L'homme est libre: sans quoi conseils, exhortations, préceptes,
interdictions, récompenses et châtiments seraient vains. Pour mettre en
évidence cette liberté, on doit remarquer que certains êtres agissent sans
discernement, comme la pierre qui tombe, et il en est ainsi de tous les êtres
privés du pouvoir de connaître. D'autres, comme les animaux, agissent par un
discernement, mais qui n'est pas libre. En voyant le loup, la brebis juge bon
de fuir, mais par un discernement naturel et non libre, car ce discernement est
l'expression d'un instinct naturel (...). Il en va de même pour tout
discernement chez les animaux.
Mais l'homme agit par jugement, car c'est par le pouvoir de
connaître qu'il estime devoir fuir ou poursuivre une chose. Et comme un tel
jugement n'est pas l'effet d'un instinct naturel, mais un acte qui procède de
la raison, l'homme agit par un jugement libre qui le rend capable de
diversifier son action.
Nous avons dit, à propos de l'étude des lois, que les actes
humains soumis aux lois portent sur des situations singulières qui peuvent
varier à l'infini. Il est donc impossible d'instituer une loi qui ne serait
jamais dans aucun cas en défaut. Pour établir une loi, les législateurs
considèrent les conditions générales; mais l'observance de cette loi serait
dans certaines situations contraires à la justice et au bien commun que la loi
entend sauvegarder. Par exemple, la loi déclare qu'il faut rendre un dépôt, ce
qui est juste dans la généralité des cas, mais peut devenir dangereux dans des
cas particuliers, tel le fou qui réclame l'épée qu'il a déposée, ou l'individu
qui demande son dépôt pour trahir sa patrie. En pareilles circonstances et en
d'autres semblables, il serait mal d'obéir à la loi, et le bien consiste alors
à transgresser la lettre de la loi pour rester fidèle à l'esprit de justice et
à l'exigence du bien commun.
Il n'est légitime de modifier les lois humaines que dans la mesure
où cette modification est profitable à l'intérêt commun. Or le changement de
loi lui-même, pris en soi, entraîne un certain dommage pour l'intérêt commun.
La coutume contribue en effet pour beaucoup à l'observance des lois, à tel
point, que ce qui se fait contre la coutume, même si c'est de peu d'importance,
semble grave. Il résulte de là que tout changement de la loi diminue la force
contraignante de la loi en ébranlant la coutume, et c'est pourquoi l'on ne doit
jamais modifier une loi humaine à moins que le gain qui en résulte d'autre part
pour l'intérêt commun ne compense le dommage qu'on lui fait subir sur ce point.
C'est ce qui peut arriver, soit qu'une très considérable et très évidente
utilité doive résulter du statut nouveau, soit qu'il y ait nécessité urgente à
l'admettre, soit que la loi reçue contienne une iniquité manifeste ou que son
maintien soit nuisible à beaucoup de citoyens.
THOMAS D'AQUIN, Somme théologique
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