Le
30 avril 1966, Anton Szandor LaVey fonde l’Église de Satan et se donne pour but
de transformer le corps de l’homme et ses désirs charnels en objet de
célébration. Depuis cette date, lui et son organisation constituent la face
noire de l’American way of life et jouent un rôle beaucoup plus complexe
qu’il n’y paraît : d’un côté, celui de repoussoir absolu qui incarne le
Diable, ce diviseur qui rompt l’unité de l’ordre social, et, de l’autre, celui
du symptôme d’une Amérique malade d’elle-même, et capable d’aller jusqu’au bout
de sa liberté, au risque de l’impiété. Dans ce contexte, LaVey réussit le tour
de force de s’imposer comme un « petit entrepreneur de salut » dont
le credo est sans appel : livrer le monde aux plaisirs carnassiers
des hommes sans Dieu et, incidemment, le délivrer de la tiédeur hypocrite des
croyants.
Né
à Chicago en 1930 dans une famille de la classe moyenne, le jeune Anton se
détourne rapidement des études pour satisfaire son attrait pour la littérature
occulte et les films fantastiques. Il exerce divers métiers, dont celui de
dompteur de lions dans des spectacles de foire, avant de faire de la magie son
activité principale. Marié à Carole Lansing en 1951 et père d’une petite fille
(Karla) l’année suivante, il installe sa famille dans une maison victorienne
située sur California street à San Francisco. Repeinte en noir, la
demeure de LaVey reflète son goût pour la provocation, encore accentuée par la
possession d’un animal « domestique » peu courant : Tagore, un
lion de Nubie. Il organise des vidéoconférences payantes sur les thèmes qui lui
sont chers (spectres, vampires, tueurs en série, etc.) tandis que les fêtes
privées attirent de plus en plus de personnalités locales. Kenneth Anger, jeune
cinéaste en vue à Hollywood, participe à ces réunions et fait part à LaVey de
son intérêt pour les théories de Crowley. Ils fondent ensemble un « Cercle
magique » qui souhaite explorer plus avant la dimension opérative de
l’ésotérisme. C’est dans ce creuset que prend forme la « géométrie
conceptuelle ténébreuse » de LaVey que l’on peut définir comme
l’assemblage d’une culture hétéroclite à partir du point de convergence que
constitue le symbole de Satan.
Quand les médias réinventèrent Satan…
La
fondation de l’Église de Satan s’inscrit dans la contre-culture des années 1960
et navigue entre plusieurs thématiques en vogue : révolution sexuelle,
émancipation individuelle, développement des cultures alternatives, etc. LaVey
doit cependant sa popularité soudaine au traitement médiatique qu’il parvient
d’abord à orchestrer, et ensuite à simplement relayer. Ainsi, la première
manifestation publique de l’Église de Satan fait l’objet d’une préparation
méticuleuse et d’une communication concertée. Le nouveau désigné « Pape
Noir » convie les principaux organes de presse à la célébration du premier
mariage satanique entre le journaliste politique John Raymond et la mondaine
new-yorkaise Judith Case. Mais c’est surtout la cérémonie publique du baptême
de sa seconde fille, Zeena (âgée de trois ans), placée sous les auspices de
« Satan, Lucifer, Bélial, Léviathan, et de tous les démons connus et
inconnus » qui choque l’opinion publique et qui lui assure une notoriété
grandissante.
Et Charles Manson entra en scène…
Deux
faits divers vont finir de le présenter comme le personnage le plus malveillant
des États-Unis. Le premier concerne le décès de l’actrice Jane Mansfield, le 29
juin 1967, dans un accident de voiture qui fait la « une » des
journaux. La presse à sensation souligne son appartenance à l’Église de Satan
et émet l’hypothèse d’un envoûtement. LaVey reprend à son compte la rumeur et
explique que la jeune égérie de Hollywood a conclu un pacte avec le diable pour
ne jamais vieillir ; pacte faustien qui a été honoré dans les
circonstances spéciales de l’accident puisque Mansfield a été en partie
décapitée. Le second fait divers met en scène le gourou Charles Manson et sa
« famille » qui, dans la chaleur suffocante de 1969, perpètrent les
meurtres sauvages de Sharon Tate, ainsi que de quatre autres personnes, et
assassinent les époux LaBianca, un riche couple de Los Angeles. Or, deux membres
de la « famille Manson » ont participé à des activités connexes à
l’Église de Satan. Durant le procès, Manson fait plusieurs déclarations
fracassantes qui attestent de son côté maléfique, voire satanique. En vérité,
les enquêtes menées par les autorités prouveront que l’Église de Satan, loin
d’être un groupe subversif, est plutôt une petite association à vocation
religieuse reconnue par le premier amendement de la Bill of rights.
(à suivre)
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