Avec
cette dernière partie, nous terminons notre série consacrée au superbe Journal
de Luc-Olivier d’Algange. C’est l’occasion pour nous de le remercier une
nouvelle fois et de rappeler que ces quelques pages glanées au vent sont d’une
remarquable inactualité – les extraits proposés étant tous tirés du Journal du
mois d’octobre 2016 ! A son invite, redevenons immémoriaux, au chevet des rois endormis
et au milieu des herbes sauvages.
Un
autre monde
Ce
temps qui nous est encore donné, - qu’en ferons-nous ?
*
Le
privilège de l’auteur qui écrit, non ce qu’il faudrait écrire pour complaire à
un public ou une idéologie, mais ce qui lui passe par la tête, sera de côtoyer,
mieux que d’autres, les régions mystérieuses de son pays où, entre les
feuillages, des passages s’ouvrent sur un autre monde.
Ne
craignant guère d’être moqué par les plus sérieux, le loisir lui est donné de
laisser venir à lui les signes et les intersignes qui rappellent à sa mémoire
ce qu’il n’eut jamais l’occasion d’apprendre. Tels sont les symboles inscrits
sur la pierre et l’écorce des arbres, la forme mouvante des nuages, les
variations prodigieuse de la lumière au matin qui lui parlent de ce qu’il
ignorait savoir, cette sapience encore familière aux hommes du Moyen-Age et que
les modernes ont méthodiquement oubliée.
Or il
suffit de s’abandonner à ce qui nous vient du monde pour que les secrets de
nature se rappellent à notre bon souvenir. L’Ame du monde est messagère. Il
nous appartient d’entendre ou de n’entendre pas ce qu’elle nous dit, avec cette
douceur insistante, amoureuse.
L’Ame
du monde, la Sophia, nous aimerait ainsi d’un amour méconnu, d’un amour que
nous lui rendons bien mal depuis que nos consciences et nos volontés sont
requises à planifier le monde et non plus à le contempler.
Eradiquer
Eradiquer est
un mot moderne. L’esprit de vengeance y trouve sa raison d’exister. Tout ce que
les modernes ne surent goûter et savourer du monde, ils ne se contenteront pas
de le dénigrer ou d’en vouloir éloigner leurs semblables : ils voudront le
détruire, non seulement dans ses manifestations mais dans son principe même.
Aussi
bien est-ce à la défense du principe qu’il faut veiller plus qu’à celle des
formes et des manifestations. Etre « réactionnaire » ne suffit
plus. Ces formes et ces coutumes plus ou moins anciennes et vénérables, -
auxquelles, certes, nous relie un attachement du sentiment, - si maltraitées,
tant accusées et injustement méprisées qu’elles soient, au geste noble de les
défendre il importe cependant de ne pas réduire notre veille ardente, notre
combat.
Ce
piège nous est tendu par nos pires ennemis qui voudraient bien nous voir
réduits à quelque caricature de nos goûts pour ensuite nous balayer avec ce
« vieux monde » qu’ils honnissent moins, en vérité, que l’éternité
qui vient y miroiter, - et par laquelle, - ce que nous nommons Tradition, -
tout se renouvelle.
Réactionnaires
De
moins en moins nous sentons-nous concerné par le débat entre «
progressistes » et « réactionnaires », quand bien même aux seconds
revient souvent la justesse d’un sentiment profond. Ce n’est pas à la forme à
moitié détruite que va notre ferveur, et moins encore à la forme restaurée,
muséologique, mais au frémissement, à l’élan, à la volte inspirée qui la fit
naître, et sur laquelle, puisqu’elle « gît au secret du cœur »
selon le mot de Mallarmé, nos ennemis ne peuvent rien.
Le
secret du cœur
Le
monde, il y a peu encore, était moins laid ; mais cette moindre laideur
ne vaut guère qu’on y sacrifie davantage qu’un déférent salut. Ce qui nous
chante est de tout temps. Lorsque la « défense des valeurs » n’est
plus que celle de séculaires habitudes bourgeoises, le moment est venu d’aller
plus en amont, au-delà des siècles récents, vers ce plus loin qui est le proche
« secret du cœur », et de n’être plus seulement conservateurs ou
réactionnaires voués à disparaître sous les assaut de la technique et de la
morale vengeresses mais sourciers et argonautes, littéralement immémoriaux,
- ayant fondus ensemble, d’un feu alchimique, la nostalgie et le pressentiment.
En
nous, en attente, vigueurs, vertus et puissances, ces ressources du chant qui,
dans l’amitié des Muses Héliconiennes furent déposées, afin d’être éveillées et
ravivées, dans notre langue natale et dans les grands silences d’or et de nuit
où elle navigue, dans nos songes, à notre insu.
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