Le
Conseil Général du Tarn a fait connaître sa décision : le projet original
du barrage de Sivens est abandonné et les dimensions de l’ouvrage seront
ramenées à celles d’une retenue beaucoup moins vaste. La décision ne paraît
déjà pas satisfaire grand-monde. Les opposants au barrage réclament que soit
plutôt exploitée « l’eau qui dort chaque année dans les retenues
collinaires », soit « deux millions de m3 », estiment les
représentants du Collectif du Testet, une hypothèse que le Conseil Général a de
nouveau rejetée. Néanmoins pour tous ceux qui dénonçaient la tentation d’un
retour en arrière « sous la pression des casseurs », c’est une
défaite également. Et en se pliant en partie aux préconisations du rapport du
ministère de l’écologie, quant aux dimensions de l’ouvrage, le Conseil Général
du Tarn n’a fait que finalement prêter l’oreille aux arguments des détracteurs de
l’enquête d’utilité publique menée en 2012 par la Compagnie d’Aménagement des Coteaux de
Gascogne (CACG), dont l’évaluation avait été jugé beaucoup trop ambitieuse. Depuis,
de l’eau a coulé sous les ponts et beaucoup d’argent a été dépensé. C’est
l’Etat qui remboursera, c’est-à-dire le contribuable.
Les
derniers occupants de la « Zone A Défendre » ont quant à eux été évacués
vendredi après-midi par la police. Il ne reste de la zone humide du Testet
qu’un vaste terrain vague à demi-boueux et recouvert sur sa plus large partie
par un tapis de copeaux de bois : tout ce qui subsiste des arbres
déchiquetées par les broyeuses avant que les travaux ne soient interrompus par
les zadistes. De leur présence, seules les habitations de fortune, les miradors
et les douves et palissades du camp retranché témoignent encore…
Photo Le Monde
L’affaire
de Sivens a été présentée un peu vite comme un match entre paysans et
écologistes, entre agriculteurs privés de leur barrage et zadistes radicaux et
violents. C’est aller un peu vite en besogne. On retrouvait aussi parmi les
opposants nombre d’agriculteurs qui jugeaient le projet trop ambitieux et inutilement
coûteux. Zadistes mis à part, le fiasco de la retenue de Sivens illustre aussi les
dysfonctionnements de la démocratie locale. Les chiffres avancés par la CACG,
dans sa réévaluation en 2009 d’un premier rapport établi en 2001, furent déjà
jugés fantaisistes par les associations montées au créneau. Face au gâchis du
projet de Sivens, ces dernières dénoncent aujourd’hui un système dans lequel
les mêmes élus ont la possibilité de siéger au Conseil Général, au conseil
d’administration de la CACG qui diligente l’enquête publique, tout en étant
maître d’œuvre des travaux, et à l’Agence de l’eau, qui procède également à
l’évaluation des besoins et peut accorder des subventions. Un système qui
favorise donc tout à fait légalement la collusion d’intérêt tandis que la
société civile a bien peu de possibilités de réclamer des éclaircissements
avant que le vote n’intervienne et que les travaux ne débutent. D’autant que les
investissements envisagés peuvent être bien plus importants que les huit
millions d’euros du premier projet de retenue à Sivens. Dans un rapport
intitulé « Adour-Garonne 2050 », la Compagnie d’Aménagement des
Côteaux de Gascogne préconise des aménagements pour la région d’un coût de un
milliard d’euros pour répondre aux besoins en eau jusqu’en 2050. Sans remettre
en cause l’utilité de ce plan, il convient peut-être de tirer quelques
enseignements de l’affaire de Sivens, qui ne se réduit pas seulement à la
sauvegarde d’une zone humide ou à l’affaire de la ZAD mais traduit l’opacité
d’un processus décisionnaire qui peut, le cas échéant, coûter cher, très cher.
L’affaire
laissera, c’est certain, des traces durables dans les esprits. « De part
et d’autre, il n’y a plus que de la haine, le Tarn c’est devenu
l’enfer ! », confie, atterré, un artisan de la commune de Gaillac.
Pour les uns, Sivens a révélé la formidable capacité de nuisance des
associations écologistes, capables de ruiner un projet en venant bouleverser la
tranquille routine décisionnaire des élus locaux. Pour d’autres au contraire,
Sivens a mis en valeur le rôle très obscur de la Compagnie d’Aménagement des
Côteaux de Gascogne et l’influence très négative de la puissante Fédération
nationale des syndicats d'exploitants agricoles (FNSEA), considérée par beaucoup
moins comme un syndicat que comme un lobby au service
d’intérêts économiques plus qu’agricoles. Quel que soit la justesse de ces
arguments que ne cessent de se renvoyer opposants et partisans du barrage, les
politiques apparaissent de leur côté doublement coupables : coupables
d’avoir favorisé un processus de décision opaque en faveur d’un projet
inadapté, ou coupables par complaisance d’avoir laissé la situation pourrir
jusqu’à devenir incontrôlable puis tragique entraînant la mort d’un jeune homme
dans la petite vallée du Testet.
L’affaire
du barrage de Sivens trouve aujourd’hui son épilogue, qui n’est peut-être encore
qu’un rebondissement, mais l’évacuation de la ZAD n’efface pas un autre problème
très local qui est celui du sort de la jeunesse des zones rurales. Il n’y avait
pas, chez les zadistes, que des bobos festifs, des punks à chiens ou des
casseurs. Parmi les occupants de la zone à défendre, il y avait aussi beaucoup
de travailleurs agricoles, d’étudiants ou de jeunes cultivateurs mis sur le carreau
par une logique économique qui réserve subventions et aides aux grandes
exploitations et favorise la concentration des terres et des moyens, mettant
sur la touche une grande partie des jeunes actifs. Les banlieues ont beau avoir
plus la cote médiatiquement, la situation n’est pas moins mauvaise, elle est
même bien pire si l’on considère le champ des possibilités offertes, pour un
jeune de vingt ans dans le Tarn-et-Garonne en 2015.
La
longue occupation de la zone humide n’a pas non plus été une sorte de revival
champêtre de mai 68. Elle est plutôt l’expression d’un conflit de générations
qui touche aussi de plein fouet le monde rural. Le taux de chômage dépassant
les 30% chez les 18-25 ans ne génère pas vraiment d’euphorie révolutionnaire
comparable à celle du joli mois de mai. C’est plutôt la tentation du repli sur
soi qui semblait caractériser une partie des zadistes concevant une utopie
réduite à un microcosme autogéré. « C’est l’envie qu’on leur fasse une
place chez eux, dans un coin, dans leur région, la possibilité de
s’enraciner », résumait un sympathisant. Mais s’enraciner dans quoi ?
La ZAD de Sivens, au-delà des caricatures, a rappelé une réalité sociale :
celle de campagnes de moins en moins paysannes et de plus en plus vides. Ce monde agricole désuni et le monde bigarré des zadistes,
rappelle ce que Jean-Pierre Le Goff écrivait en 2012 à propos du village provençal
du Cadenet : « À l’ancienne collectivité, rude, souvent, mais solidaire et
qui baignait dans une culture dont la “petite” et la “grande patrie” étaient le
creuset, a succédé un nouveau monde bariolé où individus, catégories sociales,
réseaux et univers mentaux, parfois étrangers les uns aux autres, coexistent
dans un même espace dépourvu d’un avenir commun… »
Jean-Pierre Le Goff, pas Jacques...
RépondreSupprimer;-)
Emile
Ah oui m... Merci !
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