jeudi 14 mai 2020

"Journal désinvolte" de Luc-Olivier d'Algange (IV)





  
La sociologie

La sociologie, j’y reviens, vient extraordinairement au secours de cette sorte d'esprits fuyants qui cherchent dans une généralité la résolution d'un problème qui se pose à eux. Entre ces deux forces dissolvantes que sont l'abstraction et les statistiques, rien ne semble résister de ce qui fait la teneur du réel; mais cette dissolution, bien sûr, est fictive et l'usage répété de cette fiction, nous fait ces générations de tartuffes et d'autruches. La fiction littéraire, au contraire, qui se donne pour telle, laisse toutes ses chances au réel. Le réel étant lui-même une constellation de chances, de cas particuliers.
Le cas particulier d'entre les cas particuliers est l'individu; il est le réel par excellence, à condition, étymologie oblige, de savoir d'où il tombe. L'individualisme de masse, celui de la consommation et de la subjectivité outrancière, s'oppose à l'individu non-interchangeable, - celui qui vient de haut et de loin, singulier non par oubli du passé mais par sa plus longue mémoire.

Le pédagogisme

Le pédagogisme qui, de réformes en réformes, écarte de l'enseignement public des œuvres et des disciplines qui eussent donnés aux «  héritiers  » (selon le fallacieux concept bourdieusien) une chance d'exceller, en réserve ainsi la connaissance à ces mêmes héritiers qui ne la recevront plus que du cercle familial. Aux autres, le «  socle commun  » et l'évaluation par pastilles colorées… On comprend bien que ce n'est pas l'inégalité dans la réception des œuvres de notre tradition française et européenne qui est en cause, mais la transmission même, en soi, qui est jugée néfaste. Mais néfaste à quoi ? Le plus simplement du monde, à cette bêtise qui favorise la soumission. Comment faire d'une jeune personne qui serait entrée en conversation avec les œuvres d'Homère, de Virgile, d'Epictète ou de Marc-Aurèle le docile consommateur globalisé et ce traitre absolu à sa langue et à sa tradition qui est nécessaire aux desseins de la servitude ?



Le cœur du monde

Les œuvres que l'on répute réservées à la jouissance de quelques esthètes élitistes sont souvent les plus ingénues, les plus puissantes, les mieux chargées du beau ressac de la nostalgie et du pressentiment, - ce ressac qui nous réaccorde à la terre, au ciel, aux dieux et aux autres hommes. Ce n'est pas devant un écran que ces forces nous sont données mais dans le poème intériorisé, su par cœur, et par le cœur, qui est le cœur du monde.



L'ultime défaite

Dans le grand reniement, - sous les espèces de la «  repentance  », qui n'en demandait pas tant, - ce ne sont pas seulement des grands plaisirs et des hautes joies que suscitent les œuvres dont nous serons privés mais de ce dont elles témoignent, l'audace et la liberté dont elles naquirent, les vastes gradations entre le sensible et l'intelligible qu'elles s'efforcèrent de dire, et l'intelligence même des situations que l'art romanesque, depuis deux ou trois siècles, ne cesse d'approfondir. Que nous sera-t-il offert à la place ? L'excitation des publicistes de la consommation ou de la religion, la communication de masse, la haine du secret, la brutalité fanatique enfin, cette ultime défaite du Logos. La rage morbide règne, et nous, coupables de tout et de rien, héritiers   « ondoyants et divers  », nous qui aimions Catulle ou Valery Larbaud, nous qui avions gagné tant d'heures, pour les offrir, dans l'otium et le songe, en serons les premiers défaits, non seulement en tant qu'individus, mais en tant que race de l'esprit. Notre disparition est programmée comme l'est celle, en effacement de mémoire, de nos prédécesseurs fidèles à l'amitié donnée des êtres et des choses et qui, plutôt qu'un défaut, cherchent et trouvent en tout la scintillante cause de la gratitude. 

La gratitude

Nous vivons donc ces temps où il est beaucoup plus facile de partager un grief qu'un éloge ou une admiration. Mille oreilles attentives se dressent devant la plus injuste récrimination.
*
La grande haine ostensible contre toute forme de création serait bien inopérante sans ses innombrables relais et petites mains qui s’animent et s’activent aux titillements de la jalousie. Parmi les plus nobles vertus humaines, l’admiration et la reconnaissance tiennent de hautes places. Celui qui s’y exerce, au demeurant, se renforce. Cependant, comme ces vertus ne se laissent feindre, la force qu’elles confèrent, selon une justice immanente, ne revient qu’à ceux qui remercient de bon cœur, sans compter, par un élan de l’âme qui est sans doute celui de la vie elle-même, courant, sans trop d'obstructions, de la source à l’estuaire. N’oublions pas de compter au nombre des Grands Bénévoles, la plupart des écrivains talentueux ou géniaux de ces deux derniers siècles qui furent, de leur vivant, couverts d’ingratitudes.





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