La lutte contre les
discriminations entre hommes et femmes prend parfois des formes déconcertantes.
Lassée peut-être de dénoncer l’hétéro-patriarcat agressif des hommes qui
urinent debout ou de lutter contre l’inégalité syntaxique et l’orthographe
oppressive, voilà que des associations féministes portent désormais le fer
contre l’industrie pharmaceutique au nom du désir pour tous afin d’obtenir la
commercialisation rapide du Viagra féminin.
Le Viagra a été sans
conteste le grand succès pharmaceutique de ces vingt dernières années.
Découvert par les chercheurs des laboratoires Pfizer en 1996, le citrate de
sildénafil était supposé au départ être utilisé dans le traitement des maladies
cardio-vasculaires. Le médicament n’eût pas l’effet escompté et se révéla plus
propice à susciter les érections qu’à soigner les cœurs malades, un
redressement très productif pour Pfilzer. De même que Colomb découvrit
l’Amérique en pensant arriver en Inde, cette séréndipité ouvrit à l’industrie
pharmaceutique un riche et nouveau continent.
Moins sereines et plus
dépitées, les associations féministes américaines trouvent cependant
aujourd’hui anormal que les miracles de la science ne leur aient pas encore
offert les mêmes commodités qu’aux hommes, sous la forme du Viagra Féminin. En
pointe de ce combat pour l’égalité des sexes épanouis, la plate-forme Even the score – on traduira plus ou
moins bien cela par « revenir aux points » - regroupe 24 associations
qui pensent que le temps est venu « d’égaliser le terrain » (il doit
y avoir des amatrices de foot à la tête de ce collectif) en matière de
traitement des dysfonctionnements sexuels féminin. Even the score mène
donc un lobbying intensif auprès des membres du Congrès américain pour que la
rétive Federal Drug Agency (FDA) accepte enfin d’autoriser la commercialisation
du Viagra féminin. En témoigne la lettre au « commissioner Woodcock »
(ça ne s’invente pas), mise en ligne sur le site du collectif, qui dénonce le
fait qu’il existe « 26 traitements commerciaux autorisés par la FDA pour
traiter les troubles sexuels masculins et à ce jour pas un seul qui soit
approuvé en ce qui concerne les troubles sexuels féminins. » Les
signataires de la missive insistent sur le fait que « l’égalité de genre
devrait être la norme suivie dans la définition de l’accessibilité aux
traitements sexuels. »
Le petit problème est que
si le Viagra a réussi à détromper Georges Brassens et à démontrer que la
bandaison ça se commande un petit peu, ce fut au prix de quelques effets
secondaires plus ou moins préoccupants allant de l’éruption cutanée à l’arrêt
cardiaque, ce qui peut représenter un gros handicap pour conter fleurette à
Fernande. Les laboratoires ont dû progressivement réajuster leur cuisine
moléculaire, en omettant d’informer quelquefois les candidats au priapisme à la
demande de tous les risques induits par l’absorption du remède miracle. Mais
que ne ferait-on pas pour plaire, même à Lulu.
Avec le Viagra féminin,
c’est encore plus compliqué. Si le mécanisme du plaisir masculin n’est lui-même
pas aussi sommaire que l’on veut bien le présenter, celui du désir féminin
reste un mystère plus difficile à percer, même pour une armée de laborantins
généreusement financée. Le miracle est pourtant en passe de se produire : il
porte le doux nom de Flibaserine,
un médicament censé remédier aux pannes du désir chez les femmes et traiter le
syndrome, plutôt controversé dans le monde médical, des
« dysfonctionnements sexuels de la pré-ménopause ». Tandis que le
Viagra rend vigueur et enthousiasme à Monsieur, le Viagra féminin doit redonner
à Madame un peu plus d’intérêt pour la vigueur de Monsieur. Une armée de chercheurs
s’activent donc autour des chambres à coucher et banquettes arrière pour
permettre à la concupiscence et à la bagatelle de nous occuper jusqu’à un âge
avancé, ce qui tombe plutôt bien, Derrick ayant été récemment déprogrammé par
France Télévision pour cause de passé nazi, il n’y a plus rien à la télé l’après-midi
à part des redifs de Santa Barbara et Des chiffres et des Lettres…
Malheureusement, la
Flibasérine s’avère ne pas tout à fait être le Viagra miracle que les femmes
attendaient. D’abord testée comme antidépresseur par le laboratoire allemand Boehringer
Ingelheim, avec des résultats assez mitigés, la drogue a fait l’objet de
nouvelles recherches afin de devenir le nouveau blockbuster de la libido féminine
et de la médecine du XXIe siècle. Mais les essais cliniques furent si peu concluants
que Boehringer n’est jamais parvenu à convaincre la FDA de lui accorder le
sésame obligatoire pour investir le marché américain. La FDA avait en effet souligné que les possibles effets secondaires de la Flibasérine - fatigue,
évanouissements, risque accru de dépression – n’étaient pas compensés par ses
très hypothétiques vertus aphrodisiaques. Marie-Claire eût beau se réjouir
que « la petite pilule rose arrive sur le marché en 2011 », le
médicament ne passa en 2010 la barrière d’aucun comité médical, pas plus en
France qu’aux Etats-Unis.
