Pour le marketing multiculturel, la valeur n'attend pas le nombre des années et point n'est besoin d'être sorti de l'enfance pour devenir un véritable "citoyen du monde". Cet article de l'excellent blog de Gabrielle Cluzel nous montre que l'âge tendre est plus que jamais un coeur de cible commercial et idéologique.
Un pays qui ne s’aime pas, cela
se révèle jusque dans des domaines inattendus.
Dans le secteur des jouets, prenons deux marques de
poupées créées il y a plus de trente ans, au positionnement haut de gamme
similaire. Depuis quelques années, toutes deux appartiennent au groupe Mattel mais revendiquent une indépendance et
une spécificité intactes en matière de politique commerciale. L’une d’elle, – Corolle -, est connue pour être le fleuron de
l’industrie française dans ce domaine. L’autre est emblématique, comme son nom
l’indique, de la poupée américaine : American girl.
Qu’ont encore de commun ces deux marques ? De viser une
clientèle aisée, -eu égard au prix-, et d’avoir décidé, (depuis seulement 2011
pour Corolle),
d’investir le segment des fillettes de plus de 8 ans, en imaginant une
gamme qui leur est spécialement destinée.
Mais les angles d’approche ne sont pas franchement les mêmes :
La marque dont on trouve l’enseigne sur la cinquième avenue à New-York et dans
les quartiers les plus chics de Chicago ou Washington propose aux fillettes
deux types de produits. Il y a tout d’abord des « poupées
qui leur ressemblent » : Elles peuvent choisir la couleur des
yeux, des cheveux, rajouter des boucles ou des tâches de rousseur, assortir la
garde-robe à la leur. Il y a surtout une gamme d’une dizaine de poupées en
costume d’époque rattachées à l’Histoire des Etats-Unis, de la loyaliste
Félicity à Kirsten, à la pionnière du Minnesotta en passant par Nellie, tout droit arrivée d’Irlande. Chacune d’entre elles est vendue dans un coffret
comprenant le petit roman historique sa vie.
Le parti pris de Corolle est, vous le pensez bien, radicalement
différent. Nous sommes en France, chers amis, alors des poupées qui vous
ressemblent, des poupées qui racontent l’histoire de France … Z’êtes pas un peu
fous ! Chez nous, toutes les occasions sont bonnes pour inculquer
l’amour de la différence et de la diversité. Alors Corolle a créé les « Kinra girls ».
Kezako? Voici ce que l’on explique sur le site officiel de la marque :
Kumiko, Idalina, Naïma, Rajani et Alexa sont 5 copines des 4 coins
du monde. Elles transportent les petites filles dès 8 ans dans un nouvel
univers de jeu multiculturel. En découvrant leur vie quotidienne, les petites
filles s’approprient la richesse culturelle de chaque personnage : manger des
sushis, mettre un turban, jouer de la guitare, pratiquer la danse indienne et
parcourir le bush australien à cheval…
Les Kinra Girls aident cette nouvelle génération de petites
filles à grandir et à se forger une nouvelle vision du monde qui n’est plus
limitée à leur petit univers mais qui s’ouvre sur tout ce qui les entoure.
Grâce aux Kinra Girls, leur petit monde va devenir grand
! ».
Une espagnole, une indienne, une afro-américaine, une
australienne, une japonaise…Vous pouvez toujours chercher une poupée française,
il n’y en a pas. Et pourquoi donc ? Le clampin qui fait la permanence au
service commercial de Corolle ouvre de grands yeux, fait une réponse
embarrassée : « C’est une bonne question »
(sic). C’est que celui-ci ne connaît sans doute pas les dessous de l’affaire et ignore que, pour ces poupées, (dont la physionomie, un peu
« manga », rompt avec les traits doux et les airs sages de la Corolle
traditionnelle), Corolle est en partenariat avec l’auteur d’une
série de livres intitulés précisément « Kinra girls », une
certaine Moka, de son vrai nom Elvire Murail, connue pour son engagement
littéraire contre le racisme et pour l’altersexualité. (Elle est d’ailleurs la
sœur de Marie-Aude Murail, – déjà évoquée sur ce blog-, auteur de Oh boy, roman
pour adolescents étudié dans les collèges militant pour l’adoption par les
homosexuels). Alors forcément, pour le côté petite fille modèle façon Comtesse
de Ségur, on repassera.
Moi je vous le dis, parfois, vous regretteriez (presque) de ne
pas être américaine.
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