A tous
ceux qui pensent que cynisme et démagogie sont deux domaines dans lesquels nos
politiques savent déployer des trésors d’inventivité, l’intervention de Manuel
Valls ce dimanche au micro de Jean-Pierre Elkabbach a fourni un cas d’école. Le
premier ministre aura, en bon comédien, usé de tous les registres du pathos
pour expliquer aux auditeurs d’Europe 1 à quel point il a peur que son pays « se fracasse sur le Front
National ». A force de répéter combien il est angoissé, Manuel
Valls a fini par inquiéter les journalistes. Elkabbach tenait donc,
semble-t-il, à le rassurer : « On
ne veut pas que vous soyez inquiets. Vous êtes le Premier ministre quand même.
»
Manuel
Valls n’a pas lésiné sur la potion anxiogène, convoquant tout le ban et
l’arrière-ban des croquemitaines politiques, du retour des années trente à la
honte subie par la France des Droits de l’Homme basculant dans le nationalisme,
jusqu’à l’Etat Islamique, mis presque sur le même plan que le Front National. A
la fin de l’intervention du Premier ministre, en effet, on aura compris que la
France est confrontée d’un côté au péril représenté par 1400 djihadistes
potentiels, et de l’autre par les électeurs FN qui ont quant à eux la
détestable habitude de faire sauter les urnes.
Plus
outrageusement expressionniste qu’une vedette du cinéma allemand des années 20,
Manuel Valls a surjoué la panique pendant cinquante minutes, posant en homme
aux abois venu supplier les électeurs de ne pas commettre l’irréparable aux
cantonales. A savoir : infliger au Parti socialiste une dégelée encore
plus mémorable que celle des européennes. Tour à tour indigné et éploré, il a
successivement recouru à tous les registres de l’art dramatique, passant du
« ce n’est pas possible je n’en crois pas mes yeux » à « pitié
vous ne pouvez pas faire ça », jusqu’à « voter FN après Charlie ce
serait salaud » et « j’ai mal à mon esprit du 11 janvier ».
Raymond
Aron écrivait que tout régime s’appuie sur la foi ou la terreur pour s’imposer,
et que la démocratie privilégie le consensus. Manuel Valls aura choisi
d’écarter la foi comme le consensus pour jouer la carte de la terreur. Et
traditionnellement, on sait que la terreur s’accompagne de purges, élément
moteur de toute idéologie conquérante et sourcilleuse. Après donc avoir tancé
les futurs électeurs du Front national et les futurs abstentionnistes, et tous
ceux qui auraient la mauvaise idée d’aller voter à droite et surtout pas pour
le PS, Manuel Valls a ressorti les bonnes vieilles listes noires de la
naphtaline afin de désigner les « éléments indésirables ».
« Qu’on
m’apporte le crochet à fascistes ! » aurait
pu exiger notre ubuesque ministre pour plagier Alfred Jarry.
« -
Fasciste numéro un, avance ! Et décline ton identité !
« - Michel Onfray, Sire, philosophe à grand tirage et en rupture de ban.
« - De quoi t’accuse-t-on Michel Onfray ?
« - Michel Onfray, Sire, philosophe à grand tirage et en rupture de ban.
« - De quoi t’accuse-t-on Michel Onfray ?
« -
D’avoir dit que je préférais un Alain de Benoist qui dit quelque chose de juste
à un Bernard-Henri Lévy qui dit une connerie. En général, il faut reconnaître
que ça provoque moins de bombardements, Sire.
« -
A la trappe !!! »
L’heure
est à la condamnation, pas à l’autocritique. Si Valls n’est pas avare
d’anathèmes et de larmes, pour fustiger les intellectuels déviationnistes et
exprimer sa crainte de voir le pays livré au djihad et au FN, il retrouve
instantanément superbe et arrogance pour écarter toute ébauche de discours
critique vis-à-vis du gouvernement, du Parti socialiste… ou de lui-même. Ainsi
va-t-il presque jusqu’à recadrer Elkabbach, lorsque celui-ci lui fait remarquer
que trente années d’antifascisme lacrymal n’ont guère fait que renforcer le FN.
Il n’est pas difficile de deviner, d’ailleurs, que cette séance de
culpabilisation bruyante aura sans doute les mêmes effets – pour les mêmes
causes – sur les votes du 21 mars prochain.
A
croire que, finalement, ses numéros de panique surjouée, de bravades et de
coups de menton républicains consistent en réalité à jouer la politique du
pire : braquer définitivement l’électorat FN, attendre que la droite de
gouvernement soit totalement siphonnée et la société française traversée par
des clivages insurmontables, puis présenter le PS comme le dernier rempart
républicain en 2017. Allons-donc, comment imaginer un calcul aussi cynique et
une telle hypocrisie derrière les trémolos et les sanglots de Manuel Valls ? Ça
ne ressemblerait tout de même pas au Parti socialiste de se servir du Front
national comme tremplin et d’instrumentaliser dangereusement les peurs et les
ferments de sécession qui travaillent la société française pour conserver à
tout prix le pouvoir. Pas leur genre, ça, n’est-ce pas?
Qu’en dit le Père
Ubu ?
« -
Qu’as-tu donc à pigner, Mère Ubu ?
« -
Tu es trop féroce, Père Ubu.
« -
Eh ! Je m’enrichis ! »
Publié dans Causeur.fr
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