lundi 11 février 2013

L'humeur vagabonde


              Nos camarades de Zone Critique nous rappellent, à juste titre, à quel point il est agréable de retrouver la plume vagabonde d'Antoine Blondin. Ca tombe bien, la Table Ronde a réédité, en 2011, L'humeur vagabonde et Un singe en hiver dans un beau volume broché. 



En 1955 Antoine Blondin publie L’humeur vagabonde, réédité en ce novembre. L’humeur vagabonde est un récit court, modeste, pudique. Car il n’était pas besoin à Blondin de s’étaler trop pour dire incroyablement la pudique mélancolie en lui, le regret doux et la nostalgie légère, d’une modernité désormais absurde, et l’humanité énorme, en remède, enfin.
Benoît Laborie quitte femme et enfants pour faire fortune à Paris. Mais la capitale lui garde ses portes fermées, le refoule, sans bruits, sans fatigues, sans épreuves. Benoît ne trouve pas à Paris ce qu’il était venu y récolter : des pépites de gloires, des éclats de femme. Il erre, en marge, du cimetière Lachaise à son hôtel de passes, il flotte, et passe au travers de son succès, à l’image, peut-être, d’Aurélien. Car en rien Benoît n’a l’étoffe du héros balzacien, ni son intelligence de calcul, celle d’un Rastignac, ni son brillant, celui d’un Rubempré. Naïf et interdit, car encore fait des épaisses convictions de sa vie rurale, devant les ruses et les finesses mondaines, qui font route vers les succès, Benoît n’aura, contre ce monde de frivolités et de puissances, en rien la rage d’un Rubempré, humilié en sa première apparition sur Paris, et qui lui ouvrira les succès qu’Illusions Perdues narre. Non, Benoît n’est pas de cette race, mais plutôt des rêveurs, des nostalgiques, des errants. De ceux que la société dit ratés, car celle-ci s’offre aux intelligences cyniques et non à ceux qui pèsent par leur humanité.
Et c’est de cette fatalité moderne que Blondin, dans l’errance de Benoît, rit doucement, dans son regret doux et désespéré d’un monde où chacun s’oublie dans la vacuité mondaine, dans l’ivresse du pouvoir. Où les hommes ne communiquent plus. Où la tendresse est une tare. Où l’humeur vagabonde est prohibée.
Il est incroyable qu’Antoine Blondin ait pu être classé à l’extrême droite, tant son récit déborde de tendresse, est apologie de la tendresse en remède à la modernité, à son vice premier: la surdité, à ce qui devrait nous faire sens, c’est à dire la rêverie, la sincérité, une certaine forme de faiblesse peut-être, l’humanité. L’humeur vagabonde, en une forme littéraire absolument opposée, pourrait être la meilleure réponse au Gilles de Pierre Drieu la Rochelle.
Mais alors, puisque ce monde-là ne peut être changé, parce que Benoît n’en a pas la force, se contente-t-il d’observer, doucement, pudiquement, les tristes et faibles motivations qui poussent les êtres à agir, leur petitesse, leur fausse route. Et dans ce regard humide de regrets, d’un monde qui se fourvoie, peut-être y a-t-il déjà, tant la douceur est ici omniprésente, enveloppante, peut-être y a-t-il déjà, sinon l’absolution, tout au moins la compréhension, l’énorme effort de compréhension, et le pardon. Se fait jour alors, à voix basse, et parce qu’il n’est plus que cela à faire, cette prière, cet espérance, cette vérité, qu’un jour peut-être, le monde se retrouvera, dans son incroyable potentiel d’humanité gâché.
En un peu moins de deux cents pages cristallines, légères, aériennes, Antoine Blondin arrache des larmes. Car c’est un idéaliste, un naïf peut-être, mais de cette terrible naïveté qui ne lui fait pas hésiter à opposer, en remède à la frivolité et à l’incommunication, la simplicité et l’écoute. Ce qui nous fait humain. Sa naïveté n’est alors que le premier bon sens. Le parfum qu’exhale l’humeur vagabonde est inimitable. Celui de la résignation douce. De la souffrance vraie. De l’amour. Du pardon. De l’espoir :
« C’est la nuit maintenant, manteau des déracinés. Sous la veilleuse qui veille quoi, la religieuse se prend à égrener son chapelet, le monsieur décoré se déchausse en douce, le pêcheur remaille son filet, le vieux jockey se sent le derrière entre deux selles, les archiducs s’endorment au garde-à-vous, Dolorès achève des lainages pour ses enfants qu’elle n’achève pas…et moi, j’attends que les communications soient rétablies entre les êtres.
Un jour peut-être, nous abattrons les cloisons de notre prison ; nous parlerons à des gens qui nous répondrons ; le malentendu se dissipera entre les vivants ; les morts n’auront plus de secrets pour nous.
Un jour, nous prendrons des trains qui partent. »


Antoine Blondin. L'humeur vagabonde - Un singe en hiver. La Table Ronde. [Hors Collection]. 2011

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