Depuis
que la ministre de l’Ecologie, du Développement Durable et de l’Energie
Ségolène Royal a annoncé le vendredi 16 janvier 2015 l’abandon du projet
initial, la tension est progressivement montée autour de la « Zone A
Défendre » de Sivens, faisant craindre que ne se reproduisent des
événements tragiques, tant la confrontation entre pro et anti-barrage a
redoublé de violence à quelques jours de l’annonce de la décision définitive du
Conseil Général du Tarn. Toute la semaine précédant le vote, les agriculteurs
favorables au projet de barrage ont organisé un véritable blocus de la ZAD, se
déployant sous l’œil des forces de l’ordre devant les principales zones d’accès
pour obtenir le départ de ses locataires. En réponse, un groupe de militants
pro-zadistes a fait irruption dans les locaux de la maison des agriculteurs à
Albi le 3 mars, aux alentours de 14 heures pour exiger l’arrêt du blocus. Les
échauffourées se sont multipliées entre les deux camps qui ne se définissent plus
que comme « miliciens » et « fascistes » pro-barrage ou
« peulus », « poilus », « chevelus » zadistes.
La ZAD de Sivens en octobre 2014
Les insultes ne furent pas seules à être échangées et les coups ont volé
également avant que police et gendarmerie n’évacuent définitivement le site de
la ZAD dans l’après-midi du vendredi, délogeant la quarantaine d’occupants
restés sur les lieux et procédant à une vingtaine d’interpellations. Manuel
Valls a tenu la promesse qu’il avait faite à la FNSEA d’en finir avec les
zadistes mais au niveau local, c’est le sauve-qui-peut général chez les élus
socialistes dans la perspective des élections départementales. Après le
naufrage long et douloureux de Sivens I, les socialistes qui siègent encore ou
sont susceptibles de se présenter dans le Tarn se précipitent sur les canots de
sauvetage…
La
tension extrême qui a régné dans les derniers jours d’existence de la ZAD de
Sivens, et avant la requalification du projet de retenue par le Conseil Général
du Tarn, reflète la détresse d’un monde rural en pleine déprise, où les
agriculteurs se considèrent de plus en plus comme une catégorie menacée
d’extinction et où les jeunes, sont de plus en plus massivement confrontés au
chômage. Dans ce contexte très difficile, c’est le fonctionnement même de la
démocratie locale qui est mis en cause. Les pro-barrages se sentent trahis,
après avoir défendu bec et ongles une décision prise, selon leurs propres
dires, de façon tout à fait démocratique. Les antis critiquent vivement des élus dont l'incapacité à écouter leurs administrés frise l'autisme et dont les erreurs d'appréciation sont le fait soit d'une incompétence préoccupante soit d'une collusion d'intérêts très néfaste.
Si
les partisans de la construction de la retenue de Sivens ont fait valoir le
caractère banal de la fameuse zone humide du Testet, qui n’existe d’ailleurs
plus aujourd’hui dans les faits, une grande partie ayant été rasée, les membres
du Collectif de Sauvegarde de la zone humide du Testet ont dénoncé sans relâche la démesure du
projet de retenue. La société chargée de l’enquête d’utilité publique ainsi que des
travaux aurait sciemment exagéré la capacité nécessaire du barrage de 8 millions d’euros et de 1500 000 m3. Les zadistes et écologistes plus radicaux sont ensuite entrés dans la danse. L’annonce de Ségolène Royal le 16 janvier 2015 avait été interprétée comme une reculade en faveur des écologistes, des zadistes et des « casseurs », dont les actions d'éclat à Nantes ou à Toulouse ont amené les mairies de ces villes à exiger un remboursement de l'Etat pour les dégâts causés suite aux manifestations de soutien. De leur côté, pro-barrage et zadistes ont dénoncé la virulence des pro-barrages et des agriculteurs notamment liés à la FNSEA, la complaisance des forces de l’ordre vis-à-vis de ces violences et, surtout, le fantastique gâchis représenté par le projet de Sivens. La décision prise par le conseil général du Tarn le vendredi 6 mars a symbolisé, avec l'évacuation immédiate de la ZAD, la fin de la recréation pour tous ceux qui réclamaient le départ des zadistes...Mais elle n'a été interprétée comme une victoire par aucun des deux camps.
