Un article à retrouver également chez nos amis de Zone Critique
Né à Plouguernevel dans les Côtes d’Armor en 1912 dans une famille de paysans bretons et dernier rejeton d’une lignée de huit enfants, Armand Robin apprend le français à l’école puisque le breton est sa langue maternelle.
Est-ce ce précoce apprentissage linguistique qui
l’a conduit à devenir un traducteur capable de comprendre et de parler une
vingtaine de langues étrangères et un écrivain dont l’œuvre toute entière
constitue une réflexion hallucinée sur le langage ?
Boursier et élève brillant, il prépare l’entrée
à l’Ecole Normale Supérieure, s’y lie d’amitié avec Jean Guéhenno, et,
parallèlement à ses études de lettres, se consacre à un apprentissage des
langues étrangères qui l’amènera à en maîtriser plus de vingt-six.
En 1933, trois ans avant Gide et dans les pas d’Istrati[1],
Armand Robin, d’abord communiste convaincu, accomplit un voyage en URSS. Il en
revient atterré par ce qu’il a compris de la réalité du soviétisme et du
stalinisme. Dès lors, il s’intéresse à l’anarchisme et restera durant toute son
existence fidèle à cet engagement politique.
Durant la période de l’occupation, Armand Robin
est, en dépit de ses affiliations idéologiques, sollicité pour mettre au
service du ministère de l’Information du régime de Vichy ses dons de linguiste.
Il retire de cette surveillance attentive des radios étrangères un « Bulletin
d’écoutes radiophoniques » dont il mettra une partie des informations au
service de la résistance. Surveillé et inquiété par la Gestapo, il rejoint à la
fois la Fédération Anarchiste et la résistance au milieu de la guerre et
reprend à partir de 1944 son Bulletin d’écoutes à titre personnel. Inquiété par Aragon et le CNE à la
libération, Robin est rapidement lavé de tout soupçon en raison de son activité
dans la résistance mais réclame cependant qu’on le maintienne sur la liste
noire du CNE pour signaler son opposition au communisme tout autant qu’au
fascisme. Bon gré, mal gré, le CNE est contraint d’accéder à sa demande.
Tout au long de la guerre froide, Armand Robin
poursuivra inlassablement son travail d’"écouteur", passant ses
nuits d’insomnie l’oreille rivée à son casque radio, décryptant les discours
des radios soviétiques russes, bulgares, hongroises ou roumaines, les bulletins
radios franquistes ou encore les radios occidentales. Ceci donnera lieu à la
rédaction d’un certain nombre de chroniques dans le journal Combat. Des
écrits et des « Bulletins d’écoutes » laissés par Robin a été tiré un
ouvrage, La fausse parole, indispensable réflexion sur la parole
totalitaire, sur la manipulation du langage et des hommes, publié d’abord en
1953 chez Gallimard, puis republié aujourd’hui aux éditions Le Temps qu’il fait
en 2002. Les œuvres de Robin sont aujourd’hui difficiles à trouver, mais un site internet
consacré à l’écrivain donne accès librement à quelques-unes de ses œuvres :
http://armandrobin.org/
Le 27 mars 1961, Armand Robin est placé en
détention à l’Infirmerie Spéciale du Dépôt après une altercation avec des boulistes d'un café du voisinage. C’est là qu’il
décède dans des conditions mystérieuses le 29 mars 1961.
« Les réflexions que voici n'ont pas
"précédé" mon travail d'écoute des radios étrangères, mais se sont
peu à peu imposées à mon esprit au cours des écoutes.
Il n'est pas exagéré de dire que
"l'information" n'existe pratiquement plus sur la surface du globe; nulle part il n'existe de données sur les événements essentiels, sur les
véritables problèmes. Il s'ensuit que, dans les radios mondiales, on se trouve
la plupart du temps en face du néant et le fait que ce néant soit répété à tout
instant du jour et de la nuit ne fait qu'accroître le vide.
Restent, il est vrai, les
"commentaires". Ils sont en général bien plus intéressants que les
"informations"; mais leur richesse ou leur valeur est très relative,
du fait même qu'ils tournent autour des informations dont nous venons de
signaler le caractère généralement artificieux c'est du néant complexe greffé
sur le néant brut.
Exception faite jusqu'à un certain point pour
les radios anglaises qui tiennent encore à « suivre la vie », à donner un
tableau concret de la situation générale du monde, on peut dire que ces
informations artificieuses et ces commentaires autour de cette facticité
tendent à « changer la notion de vérité, voire à la remplacer par celle
d'efficacité ». Il ne s'agit donc plus de rendre compte de la situation
mondiale, mais d'agir sur elle par un ensemble de paroles bien calculées pour
telle ou telle phase bien définie de telle ou telle action à mener. Ceci est
particulièrement vrai de la radio russe intérieure ou internationale.
On peut donc dire que la radio est le meilleur
moyen qui ait été imaginé jusqu'à présent pour « jeter des sorts » à
l'humanité, pour obtenir d'elle qu'elle accepte chaque jour de se prêter à des
opérations d'envoûtement. Ecouter des radios en quelque vingt langues
étrangères mène irrésistiblement à penser qu'on est face à face avec de
véritables opérations de magie noire, lesquelles ont pour but au sens fort du
mot de « posséder l'humanité ».
Pour écouter avec quelque profit les radios, il
fallait donc trouver un principe neuf.
LA PROPAGANDE DEVIENT PARFOIS LA PLUS EXACTE DES
INFORMATIONS
Ce principe est le plus simple du monde ; les
faits ayant "disparu" au profit de la "propagande", c'est
la propagande qui devient le fait ; on peut même dire que la propagande est le
fait essentiel de notre époque. Cela compris, il s'ensuit que si on le
"dépasse", ce moyen de "possession" peut être
"possédé" à son tour.
La propagande, bien envisagée, peut être définie
comme la traduction en clair des désirs divers mais semblables qui mènent les
collectivités humaines actuellement en présence et en conflit. Dans un monde
essentiellement mû par la volonté de puissance (et non pas seulement comme il
est généralement admis par des intérêts économiques), la propagande devient le
fait qui sans cesse trahit les forces cachées ou camouflées ; l'étudier en tant
que fait, c'est automatiquement se mettre en dehors d'elle et c'est expertiser
la réalité du monde actuel ; l'examen critique de la propagande devient ainsi
presque au sens religieux du mot une "révélation". (...) »
Armand Robin. Chronique publiée dans le journal Combat
du 18/9/1947 et reproduite sur http://armandrobin.org/ecoutcom.html
[1]
Panaït Istrati, écrivain roumain et communiste fervent, accomplit en 1929 une
pérégrination de seize mois en URSS qui le laisse effrayé par ce qu’il découvre
du stalinisme. Il confiera ses désillusions dans Vers l’autre flamme,
pamphlet qui lui vaudra d’être notamment mis au ban de la société littéraire
française et conspué par les milieux communistes.
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