l’agriculture
productiviste et du
chômage
de
masse (3),
le
réenracinement invoqué tient
plus
de
la
reconquête
que
d’un
retour
aux
sources
utopique.
Les
communautés
zadistes
mettent
moins
en
avant
un
projet
de
société
vaste
et
ambitieux
qu’elles
ne
défendent
finalement
une
forme
de
localisme
radical
et
de
repli
communautaire.
À l’autre
bout
du
spectre
politique,
le
mouvement
des
Identitaires
met
en
avant
les
mêmes
thématiques
fédératrices, du conflit
de
génération
au
réinvestissement du territoire : « Nous sommes
la
génération
de
ceux
qui
meurent
pour
un
regard
de
travers,
une
cigarette
refusée
ou
un
style
qui
dérange.
Nous
sommes
la
génération
de
la
fracture
ethnique,
de
la
faillite
totale
du
vivre-ensemble, du métissage
imposé.
Nous
sommes
la
génération
victime
de
celle
de
Mai
68.
De
celle
qui
prétendait
vouloir
nous
émanciper
du
poids
des
traditions,
du
savoir,
et
de
l’autorité
à
l’école
mais
qui
s’est
d’abord
émancipée
de
ses
propres
responsabilités. » (4) Né à
la fin des années 2000, le courant Identitaire a parfaitement
recyclé
des
outils
traditionnellement employés par
les
groupes
d’extrême-gauche et proposé
un
discours
contestataire qui se
nourrit
d’aspirations
morales,
de
discours
social,
de
revendication patriotique et
de
mélange
d’agitprop
situ
et
de
futurisme.
Les Identitaires et les Autonomes ont ceci de commun qu'ils renouvellent de
façon assez originale le discours et les formes au sein de leur famille
idéologique respective. Tandis que les Autonomes produisent une critique acerbe
de la vision datée de la lutte des classes du NPA ou des engagements très
cosmétiques des altermondialistes et des antifas, les Identitaires ou le Mas (Mouvement
d’action sociale), rebattent un peu les cartes à l'extrême-droite en mêlant
revendications sociales, critique du nationalisme, au profit de ce que les
fédéralistes à la Mounier auraient nommé la « patrie sentimentale »,
et une esthétisation punko-futuriste très moderne. Il est peu étonnant que les
éditorialistes qui limitent leur champ de vision à l'éternel retour de la bête
immonde ne semblent en réalité n'avoir aucun outil d'analyse sérieux pour
décrypter ces nouvelles formes de révolte. Le mot de Mathieu Burnel était
juste : les vieux moralistes d'hier ont encore le pouvoir mais plus assez
d'imagination pour comprendre ceux qui le leur contestent.
« Je suis
une
erreur
dans
votre
système,
je
suis
votre
électeur
FN »
La
jeunesse
qui
revendique
le
quartier
ou
le
lopin
de
terre,
cite
du
Ilitch
en
cultivant
son
jardin
quand
d’autres
défilent
en
anorak
jaune
dans
le
métro
ou
se
mettent
à
lire
Georges
Sorel
ou
Edouard
Berth,
refuse
de
rentrer
dans
les
cadres
que
lui
préparent
les
analystes
autorisés
qui s’accrochent
encore
à
une
mythologie
politique
obsolète.
Le
fossé
qui
existe
entre
les
différentes
radicalités
de
cette
nébuleuse
contestataire est sans
commune
mesure
avec
l’univers
d’incompréhension qui la
sépare
de
ses
pontifiants
aînés.
