dimanche 17 février 2013

Le monde dans une maison de poupée

              Pour le marketing multiculturel, la valeur n'attend pas le nombre des années et point n'est besoin d'être sorti de l'enfance pour devenir un véritable "citoyen du monde". Cet article de l'excellent blog de Gabrielle Cluzel nous montre que l'âge tendre est plus que jamais un coeur de cible commercial et idéologique.  



Un pays qui ne s’aime pas, cela se révèle jusque dans des domaines inattendus.
Dans le secteur des jouets,  prenons deux marques de poupées créées il y a plus de trente ans, au positionnement haut de gamme similaire. Depuis quelques années, toutes deux appartiennent au groupe Mattel mais revendiquent une indépendance et une spécificité intactes en matière de politique commerciale. L’une d’elle, – Corolle -, est connue pour être le fleuron de l’industrie française dans ce domaine. L’autre est emblématique, comme son nom l’indique, de la poupée américaine : American girl.
Qu’ont encore de commun ces deux marques ? De viser une clientèle aisée, -eu égard au prix-, et d’avoir décidé, (depuis seulement 2011 pour Corolle), d’investir le segment  des fillettes de plus de 8 ans, en imaginant une gamme qui leur est spécialement destinée.
Mais les angles d’approche ne sont pas franchement les mêmes : La marque dont on trouve l’enseigne sur la cinquième avenue à New-York et dans les quartiers les plus chics de Chicago ou Washington propose aux fillettes deux types de produits. Il y a tout d’abord des « poupées qui leur ressemblent » : Elles peuvent choisir la couleur des yeux, des cheveux, rajouter des boucles ou des tâches de rousseur, assortir la garde-robe à la leur. Il y a surtout une gamme d’une dizaine de poupées en costume d’époque  rattachées à l’Histoire des Etats-Unis, de la loyaliste Félicity  à Kirsten, à la pionnière du Minnesotta en passant par Nellie, tout droit arrivée d’Irlande. Chacune d’entre elles est vendue dans un coffret comprenant le petit roman historique sa vie.
Le parti pris de Corolle est, vous le pensez bien, radicalement différent. Nous sommes en France, chers amis,  alors des poupées qui vous ressemblent, des poupées qui racontent l’histoire de France … Z’êtes pas un peu fous  ! Chez nous, toutes les occasions sont bonnes pour inculquer  l’amour de la différence et de la diversité. Alors Corolle a créé les « Kinra girls ». Kezako? Voici ce que l’on explique sur le site officiel de la marque :
Kumiko, Idalina, Naïma, Rajani et Alexa sont 5 copines des 4 coins du monde. Elles transportent les petites filles dès 8 ans dans un nouvel univers de jeu multiculturel. En découvrant leur vie quotidienne, les petites filles s’approprient la richesse culturelle de chaque personnage : manger des sushis, mettre un turban, jouer de la guitare, pratiquer la danse indienne et parcourir le bush australien à cheval…
Les Kinra Girls aident cette nouvelle génération de petites filles à grandir et à se forger une nouvelle vision du monde qui n’est plus limitée à leur petit univers mais qui s’ouvre sur tout ce qui les entoure.
Grâce aux Kinra Girls, leur petit monde va devenir grand ! ».
Une espagnole, une indienne, une afro-américaine, une australienne, une japonaise…Vous pouvez toujours chercher une poupée française, il n’y en a pas. Et pourquoi donc ? Le clampin qui fait la permanence au service commercial de Corolle ouvre de grands yeux, fait une réponse embarrassée : « C’est une bonne question » (sic). C’est que celui-ci ne connaît sans doute pas les dessous de l’affaire et ignore que, pour ces poupées, (dont la physionomie,  un peu « manga »,  rompt avec les traits doux et les airs sages de la Corolle traditionnelle), Corolle est en partenariat avec l’auteur d’une  série de livres intitulés précisément « Kinra girls », une certaine Moka, de son vrai nom Elvire Murail, connue pour son engagement littéraire contre le racisme et pour l’altersexualité. (Elle est d’ailleurs la sœur de Marie-Aude Murail, – déjà évoquée sur ce blog-, auteur de Oh boy, roman  pour adolescents étudié dans les collèges militant pour l’adoption par les homosexuels). Alors forcément, pour le côté petite fille modèle façon Comtesse de Ségur, on repassera.
Moi je vous le dis, parfois, vous regretteriez (presque) de ne pas être américaine.

Gabrielle Cluzel (http://gabrielle-cluzel.fr/)



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