Il était une fois un genre de cinéma peu à peu délaissé à la fin
des années vingt et qui opéra un surprenant retour en grâce un siècle plus tard… L’étonnante
résurrection du cinéma muet doit bien sûr beaucoup à The Artist de
Michel Hazanavicius, sorti en 2011, césarisé, oscarisé et célébré à travers le
monde entier, alors que l’on pensait le genre enterré, longtemps après que la
frénésie du parlant se soit emparée des studios suite au succès, notamment, du Chanteur
de Jazz en 1927. Le muet avait continué à résister quelque temps, que cela soit
en France où le genre avait perduré jusqu’à la seconde guerre mondiale faute de
moyens disponibles pour équiper toutes les salles en parlant, ou encore en Russie ou Dziga Vertov avait fait tourner dans toutes les salles
soviétiques son Homme à la caméra, manifeste muet du « Ciné-Œil ». Néanmoins, à partir de la seconde moitié du XXe siècle, on ne vit plus guère de cinéastes
s’intéresser au genre, hormis Mel Brooks et son bouffonesque Silent
Movie en 1976, qui partage une caractéristique avec The Artist :
c’est un film muet qui parle du cinéma muet et propose donc une mise en abîme burlesque jouant sur les codes mêmes d’un genre qui paraît très exotique aux
spectateurs de la fin du XXe siècle ou du début du XXIe.
Ce
n’est pas le cas de Blanca Nieves qui, s’il parle de cinéma et
de spectacle, le fait de façon détourné, en prenant pour sujet principal le
conte de Blanche-Neige, adapté ici de manière étonnante au
cinéma muet et à une Séville fantasmée. Film muet mais musical, Blanca
Nieves nous plonge dans l’ambiance sensuelle et triste du flamenco
qui, du début à la fin, accompagne les évolutions des acteurs… et surtout des
actrices, toutes magnifiques, de la grand-mère, splendide et émouvante
danseuse, à Blanca Nieves, belle, vraiment, comme une héroïne de film muet, déshéritée qui prend la suite de son père et pénètre dans l'arène sanglante sous les regards inquisiteurs et hostiles, sans oublier
sa terrible belle-mère, cruelle et sublime comme une marâtre de tragédie. Blanca
Nieves ne joue pas des codes du film muet pour s’en moquer, même avec
tendresse, il les sollicite pour servir une adaptation à la fois splendide et
tout à fait habile du conte de fée. L’ambiance gothique du film pourrait rappeler le Vampyr de
Dreyer, notamment à travers les scènes d'intérieur, si ce n’est que la lumière crue de l’Espagne, de l’Andalousie même, déborde de la pellicule, inonde les visages et contraste violemment avec le
noir du deuil, omniprésent. On pense aussi à Bunuel et le soleil dansant sur les corps jusqu'à les faire tomber dans l'image, en noir et blanc, qui les emporte. La beauté des décors et l'ingéniosité de certaines trouvailles, comme la robe blanche de communiante qui se transforme en habit de deuil, met constamment en valeur le contraste tragique sur lequel repose toute l'esthétique et la puissance narrative de Blanca Nieves.
Car Blanca Nieves n’oublie pas non plus, et c’est là son autre mérite, que les contes de fées sont cruels, et celui-ci l’est particulièrement. En suscitant une rencontre improbable entre Garcia Marquez, la tauromachie, le conte pour enfants et le cinéma muet, Pablo Berger, le réalisateur, restitue la cruauté et la violence de l’univers des frères Grimm et nous sommes bien loin ici des adaptations charmantes de Disney. Les scènes de corrida, superbes et impitoyables, font écho à l’âpre destinée des personnages du film, placée sous le signe de la fatalité, une fatalité antique car Blanca Nieves semble emprunter également à la tragédie racinienne, comme aux plus tristes flamencos, l’idée du malheur inéluctable qui guette les hommes et les femmes. Et il y a sûrement plus de réalisme politique dans ce conte hors du temps que dans les relectures plus ou moins biaisées de l'histoire récente. Il suffit de voir le contraste saisissant entre ces gueules cassées d'ouvriers et de paysans qui assistent à la corrida et la beauté surréaliste des femmes qui illuminent l'arène. Entre deux, comme dans une parabole, les "responsables" du village (le maire, sa femme, le curé, etc.) ont le visage sec et rigide de ceux qui sont là pour juger, ou méphistophélique, comme celui du manager véreux. Il faudrait encore parler de ces nains bienveillants qui recueillent une jeune femme sans mémoire, comme les "mis à l'écart", les asociaux recueillent la peine du monde. Le film se termine du côté de Tod Browning (Freaks) et des foires de l'étrange. Décidément, le conte est beau... et cruel.
Coincé entre la 3D, la violence aseptisée de navets produits à la chaîne et le second degré fatigué de réalisateurs dont l’absence d’imagination se camoufle derrière le ricanement et l’hystérie, Blanca Nieves risque de ne connaître qu’un succès d’estime. On ne le souhaite pas à Pablo Berger, réalisateur qui a compris que, muet ou parlant, le cinéma n’est pas un simple exercice de singe savant mais avant tout l’art de dépeindre et de raconter. Blanca Nieves s’y emploie magnifiquement.
Car Blanca Nieves n’oublie pas non plus, et c’est là son autre mérite, que les contes de fées sont cruels, et celui-ci l’est particulièrement. En suscitant une rencontre improbable entre Garcia Marquez, la tauromachie, le conte pour enfants et le cinéma muet, Pablo Berger, le réalisateur, restitue la cruauté et la violence de l’univers des frères Grimm et nous sommes bien loin ici des adaptations charmantes de Disney. Les scènes de corrida, superbes et impitoyables, font écho à l’âpre destinée des personnages du film, placée sous le signe de la fatalité, une fatalité antique car Blanca Nieves semble emprunter également à la tragédie racinienne, comme aux plus tristes flamencos, l’idée du malheur inéluctable qui guette les hommes et les femmes. Et il y a sûrement plus de réalisme politique dans ce conte hors du temps que dans les relectures plus ou moins biaisées de l'histoire récente. Il suffit de voir le contraste saisissant entre ces gueules cassées d'ouvriers et de paysans qui assistent à la corrida et la beauté surréaliste des femmes qui illuminent l'arène. Entre deux, comme dans une parabole, les "responsables" du village (le maire, sa femme, le curé, etc.) ont le visage sec et rigide de ceux qui sont là pour juger, ou méphistophélique, comme celui du manager véreux. Il faudrait encore parler de ces nains bienveillants qui recueillent une jeune femme sans mémoire, comme les "mis à l'écart", les asociaux recueillent la peine du monde. Le film se termine du côté de Tod Browning (Freaks) et des foires de l'étrange. Décidément, le conte est beau... et cruel.
Coincé entre la 3D, la violence aseptisée de navets produits à la chaîne et le second degré fatigué de réalisateurs dont l’absence d’imagination se camoufle derrière le ricanement et l’hystérie, Blanca Nieves risque de ne connaître qu’un succès d’estime. On ne le souhaite pas à Pablo Berger, réalisateur qui a compris que, muet ou parlant, le cinéma n’est pas un simple exercice de singe savant mais avant tout l’art de dépeindre et de raconter. Blanca Nieves s’y emploie magnifiquement.
In Memoriam Pepe,
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