Publié
sur
le
blog
L’Horreur du Château (5), le texte écrit par un jeune homme qui
a manifesté contre Le Pen en 2002 avant de voter pour sa fille en 2012,
certainement «pas le fils de Hitler mais celui des jeunesses antiracistes», trace
le
portrait
d'une jeunesse
révoltée
à
mille
lieux
des
simplifications consensuelles de ceux
qui
ont
fait
du
« retour des années
30 »,
un
argument
publicitaire
placé
au
fronton
des
entreprises
de
conscientisation citoyenne :
«Il y
a
une
autre
jeunesse
en
France
que
vous
ne
voulez
pas
voir,
qui
ne
vous
intéresse
pas,
une
jeunesse
que
vous
n'excusez
jamais,
que
vous
n'écoutez
jamais,
que
vous
méprisez
toujours,
une
jeunesse
pleine
d'énergie
et
de
talent,
d'envie
et
d'amour,
une
jeunesse
qui
ne
brûle
rien
sinon
de
désir
de
changement,
de
vrai
changement,
elle
est
là
dans
la
rue
et
dans
les
concerts,
elle
n'est
pas
honteuse,
elle
veut
simplement
vivre,
et
vous
ne
la
ferez
plus
taire
avec
vos
mensonges
et
votre
haine.
Je
suis
le
seul
palestinien
colonisé
dont
vous
vous
foutez.
Je
suis
le
seul
type
de
Français
qui
n'a
pas
droit
à
votre
«tolérance».
Je
suis
celui
qui
fait
s'effondrer
toute
votre
propagande,
vos
réflexes
usagés,
comme
le
World
Trade
Center
ou
l'immeuble
à
la
fin
de
Fight
Club.
C'est
votre
monde
qui
m'a
fait,
qui
m'a
conçu,
je
suis
immunisé
contre
la
culpabilité,
vos
anathèmes
ne
marchent
plus.
Je
ne
suis
que
la
dernière
conséquence
de
votre
racisme
contre
tout
ce
qui
ressemble,
de
près
ou
de
loin,
à
un
Européen.
Je
suis
une
erreur
dans
votre
système,
je
suis
votre
électeur
FN.» (6)
Nouvelles
radicalités d’une jeunesse en plein bouillonnement
L’affirmation
d’une
critique
radicale
de
l’héritage
soixante-huitard, y compris
d’ailleurs
au
sein
des
Autonomes
de
l’extrême-gauche, la volonté
de
se
réapproprier
un
territoire
associé
au
quartier,
à
la
terre
ou
à
la
patrie
et
aussi
la
recherche
désespérée
de
sens
dans
un
monde
qui
en
est
complètement
dépourvu
conduit
aussi
une
partie
de
ces
mouvements
à
développer
un
rapport
complexe,
voire
conflictuel,
au
réel.
Clivages idéologique et politique mis à part, la reconquête de
l’identité
au sein des multiples minorités agissantes s'accordent souvent avec une
tendance plus lourde observée au sein de la génération née avec internet pour
laquelle la quête de sens peut prendre bien souvent la forme d'une réécriture
de l'histoire ou du réel selon des convenances aussi existentielles
qu'idéologique.
Le philosophe Peter Sloterdijk postule
dans ses travaux que nous serions témoins de la fin du projet humaniste et de
la civilisation du livre et de l'entrée dans une civilisation qui serait un
agrégat de sphères où chacun reconstruit sa propre réalité, l'outil numérique
fournissant les moyens d'une conquête parfaitement illusoire d'un savoir absolu
trompeur : la vérité semble être à la portée de tous, pourvu que chacun
soit doté d'une connexion internet et de la même manière que l'imprimerie et la
première diffusion en masse des savoirs qu'elle autorisa contribuèrent à la
remise en cause de l'interprétation catholique des textes chrétiens, la
diffusion massive de l'information sur internet autorise toutes les
réinterprétations et la remise en cause de tous les dogmes jusqu'à parvenir à
un stade de relativisme suprême qui représente en réalité le véritable savoir
absolu de notre temps : la réfutation de tout savoir. À des degrés divers,
cette tendance qui marque véritablement toute une génération affecte aussi les
entreprises intellectuelles et politiques qu'elle produit. L’imaginaire
du
complot
mondial,
la
thématique
de
la
contre-histoire, le bestiaire
coloré
des
conspirations et sociétés
secrètes
de
toutes
sortes
se
retrouvent
sous
bien
des
formes
dans
tous
les
discours
produits
par
toutes
ces
radicalités
très
hétérogènes.
