Nos camarades de Zone Critique nous rappellent, à juste titre, à quel point il est agréable de retrouver la plume vagabonde d'Antoine Blondin. Ca tombe bien, la Table Ronde a réédité, en 2011, L'humeur vagabonde et Un singe en hiver dans un beau volume broché.
En 1955
Antoine Blondin publie L’humeur vagabonde, réédité en ce novembre. L’humeur
vagabonde est un récit court, modeste, pudique. Car il n’était pas besoin à
Blondin de s’étaler trop pour dire incroyablement la pudique mélancolie en lui,
le regret doux et la nostalgie légère, d’une modernité désormais absurde, et
l’humanité énorme, en remède, enfin.
Benoît
Laborie quitte femme et enfants pour faire fortune à Paris. Mais la capitale
lui garde ses portes fermées, le refoule, sans bruits, sans fatigues, sans
épreuves. Benoît ne trouve pas à Paris ce qu’il était venu y récolter : des
pépites de gloires, des éclats de femme. Il erre, en marge, du cimetière
Lachaise à son hôtel de passes, il flotte, et passe au travers de son succès, à
l’image, peut-être, d’Aurélien. Car en rien Benoît n’a l’étoffe du héros
balzacien, ni son intelligence de calcul, celle d’un Rastignac, ni son
brillant, celui d’un Rubempré. Naïf et interdit, car encore fait des épaisses
convictions de sa vie rurale, devant les ruses et les finesses mondaines, qui
font route vers les succès, Benoît n’aura, contre ce monde de frivolités et de
puissances, en rien la rage d’un Rubempré, humilié en sa première apparition
sur Paris, et qui lui ouvrira les succès qu’Illusions Perdues narre. Non,
Benoît n’est pas de cette race, mais plutôt des rêveurs, des nostalgiques, des
errants. De ceux que la société dit ratés, car celle-ci s’offre aux
intelligences cyniques et non à ceux qui pèsent par leur humanité.
Et c’est
de cette fatalité moderne que Blondin, dans l’errance de Benoît, rit doucement,
dans son regret doux et désespéré d’un monde où chacun s’oublie dans la vacuité
mondaine, dans l’ivresse du pouvoir. Où les hommes ne communiquent plus. Où la
tendresse est une tare. Où l’humeur vagabonde est prohibée.
Il est
incroyable qu’Antoine Blondin ait pu être classé à l’extrême droite, tant son
récit déborde de tendresse, est apologie de la tendresse en remède à la
modernité, à son vice premier: la surdité, à ce qui devrait nous faire sens,
c’est à dire la rêverie, la sincérité, une certaine forme de faiblesse
peut-être, l’humanité. L’humeur vagabonde, en une forme littéraire absolument
opposée, pourrait être la meilleure réponse au Gilles de Pierre Drieu la
Rochelle.
Mais alors,
puisque ce monde-là ne peut être changé, parce que Benoît n’en a pas la force,
se contente-t-il d’observer, doucement, pudiquement, les tristes et faibles
motivations qui poussent les êtres à agir, leur petitesse, leur fausse route.
Et dans ce regard humide de regrets, d’un monde qui se fourvoie, peut-être y a-t-il
déjà, tant la douceur est ici omniprésente, enveloppante, peut-être y a-t-il
déjà, sinon l’absolution, tout au moins la compréhension, l’énorme effort de
compréhension, et le pardon. Se fait jour alors, à voix basse, et parce qu’il
n’est plus que cela à faire, cette prière, cet espérance, cette vérité, qu’un
jour peut-être, le monde se retrouvera, dans son incroyable potentiel
d’humanité gâché.
En un
peu moins de deux cents pages cristallines, légères, aériennes, Antoine Blondin
arrache des larmes. Car c’est un idéaliste, un naïf peut-être, mais de cette
terrible naïveté qui ne lui fait pas hésiter à opposer, en remède à la
frivolité et à l’incommunication, la simplicité et l’écoute. Ce qui nous fait
humain. Sa naïveté n’est alors que le premier bon sens. Le parfum qu’exhale
l’humeur vagabonde est inimitable. Celui de la résignation douce. De la
souffrance vraie. De l’amour. Du pardon. De l’espoir :
« C’est
la nuit maintenant, manteau des déracinés. Sous la veilleuse qui veille quoi,
la religieuse se prend à égrener son chapelet, le monsieur décoré se déchausse
en douce, le pêcheur remaille son filet, le vieux jockey se sent le derrière
entre deux selles, les archiducs s’endorment au garde-à-vous, Dolorès achève
des lainages pour ses enfants qu’elle n’achève pas…et moi, j’attends que les
communications soient rétablies entre les êtres.
Un jour
peut-être, nous abattrons les cloisons de notre prison ; nous parlerons à des
gens qui nous répondrons ; le malentendu se dissipera entre les vivants ; les
morts n’auront plus de secrets pour nous.
Un
jour, nous prendrons des trains qui partent. »
Antoine Blondin. L'humeur vagabonde - Un singe en hiver. La Table Ronde. [Hors Collection]. 2011
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