Mais quand il s’agit de
mettre la main sur un marché aussi prometteur, les laboratoires pharmaceutiques
ne manquent pas de ressources et d’entêtement. En 2013, Sprout Pharmaceuticals[1]
racheta le brevet de Boerhinger et reprit les études sur la Flibasérine, sans
réussir toutefois à obtenir des résultats beaucoup plus convaincants. La FDA estima
à nouveau en 2013 que le produit n’était pas commercialisable, d’autant que les
effets indésirables déjà constatés perduraient “à une fréquence accrue”, selon
les conclusions des études menées, et que quelques “incidents plus
significatifs” pouvaient être encore susceptibles : à nouveau dépression,
syncope et évanouissements.[2]
Les laboratoires Sprout ont
donc décidé de recourir à une nouvelle stratégie, peut-être plus payante,
mettant en avant la discrimination dont les femmes seraient victimes aux Etats-Unis
en raison de la décision répétée de la FDA de ne pas laisser commercialiser un
Viagra féminin, qui semble, à lire les conclusions réitérées des experts, être
pour le moment une arnaque potentiellement dangereuse.
Voilà comment est né le
collectif Even The Score, rassemblant 24 associations soi-disant
féministes, réunies afin de mener une efficace campagne de lobbying pour
promouvoir une « équité sanitaire » et « dire à la FDA qu’il est
temps d’offrir aux femmes le choix qui leur revient de droit de traiter les
dysfonctionnement de la sexualité ». En consultant la liste des 24
sponsors affichés sur le site (et décrit comme des « associations
féministes »), on trouve l’ASHA (American Sexual Health Association), la
« Black Women Health Imperative », ou encore la « Jewish Women
International » mais aussi – ô surprise ! – Sprout Pharmaceuticals qui a déjà
investi plus de 50 millions de dollars dans la nouvelle mouture de Viagra
féminin à base de Flibasérine et compte bien que s’ouvre enfin un très
lucratif marché en invoquant le droit des femmes au plaisir à tout âge. Même
chose sans doute pour la firme canadienne Trimel
Pharmaceuticals qui travaille, elle, depuis 2012 sur le Tefina, un gel à
base de testostérone à inhaler par le nez deux heures avant les rapports
sexuels.
La méthode semble être
payante, Even the score a mené une campagne de lobbying intensive auprès
des institutions américains, au nom de la lutte contre les discriminations de
genre, et le 5 juin 2015, un premier comité d’experts de la FDA a rendu un avis
positif. Reste à savoir quelle sera la conclusion finale de l’agence américaine
mais en attendant, il semble bien que le fait de se prévaloir de la lutte pour
la reconnaissance des droits d’une catégorie de la population soit aussi
devenue une excellente manière de faire triompher le droit de l’industrie
pharmaceutique à gagner plus de sous.
Pour aller plus loin sur le
sujet :
[1]
Qui se réjouissent déjà d’avoir presque passé la barrière de la FDA : http://www.sproutpharma.com/
[2]
Pour une étude plus détaillé, voir le rapport complet de la FDA de 2010 : http://www.fda.gov/downloads/AdvisoryCommittees/CommitteesMeetingMaterials/Drugs/ReproductiveHealthDrugsAdvisoryCommittee/UCM215437.pdf
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