« Les
mythes
des
complots
sont
des
serpents
de
mer
de
l’imaginaire
humain
et
tout
d’abord
parce
qu’ils
rendent
grand-service à notre
soif
de
comprendre
le
monde. » (7) Conjuguée à la
tentation
du
repli
vers
la
communauté
fantasmée,
qui
prend
la
forme
très
abstraite
de
l’Aquida
ou
au contraire bien réelle de
la
ZAD,
et au règne du groupe, du clan,
de la
famille
de
ceux
qui
résistent
ou
tout
simplement
« de
ceux
qui
savent », ces nouvelles radicalités constituent
aussi autant de fraternités fermées, groupées autour d'une interprétation du
monde très exclusive. Tiraillée ainsi
entre
plusieurs
projets
de
contestation, la jeunesse en plein bouillonnement
court le
risque
d’une
balkanisation des esprits
qui
accompagnerait en quelque
sorte
la
balkanisation des territoires.
Une révolution dont les générations montantes ont la clé
Si
l'on met de côté le conspirationnisme, manifestation plus grégaire
qu'intellectuelle, ainsi que la pointe extrême du djihadisme, version
ultramoderne du fantasme de puissance maquillée en traditionnalisme, il reste
dans les mouvements de contestation très bigarrés et encore très minoritaires
qui agitent la jeunesse quelques points de convergence intéressants. Brouillant
les clivages traditionnels, ces mouvements qui s'égrènent sur un large spectre
politique de l'extrême-gauche à l'extrême-droite reprennent en quelque sorte
l'analyse marxiste là où elle aurait dû s'arrêter, c'est-à dire à la simple
constatation que l'évolution économique (et technique) conduit à la
dépossession progressive de l'individu par la société moderne, réflexion depuis
constamment enrichie par les Debord, Ellul, Clouscard, Lasch, Michea, Ilitch,
dont les écrits semblent aujourd’hui traverser les barrières idéologiques et
les fossés politiques. « Une Révolution, écrit
Péguy, ne consent de travailler, entre autres, ensemble et inséparablement, que
du réel et du nouveau. » (8) Insensiblement, nous avons pénétré sur une
nouvelle scène de notre histoire. Les années trente ne sont pas de retour comme
le proclament les Cassandre aux œillères bien rivetées par le dogmatisme. Nous
sommes parvenus à un nouveau stade où l’emprise de la technique et de
l’économie sur nos conditions d’existence nous fait entrer dans une autre
révolution que nous ne comprenons pas encore, mais dont les générations
montantes seules ont la clé. L’insurrection n’est certainement pas encore
venue, comme le proclame le Comité Invisible, mais ce qui frémit dans la
jeunesse de notre pays nous fait comprendre que, pour le meilleur et pour le
pire, il se passe, c’est sûr, enfin quelque chose de nouveau.
Notes
1. Charles Péguy,
« Par ce demi-clair matin » in NRF , juillet 1939, p. 22.
2. Olivier Roy, La
Sainte Ignorance. Seuil, Paris 2008, p. 22.
3. L’INSEE établit qu’en
2013, la région Midi-Pyrénées est l’une de celles où le chômage des 18-25 ans
est le plus fort : il touche près d’un jeune sur trois.
4. Emmanuel Casajus, Le
combat culturel, images et actions chez les Identitaires, L’Harmattan,
Paris 2014.
5.
Désormais <www.lesheureslesplusclaires.com>
6.
<lesheureslesplusclaires.com/2012/05/cest-lhistoire-dun-mec.html>
7. Gérald Bronner, La démocratie
des crédules, PUF, Paris 2013, p. 13.
8. Op. Cit. p. 20.
Article publié dans la revue Eléments n° 154
"la sainte ignorance" est d'Olivier rOy, et non pas rEy, l'excellent auteur de "une question de taille".
RépondreSupprimerAmicalement,
Emile
Merci ! Corrigé !
RépondreSupprimer