mercredi 13 février 2013

Swan Lake


L'accolade chaleureuse donnée par le multiculturalisme représente-t-elle pour la culture classique le baiser de la mort ou est-il possible d'organiser la rencontre des cultures sans sombrer dans la mièvrerie transgenre ? C'est là question que pose la réinterprétation très personnelle du Lac des Cygnes de Dada Masilo. 





             L’année de ses onze ans, Dada Massilo assista pour la première fois à un ballet classique : le Lac des Cygnes[1]. Fascinée par la féerie du spectacle et par la beauté des costumes, la petite fille se promit alors de créer « son » Lac des Cygnes. Agée aujourd’hui de 26 ans, cette toute jeune danseuse sud-africaine, qui a déjà incarné à la scène des personnages passionnés et parfois sulfureux comme Juliette, Carmen ou Lady Macbeth, réalise enfin son rêve d’enfant : danser en tutu dans Swan Lake, spectacle qu’elle a elle-même chorégraphié.

Pour nous, qui ignorons tout de la danse classique, nous suspectons très fortement le ballet de raconter toujours la même histoire avec toujours les mêmes personnages, et qu’il est impossible de changer quoi que ce soit tant les codes artistiques sont rigides. Tous les ballets que nous avons pu voir pourraient se résumer dans un unique ballet dont le titre générique serait : "Filles en tutus au clair de lune".


(traduction d’un extrait du monologue en anglais de Swan Lake)






        Le spectacle s’ouvre sur cette opinion de néophyte que Dada Massilo s’empresse de faire voler en éclats. Non, tous les ballets ne racontent pas la même histoire : la scène du bal de l’acte III du Lac des Cygnes au cours de laquelle aucune jeune femme ne réussit à retenir l’attention du prince Siegfried jusqu’à l’arrivée d’une belle étrangère (la magicienne Odile, cygne noir qui se fait passer pour Odette, cygne blanc) devient un mariage arrangé africain où la future mariée, le cygne blanc joué par Dada Massilo en personne, range le paquet de billets qui lui sert de dot dans son corsage au milieu des danses et des youyous et où la préférence de Siegfried pour le cygne noir donne lieu à un mélodrame familial. Non, il n’est pas impossible de toucher aux codes de la danse classique. La passion de Dada Massilo pour les tutus est telle que même les danseurs en portent un sans que cela soit ridicule : ils incarnent ainsi d’autant mieux des cygnes graciles et délicats. Surtout, la jeune femme relève un défi qui tient de la gageure : harmoniser parfaitement les déhanchés d’une danse africaine enracinée dans le sol et la verticalité de la danse classique, beaucoup plus aérienne, au point de passer très subtilement de l’une à l’autre sans la moindre rupture. La chorégraphe caresse déjà un nouveau projet du même genre : apprendre la danse folklorique du Bostwana et la mêler à de la danse contemporaine dans un nouveau spectacle. 
        Contrairement à ce que l’on pourrait penser, Swan Lake n’est en rien une parodie grotesque de la version originelle du Lac des Cygnes, mais un hommage très personnel, à la fois drôle et sensible, que Dada Massilo rend à ce ballet mythique. Le pas de deux du prince Siegfried et du cygne noir (le personnage d’Odile ici dansé par un homme) révèle ainsi très subtilement les sentiments du prince pour l’oiseau, grâce à un simple geste. Peu auparavant, la jeune femme que Siegfried était censé épouser lui avait lancé un baiser, portant sa main à ses lèvres pour la poser ensuite tendrement sur le front, le nez et la bouche du jeune homme. Le prince esquisse timidement ce geste à plusieurs reprises : il porte sa main à ses lèvres puis, au terme d’une longue hésitation, ose enfin toucher le front, le nez et les lèvres du danseur incarnant le cygne noir. A l’instar de Siegfried, Dada Massilo a longtemps attendu avant d’entamer un pas de deux avec le Lac des Cygnes et d’oser lui donner un baiser tendre et délicat.




Swan Lake. De Dada Masilo. Spectacle en tournée en France et en Europe jusqu'en juin 2014






[1] Ballet en quatre tableaux de Piotr Tchaïkovski créé à Moscou en 1877 par Julius Reisinger, qui prit sa forme de référence en 1893 après le remaniement du livret par Marius Petipa et Ivan Vsevolojski. Noureev proposa sa version du ballet en 1984.

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