L’année de ses onze ans, Dada Massilo assista pour la
première fois à un ballet classique : le Lac des Cygnes[1]. Fascinée par la féerie du spectacle et par la beauté des
costumes, la petite fille se promit alors de créer « son » Lac des Cygnes. Agée aujourd’hui de 26 ans, cette toute jeune danseuse sud-africaine,
qui a déjà incarné à la scène des personnages passionnés et parfois sulfureux
comme Juliette, Carmen ou Lady Macbeth, réalise enfin son rêve d’enfant :
danser en tutu dans Swan Lake, spectacle qu’elle a elle-même chorégraphié.
Pour nous, qui ignorons tout de la danse
classique, nous suspectons très fortement le ballet de raconter toujours la
même histoire avec toujours les mêmes personnages, et qu’il est impossible de
changer quoi que ce soit tant les codes artistiques sont rigides. Tous les
ballets que nous avons pu voir pourraient se résumer dans un unique ballet dont
le titre générique serait : "Filles en tutus au clair de lune".
(traduction d’un extrait du monologue en anglais de Swan Lake)
Le spectacle s’ouvre
sur cette opinion de néophyte que Dada Massilo s’empresse de faire voler en
éclats. Non, tous les ballets ne racontent pas la même histoire :
la scène du bal de l’acte III du Lac des Cygnes au cours de
laquelle aucune jeune femme ne réussit à retenir l’attention du prince
Siegfried jusqu’à l’arrivée d’une belle étrangère (la magicienne Odile, cygne
noir qui se fait passer pour Odette, cygne blanc) devient un mariage arrangé
africain où la future mariée, le cygne blanc joué par Dada Massilo en personne,
range le paquet de billets qui lui sert de dot dans son corsage au milieu des
danses et des youyous et où la préférence de Siegfried pour le cygne noir donne
lieu à un mélodrame familial. Non, il n’est pas impossible de toucher aux codes
de la danse classique. La passion de Dada Massilo pour les tutus est telle que
même les danseurs en portent un sans que cela soit ridicule : ils
incarnent ainsi d’autant mieux des cygnes graciles et délicats. Surtout, la
jeune femme relève un défi qui tient de la gageure : harmoniser
parfaitement les déhanchés d’une danse africaine enracinée dans le sol et la
verticalité de la danse classique, beaucoup plus aérienne, au point de passer
très subtilement de l’une à l’autre sans la moindre rupture. La chorégraphe
caresse déjà un nouveau projet du même genre : apprendre la danse
folklorique du Bostwana et la mêler à de la danse contemporaine dans un nouveau
spectacle.
Contrairement à ce que l’on pourrait
penser, Swan Lake n’est en rien une parodie grotesque de la
version originelle du Lac des Cygnes, mais un hommage
très personnel, à la fois drôle et sensible, que Dada Massilo rend à ce ballet
mythique. Le pas de deux du prince Siegfried et du cygne noir (le personnage
d’Odile ici dansé par un homme) révèle ainsi très subtilement les sentiments du
prince pour l’oiseau, grâce à un simple geste. Peu auparavant, la jeune femme
que Siegfried était censé épouser lui avait lancé un baiser, portant sa main à
ses lèvres pour la poser ensuite tendrement sur le front, le nez et la bouche
du jeune homme. Le prince esquisse timidement ce geste à plusieurs
reprises : il porte sa main à ses lèvres puis, au terme d’une longue
hésitation, ose enfin toucher le front, le nez et les lèvres du danseur
incarnant le cygne noir. A l’instar de Siegfried, Dada Massilo a longtemps
attendu avant d’entamer un pas de deux avec le Lac des Cygnes et
d’oser lui donner un baiser tendre et délicat.
Swan Lake. De Dada Masilo. Spectacle en tournée en France et en Europe jusqu'en juin 2014
[1] Ballet en quatre tableaux de Piotr Tchaïkovski créé à Moscou en 1877 par Julius Reisinger, qui prit sa forme de référence en 1893 après le remaniement du livret par Marius Petipa et Ivan Vsevolojski. Noureev proposa sa version du ballet en 1984.
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