Albi, lors d'une manifestation de soutien au projet de barrage, octobre 2014
Les politiques locaux en revanche sont incontestablement les
grands perdants de la longue affaire Sivens. Délégitimés par les associations
qui critiquent leur népotisme et fustigent leurs hésitations, les élus locaux
apparaissent de plus en plus comme les principaux responsables du gâchis dans
une région exposée aux tensions foncières et aux difficultés économiques. La
mort de Rémi Fraisse et les déclarations maladroites du président du conseil général du
Tarn Thierry Carcenac (« « Mourir pour des idées, c’est
une chose, mais c’est quand même relativement stupide et bête ») ont
sans doute achevé de faire perdre leur dernier crédit aux politiques en place,
même auprès des habitants qui n’ont pas été partie prenante dans l’affaire mais
s’estiment aujourd’hui plus qu’irrités par sa gestion, par les cafouillages policiers
et les valses hésitations de l’Etat.
Il
ne manquait que la très mauvaise presse, au niveau national, du gouvernement
socialiste pour faire des prochaines élections départementales un cauchemar en
perspective pour les nombreux élus de gauche qui siègent actuellement dans la
chambre départementale. Ainsi, dans les quatorze circonscriptions cantonales du
Tarn-et-Garonne, ce sont dix-neuf binômes de candidats « Divers
Gauche » et « Rassemblement de Gauche » qui se présenteront aux
élections, ainsi que quinze tandems Front de Gauche et quatorze Front
national. Du côté des candidats estampillés socialistes, on se fait plutôt
discret : seuls sept binômes de candidats socialistes seront alignés (le
même nombre d’ailleurs que de candidats divers droite et un peu plus que les
Verts qui alignent cinq binômes). Certains observateurs de la vie politique
locale rapportent que nombre de candidats anciennement étiquetés socialistes
préfèrent se présenter sous le sigle « Divers Gauche » pour éviter une
trop mauvaise publicité. Les retombées de l’affaire Sivens sur les prochaines
élections laissent donc craindre que le naufrage du projet de barrage fasse
dangereusement tanguer le navire socialiste, jusque-là solidement arrimé aux
collectivités locales et départementales. Pour nombre d’élus tarnais,
l’aventure des départementales pourrait bien ressembler au drolatique naufrage
électoral imaginé par Octave Mirbeau dans Le Jardin des Supplices.
Incité
par un « ami ministre » à se lancer dans une carrière politique en
défendant un programme basé sur le développement et la modernisation de la
culture de la betterave, l’élu en herbe se voit mis au courant en quelques mots
de la manière dont il convient qu’une campagne soit menée sur des terres
rurales : « Tu es un candidat purement agricole… mieux que cela,
exclusivement betteravier…Ne l’oublie point… Quoi qu’il puisse arriver au cours
de la lutte, maintiens-toi, inébranlable, sur cette plate-forme
excellente…Connais-tu un peu la betterave?…
—
Ma foi! non, répondis-je… Je sais seulement, comme tout le monde, qu’on en tire
du sucre… et de l’alcool.
—
Bravo! Cela suffit, applaudit le ministre avec une rassurante et cordiale
autorité… Marche carrément sur cette donnée…Promets des rendements fabuleux…
des engrais chimiques extraordinaires et gratuits… des chemins de fer, des
canaux, des routes pour la circulation de cet intéressant et patriotique
légume. »
Entre
projet avorté, deniers publics gaspillés et malaise du monde rural, les élus
socialistes d’un département durement éprouvé seraient donc tentés de se
dissimuler derrière une étiquette « Divers Gauche » qui rappelle
Flaubert, Mirbeau, les comices agricoles et le défunt Parti Radical. Pas sûr
que cela soit un choix très heureux face à un Front national en mesure d’opérer
une percée déterminante dans la région, comme dans de nombreuses autres.
La liste des binômes de candidats dans le Tarn peut être consultée en cliquant sur le jardin des supplices.
Dans Le
Jardin des Supplices, cela ne se passe pas non plus très bien pour le député
betteravier dont la fière bannière progressiste est mise en charpie par un
adversaire, tribun éloquent et cynique, dont le discours offensif piétine les
généreuses envolées de son concurrent : « Je faillis même, un soir,
dans une réunion publique, être assommé par des électeurs furieux de ce que, en
présence des scandaleuses déclarations de mon adversaire, j’eusse revendiqué,
avec la suprématie des betteraves, le droit à la vertu, à la morale, à la
probité, et proclamé la nécessité de nettoyer la République des ordures
individuelles qui la déshonoraient. » Les prochaines élections
départementales seront-elles aussi un jardin des supplices pour les candidats
« Divers Gauche » surnageant dans les eaux troubles du barrage de
Sivens ?
Publié également sur Causeur.fr
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire