Dimanche 27 janvier, au théâtre du Rond-Point, on défendait le
mariage pour tous mais les petits fours n’étaient pas pour tout le monde. Il
n’y avait pas assez de place pour accueillir le public arguait-on du côté de
l’organisation. Il ne s’agissait pas en effet d’ouvrir grand les portes au tout
venant. L’égalité a ses limites. Où donc aurait-on mis Laurence Ferrari,
Lara Fabia, Manuel Valls et Valérie Trierweiler ? Chacun à sa place,
la fine fleur de l’aristocratie progressiste ne fraie pas avec la piétaille.
La nuit de la déprime? Non, la soirée Bergé.
La soirée de Bergé a simplement achevé de démontrer que la lutte
en faveur du « mariage pour tous » est surtout menée au profit de
quelques-uns. Réduisons ce noble combat à ce qu’il est : un divertissement
sociétal et télégénique mené par une petite intelligentsia tyrannique qui cherche à s’inventer
des raisons de croire qu’elle est encore de gauche, qu’elle est progressiste,
qu’elle est égalitaire. De croire ? De convaincre au mieux ceux qui
seraient encore assez naïfs pour penser que tous ceux qui étaient là dimanche
en ont encore quelque chose à foutre de l’égalité qu’ils ont constamment à la
bouche. Ce n’est pas pour rien que tous ceux-là se pressaient à la mangeoire
d’un homme capable de déclarer : « Moi je suis pour toutes les
libertés. Louer son ventre pour faire un enfant ou louer ses bras pour
travailler à l'usine, quelle différence? »[1] Nous sommes aujourd’hui dans une
situation de confusion idéologique telle que ce genre de cynisme peut passer
pour du progressisme. On devine cependant, que pour les stars présentes ce
soir-là au théâtre du Rond-point, le fait de pouvoir être vu à la soirée Bergé
faisait office de brevet de respectabilité en garantissant l’estampille
« défenseur de la liberté et des droits ». Le geste de la chanteuse
Shy’m la veille qui a décidé de faire du bouche à bouche à une de ses danseuses
en plein show participe de la même logique : s’afficher comme tolérante et
cool, soit fréquentable et banquable. Cela n’a rien à voir avec l’engagement,
il s’agit d’une stratégie de communication, simpliste mais efficace.
Jean-Laurent Cassely l’écrivait très justement dans Slate il y a quelques jours, une partie
de l’intelligentsia de
gauche est dans l’impasse aujourd’hui. Elle n’a plus d’engagement social, elle
a abandonné toute préoccupation idéologique et peine à faire croire à sa
radicalité militante. Il lui faut donc se fabriquer un ennemi et composer pour
cela « l’illusion d’une société réactionnaire et punitive » en
faisant croire que « l'idéologie naturelle de la société du spectacle
serait le "néoconservatisme", soit un mélange d'austérité religieuse,
de contrôle éducatif impitoyable, et de renforcement incessant des institutions
patriarcales, racistes et militaires.»[2] Tous les moyens sont bons dès lors
pour s’afficher dans le camp du bien en brandissant les arguments les plus
insolites et en usant des raccourcis les plus incroyables, ce qui autorise le
député PS Christian Assaf à proclamer en pleine assemblée que « le temps
du triangle rose est terminé ! » ou encore l’excellent Jean-Michel
Ribes à conclure que « le papa et la maman, ça a donné
Hitler ». Etait-il sérieux en sortant une telle énormité? Si c'est le cas, Roland Topor doit sûrement se retourner dans sa tombe…
J'accepte la contradiction mais faut pas pousser
Dès lors, peu importent les arguments eux-mêmes avancés par ceux
qui se déclarent opposés au mariage pour tous et à ses inévitables corollaires,
adoption et extension de la PMA voire de la GPA, aucune des raisons invoquées
pour justifier cette opposition ne compte puisque semblable opinion est tout
simplement injustifiable aux yeux des défenseurs d’une certaine respectabilité
intellectuelle. On peut en juger par exemple en considérant la passe d’arme qui
a opposé dans le journal Le
Monde la sociologue Nathalie
Heinich et son confrère Alain Quemin. Dans une tribune publiée le 29 janvier,
Nathalie Heinich croit bon de revenir sur quelques sophismes trop souvent
utilisés par les partisans du mariage gay et notamment le fait de réduire le
mariage à la simple reconnaissance d’un lien amoureux et à la reconnaissance
institutionnelle d’une orientation sexuelle, ce qui revient à admettre que
l’Etat ait un droit de regard sur la sexualité et l’intimité des personnes.
« Faut-il accepter, au nom de l'égalité, que la sexualité entre adultes
consentants devienne, pour tous - hétérosexuels comme homosexuels -, une
affaire d'Etat ? C'est là une conséquence majeure de l'actuel projet de loi,
qui mériterait d'être, pour le moins, discutée. »[3] Visiblement non pour Alain Quemin,
partisan lui du mariage gay, qui réplique vertement à sa consœur le même
jour[4] lui déniant toute légitimité à intervenir dans le débat et lui reprochant
de ne pas user des références appropriées. On ne sera pas surpris d’apprendre
que le dit Alain Quémin ne s’embarrasse pas quant à lui de références ou de
légitimité tant ces deux arguments se voient systématiquement brandis face à
quiconque a l’audace d’opposer aux partisans de l’égalité, de la fraternité et
de la liberté un discours critique un tant soit peu cohérent et donc
potentiellement menaçant. « Liberté, égalité, fraternité », c’est
d’ailleurs la formule qui conclut l’acte d’accusation d’Alain Quemin, tout
comme elle ponctue régulièrement l’argumentaire laborieux d’un Jean-Michel
Ribes. La pauvre Nathalie Heinich se fatigue pour rien : même le dernier
des illuminés peut la pulvériser en un tournemain en lui donnant du
« Liberté, égalité, fraternité » et en l’accusant de ne pas avoir les
références.
La posture vertueuse permet donc de disqualifier toute tentative
de mettre en avant les limites et les dangers recelés par certains aménagements
législatifs et constitutionnels fondés sur l’amour du prochain, quel que soit
son sexe. Ainsi, on peut penser que le débat autour de l’extension de la PMA ou
de la légalisation de la GPA ne devrait pas trop durer, puisque selon les mêmes
logiques, tous ceux qui mettront en avant les implications éthiques (le corps
humains transformés en self-service),
sociales (au vu des tarifs pratiqués on peut raisonnablement croire qu’il
subsistera un léger différentiel social entre parents adoptifs et mère
porteuse) voire eugéniques (le questionnaire visant à évaluer le capital
génétique des donneurs de sperme ou des mères porteuses afin de garantir une
satisfaction optimum de la clientèle est déjà une réalité dans les pays moins
« en retard » que la France sur la question) de cette avancée se
verront immédiatement et sévèrement recadrés en fonction du nouveau dogme de la
Sainte Trinité de la Coolitude Morale, à savoir : tu n’es pas d’accord
avec moi, tu es donc 1) homophobe, 2) raciste, 3) fasciste (cochez la case
correspondant à la situation, voire cochez-les toutes). Le procédé est devenu
traditionnel. On l’a vu à l’œuvre dans un autre contexte en 1992 lors de la campagne pour le oui à
Maastricht, puis en faveur de la constitution européenne en 2005, autres grands
moments du débat démocratique. Il
est de bon ton aujourd’hui pour une partie des rebellocrates, comme disait le
regretté Philippe Muray, de proclamer avec beaucoup de hauteur et de
condescendance qu’il n’y a pas de débat sur les questions dont ils ont choisi
la réponse. C’est une position qui était jusqu’à présent, et qui reste toujours
dans une certaine mesure, très facile à défendre autour de combats – la défense
du mariage pour tous, celle de l’adoption par les homosexuels, l’antiracisme,
l’antifascisme…etc…etc…- consensuels et de thématiques généreuses qui sont au
cœur de la coolitude, autrement dit d’un prêt-à-penser socialement acceptable
qui est la clé de ce qu’on appelle aujourd’hui le « totalitarisme
mou », c’est-à dire le flicage sympa mais ferme de chacun par chacun.
Le danger de cette position dominante, sur le plan médiatique et
social, de cette coolitude idéologique est qu’elle contribue à creuser de façon
souterraine des clivages de plus en plus marqués et à former des antagonismes
de plus en plus indépassables. Comment en effet ne pas mépriser la personne qui
a le cynisme de prendre pour prétexte le respect des droits de la personne afin
de réduire l’enfantement à un acte d’achat ? Comment à son tour ne pas
considérer comme d'irrécupérables imbéciles ceux qui n'ont plus recours qu'à
l'anathème et à l'insulte pour se justifier et n'hésitent pas ensuite à se
présenter comme de perpétuelles "victimes de la haine"? De
manière générale on peut simplement constater que la polémique autour du
mariage homosexuel et la condamnation aussi agressive que systématique de tout
ce qui ne ressemble pas à un consensus par les tenants du progressisme radical
illustre non pas le divorce entre « la république et les
catholiques » comme le fantasmaient quelques journaux mais également
entre la gauche intellectuelle et le peuple, qui n’est plus cool, ni progressiste,
ni fréquentable depuis longtemps. L'autre écueil que ne voient peut-être pas
les partisans les plus belliqueux du mariage pour tous et les plus prompts à
en appeler à la puissance publique pour punir les "discours de
haine", c'est exactement celui que décrit Judith Butler, pourtant la papesse des
théories du genre, dans son ouvrage Le
pouvoir des mots. Politique du performatif: dès lors qu'on demande
à l’État de devenir l’arbitre systématique des violences verbales exercées par des citoyens sur
des citoyens au nom de la lutte contre la discrimination, « la résistance
politique court le risque de se réduire à l’acte d’engager des poursuites ».[5]
C'est bien en un sens ce en quoi se sont transformés les acteurs de la
radicalité militante gay et lesbienne: en petits flics
procéduriers désormais incapable d'user d'autres moyens rhétoriques que celui de la posture victimaire, de l'insulte et de la menace juridique face à la moindre contradiction.
Si les participants à la manif pour tous du 13 janvier n'ont pas refait 1984 en égalant l'ampleur du mouvement en faveur de l'école libre, les LGBT ont quant à eux accouché de leur premier enfant: un 1984 orwellien de pacotille dans lequel le langage est constamment suspect et la parole au service d'une réécriture du réel. Ajoutons à cela la possibilité que laissera dans un futur proche la PMA et la GPA pour quelques couples aisés (homosexuels et hétérosexuels d'ailleurs, à partir du moment où la brèche sera ouverte pourquoi se priver?) d'avoir des enfants à la carte et de louer les ventres comme d'autres louent leurs bras à l'usine et nous auront un avant-goût du 1984 à la sauce consumériste que défend Pierre Bergé. Salauds de riches.
Salauds de riches
[1]
http://www.lefigaro.fr/actualite-france/2012/12/16/01016-20121216ARTFIG00208-mariage-gay-les-partisans-perdent-le-match-de-la-rue.php
[2]
http://www.slate.fr/story/67615/campagne-mediatique-mariage-pour-tous.
Jean-Claude Michéa. Retour sur la question libérale. Cité par
Jean-Laurent Cassely.
[3]
http://www.lemonde.fr/idees/article/2013/01/29/mariage-gay-halte-aux-sophismes_1823018_3232.html
[4] http://www.lemonde.fr/idees/article/2013/01/29/quand-le-risque-de-l-egalite-fait-perdre-la-raison_1824123_3232.html
[5] Judith Butler, 2004, Le pouvoir des mots. Politique du performatif, traduit de l’anglais (Excitable Speech, Routledge, 1997) par Charlotte Nordmann, Paris, Éditions Amsterdam
[4] http://www.lemonde.fr/idees/article/2013/01/29/quand-le-risque-de-l-egalite-fait-perdre-la-raison_1824123_3232.html
[5] Judith Butler, 2004, Le pouvoir des mots. Politique du performatif, traduit de l’anglais (Excitable Speech, Routledge, 1997) par Charlotte Nordmann, Paris, Éditions Amsterdam
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